Avec Franck Alaphilippe, sur la relation entraineur-entrainé alors pour commencer je vais vous demander de vous presenter ?
– Je m’appelle Franck Alaphilippe, je suis entraineur cycliste. Je m’occupe d’un centre d’entrainement de formation à Saint Armand Montrond. J’ai la chance d’avoir un cousin qui fait du vélo qui s’appelle Julian Alaphilippe et que j’entraine depuis ses debuts.
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Vous avez vous-même un passé de coureur pas au même niveau mais différent…
– Oui bien sur. J’ai un passé trés modeste de coureur. J’ai été en première catégorie. Après ma santé un peu fragile ne m’a pas permis d’aller plus loin. J’ai couru un certain nombre d’années en première catégorie.
Vous parliez de Julian, entrainez vous d’autres coureurs pro ?
– Oui j’ai un seul coureur dans le cyclisme professionnel, qui est passé par le centre de formation, il s’agit de Romain Combaud de Delko Marseille Provence.
Il marche plutôt pas mal depuis le début de la saison !
– Oui il marche plutôt bien. Il lui manque une petite victoire dans son palmarès. Mais oui il marche pas mal.
On a connu une époque dans le cyclisme, il y a une vingtaine d’année en arrière où les managers et directeurs sportifs n’appréciaient pas que les coureurs soient entrainés par différents entraineurs et échappent au pôle équipe, sentez vous que c’est un débat complètement dépassé ?
– Je ne sais pas si il est dépassé après ça peut se discuter. Effectivement, il y a des formations qui exigent que les coureurs soient entrainés par leurs équipes. Ca se discute. Je ne suis ni pour, ni contre. En ce qui concerne Julian, la relation a toujours bien fonctionné. Son équipe a laissé faire les choses, ils lui ont fait confiance au départ quand il était en néo pro et qu’il n’avait pas le niveau d’aujourd’hui. Ils ont laissé faire, Julian a franchi les étapes progressivement. Chaque année, il franchissait une étape. Ils n’ont pas cassé notre lien et la relation que j’ai avec lui en tant qu’entraineur. Je pense qu’ils ne le regrettent pas aujourd’hui.
Vous êtes plus en relation avec le directeur de la performance ou plutôt avec les directeurs sportifs et le manager Patrick Lefevère ?
– Alors c’est plutôt Julian qui fait le lien. Quand on lui propose son choix de calendrier sportif, on lui demande mon avis mais c’est Julian qui fait le lien. C’est une relation plutôt fluide
Vous analysez naturellement toutes les données des capteurs que peut utiliser Julian quotidiennement, les gens de Deceuninck ont accès aux mêmes data ou vous les avez exclusivement ?
– Non, je les ai très rapidement. Eux aussi puisqu’ils ont une plate-forme qui leur permet d’analyser les données de Julian. Du coup ça fonctionne très bien. En tout cas, jamais à aucun moment il ne nous ont reproché dans sa préparation la méthode d’entrainement ou le contenu d’entrainement. Ca se passe très bien.
Vous intervenez aussi sur tous les aspects dans le domaine de la récupération ou de la diététique ?
– Pas du tout parce que dans l’équipe de Julian, ils ont des gens qui sont très très compétents dans ce domaine. Je n’interviens vraiment que sur l’aspect sportif et relation avec Julian.
Vous parliez de Julian et sa progression étape par étape, d’année en année, entre la saison 2016, celle des Jeux Olympiques jusqu’à la saison 2019 , sur quels aspects a -t-il progressé? Où , l’avez-vous fait progresser ?
– Non il n’y a pas que moi. Lui-même a beaucoup progressé dans beaucoup domaines et notamment dans sa maîtrise en course. On se souvient qu’à ses débuts, il était un peu chien fou, et là, Julian a appris. Il a pris beaucoup sur lui. Un moment donné, c’est ce qu’il l’empêchait de gagner. Dès ses débuts il a tout de suite réalisé des performances, des places. Il a progressé dans ce domaine. Et ça c’est un des domaines fondamentaux pour la réussite de sa carrière.
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Est ce que c’est un parfait prototype d’un coureur capable de gagner les flandriennes et les ardennaises, un peu comme Philippe Gilbert ?
– Oui ce sont des courses, les flandriennes, qui peuvent lui convenir. Alors évidemment, on a toujours tendance à cataloguer un coureur de flandriennes avec un poids un petit peu plus lourd que Julian. Je pense que Julian est agile, il est relativement adroit sur le vélo. Il peut être performant sur ce type de courses. En plus, il a envie de les faire.
