Atteindre ses rêves, même les plus fous, n’est pas interdit. S’en cacher est parfois une solution, un aveu d’échec aussi. Mieux vaut au contraire les faire mûrir, comme chez Saur-Sojasun. Dans cette équipe, comme chez Sky la bien nommée, le ciel est sans limite. Et cela, en partie grâce à l’ouverture à une méthode anglo-saxonne. Cette ouverture n’est pas l’œuvre unique de Jean-Baptiste Quiclet, l’entraîneur, mais un projet de bien plus grande ampleur. « L’idée n’est pas de dire que dans le vélo les choses sont mal faites, précise-t-il, mais qu’il faut apprendre à trouver de nouvelles choses pour avancer. »
La méthode anglo-saxonne c’est aussi ça, la remise en question d’un système de détection-type qui bride plus qu’il ne réussit, dans le contexte actuel, radicalement différent de celui d’il y a vingt-cinq ans. L’idée, c’est de s’ouvrir aux autres disciplines du cyclisme : la piste avec toutes ses spécificités, mais aussi le VTT. « En France, je trouve que l’on travaille encore trop par secteurs, cela vient pas mal de problèmes administratifs, de problèmes fédéraux avec des calendriers incompatibles, c’est vrai que si on pouvait tendre au modèle de détection anglo-saxon, ce serait une grande avancée », reconnaît Jean-Baptiste Quiclet, membre de la cellule performance à la Fédération Française de Cyclisme de 2008 à 2010.
Car l’ouverture à d’autres disciplines a fait ses preuves ! S’il est important de souligner que le vainqueur du Tour de France 2011 et celui du Giro 2012 symbolisent l’ouverture à un autre monde, il faut également noter qu’aussi bien Cadel Evans que Ryder Hesjedal viennent du VTT. « Il y a aussi Luke Durbridge et Bradley Wiggins qui viennent de la poursuite, sur la piste », note l’entraîneur de l’équipe Saur-Sojasun, dont le leader Jérôme Coppel aurait pu être professionnel en ski de fond. « Pour moi, en France, c’est sur cela qu’on bute le plus parce que le VTT ne communique pas du tout avec la route et vice-versa. Cela demande une réelle réflexion », renchérit-il.
A l’instar de ce qui se fait chez les Anglo-saxons, et ce, quelle que soit la discipline, la formation Continental Pro française ne néglige pas non plus l’approche psychologique. « On nous a un petit peu décriés au début parce qu’on voulait, à l’image du projet Argos-Shimano, marquer une rupture avec ce qui se faisait avant. C’est-à-dire travailler sur la cohésion, prendre du temps l’hiver pour parler avec les athlètes, garder du lien social », regrette l’entraîneur, encore jeune mais déjà familier et attentif aux moindres détails. Et le phénomène de société en termes de communication ne peut que le renforcer dans son point de vue.
Pour aller plus loin, Jérôme Coppel et ses coéquipiers ont même accès à un préparateur mental, Alain Groslambert, de l’université de Franche-Comté. Prendre un universitaire était également une volonté alors que dans cyclisme, tout est question de subtilité. Evidemment, tout ne peut être associé à la psychologie mais aujourd’hui, si leurs résultats sont si bons, c’est aussi grâce à l’atmosphère au sein de l’équipe. Et tous les coureurs sont d’accord pour en témoigner. Le bonheur est un facteur essentiel dans la performance sportive au plus haut niveau.
Comme dans une équipe de Formule 1, à la recherche du moindre millième, pour la mécanique, tout a été partitionné, tous les corps de métiers sont bien représentés, et ce malgré un budget largement inférieur à ceux des plus grosses écuries. Là encore, il faut parler de relation d’homme à homme car l’entente avec les partenaires est essentielle. Tout est discuté afin d’optimiser l’équipement en prenant compte de l’évidente logique économique. L’idée, c’est de toujours tirer le meilleur de soi-même. Les finances sont finalement leur seule limite.
Le secret Saur-Sojasun, ce n’est pas une méthode miracle mais un ensemble de détails. C’est énormément de cohérence et de rationnel. C’est parfois sacrifier une victoire pour, demain, aller en chercher une plus grande encore. L’aventure de cette équipe est faite de plein de petits sacrifices à certains moments dans l’optique du futur. Le projet est construit à la manière d’un puzzle. On en connaît l’objectif, les morceaux, le tout est de savoir les assembler avec logique, une méthode unique.
Ce secret fait de cohérence et de rationnel pourrait bien amener, sous peu, un Français sur le podium du Tour de France, en la personne de Jérôme Coppel. « En tant qu’entraîneur, je sais qu’il a encore beaucoup de travail à faire, qu’il a encore une belle marge de progression. Aujourd’hui, d’une année sur l’autre, ses valeurs de puissance progressent, que ce soit en montagne ou contre la montre. Il n’est pas encore au maximum de son potentiel, ça c’est sûr. On sait aussi que le vélo est un sport à maturité tardive. Jérôme a 24 ans, il faut qu’il apprenne rapidement à courir dans la peau d’un leader », explique avec patience et certitude Jean-Baptiste Quiclet. Et en une année, l’an dernier, il a déjà énormément appris. Aussi, l’arrivée à maturité d’autres coureurs comme Julien Simon ne peut que renforcer l’entourage de l’équipe sur sa méthode et soulager le Rhônalpin d’une trop forte pression. Toujours cette volonté de ne négliger aucun détail alors que Tour de France reste la plus belle course au monde et qu’un Top 10 ou une place sur le podium ne sont jamais acquis.
Face à la mondialisation, ils ont osé partir à l’aventure et il ne fallait pas avoir peur. En s’appuyant sur une philosophie en rupture avec les codes depuis longtemps établis, l’équipe Saur-Sojasun a grandi avec patience et beaucoup de sagesse. Etape par étape, le modèle anglo-saxon est apparu comme le plus adapté au contexte et à un milieu en constante évolution. Avec des ressources limitées, certes, mais toujours en rupture avec ce qui se fait dans les autres équipes françaises et à l’image de ce qui se fait outre-Manche, en quelques années, ils ont dessiné un nouveau ciel presque sans limites. – Simon Bernard