On parlait d’aptitudes sur le velo, le cyclo-cross évidemment, on l’a vu sur les Strade Bianche c’est un énorme plus dont il continue à bénéficier et qu’il continue d’entretenir avec vous ?
– Entretenir non, on ne va pas travailler ce type de qualité. La, je pense que c’est vraiment avec l’expérience des descentes de cols. Et puis de par son agilité qu’il a entretenue, il l’améliore dans les courses qu’il fait. C’est sûr que de participer à des grands tours comme le Tour de France, il y a une certaine prise de risque qu’il doit prendre. Ca fait aussi partie de l’amélioration qu’il a apporté à ses bagages. Non, non, ça on ne le travaille pas.
On l’a vu encore hier avec le contre la montre par équipe, les Deceuninck Quick Step ça envoie fort, il travaille spécifiquement le contre la montre régulièrement pour avoir des ambitions sur les courses par étapes ?
– Julian le travaille notamment lors des stages avec son équipe puisqu’ils ont les vélos de contre la montre. Il le travaille beaucoup en début de saison. Il a retravaillé durant les reconnaissances dans les Alpes vu que son équipe lui avait ramené les vélos de chrono ce qui fait qu’il a pu rouler avec. Oui il le travaille.
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Vous diriez en tant qu’entraineur que c’est primordial de travailler le contre la montre pour avoir des ambitions pour les courses d’une semaine ,voire de trois semaines ?
– Oui bien sûr, on sait que le contre la montre est un passage obligé pour la réussite d’une course par étapes. Ca je lui ai toujours dit. C’est important qu’il continue à bien les faire en course y compris quand il ne joue pas le classement général. Puis de continuer à le travailler c’est très important.
Vous estimez qu’il doit progresser dans quels domaines en priorité ?
– Bien sûr on me pose souvent la question. On fait référence à la montagne. Moi, j’ai toujours dit que Julian était quand même un grimpeur. Mais effectivement c’est l’enchainement des cols et souvent des longues difficultés où il a quelques faiblesses. C’est vraiment dans ce domaine-là qu’il faudra se pencher si Julian souhaite jouer le classement général éventuellement d’un grand tour ou d’une course par étapes difficile. Après ça peut être en détriment de ses qualités de puncheur et de sprinter, ça c’est sûr. Mais bon si à un moment donné ses objectifs changent c’est dans ce domaine là et comme il a cette faiblesse, il ne pourra de toute manière que s’améliorer.
On le voit, on parlait de progression tout à l’heure d’étape par étape, c’est quelque part le prochain cap, on va parler du Tour des Flandres, évidemment la course magique à gagner. Mais c’est vrai que la prochaine étape, c’est gagner une course par étapes, il a dejà gagné le Tour de Californie, est ce que vous pensez qu’il est apte à franchir le pas, d’aller vers des courses comme le Tour de Suisse voir le Dauphiné ?
– Oui il en a les moyens, il faut travailler les défauts qui pour l’instant l’empêche de pouvoir gagner une grande course par étapes.
On parlait de la relation entraineur-entrainé. Pouvez vous nous parler de Romain Combaud, il a passé un cap cette année on l’a vu en tout cas dès le début de la saison sur le devant de la scène par rapport à la puissance potentielle de son équipe Delko Marseille Provence qui n’est pas la même que celle des Deceuninck Quick Step, il a progressé dans quels domaines ?
– Je dirais qu’il a progressé un peu dans tous les domaines. Il n’y a pas un secteur où il s’est particulièrement amélioré. Il a pris aussi plus de force, plus de puissance. Et puis, ça a été un choix de préparer le début de saison. On s’était rendu compte que, fin avril, il avait toujours une petite baisse physique. On s’était dit que cette baisse physique, on risque quand même de l’avoir à nouveau mais autant réussir le début de saison.
Cette année, c’est un Tour particulier, dans le sens où il va avoir de nombreux passages au dessus de 2 000 mètres, avez vous l’impression que quand la course multiplie les passages en haute altitude ça annihile les velléïtes d’attaque ?
– Oui peut-être effectivement, c’est vrai que les arrivées vraiment en haute altitude peuvent être un frein sur les attaques. C’est un peu constat général.
Vous anticipez ça sur ce Tour de France justement, y compris les colombiens d’ailleurs, on va dire au delà de 2 000 mètres, soient un peu freinés. Alors que vous le savez, vous l’avez analyser finalement, quand on passe le cap des 2 000 on perd finalement assez peu de puissance?.
– Oui, oui pas tant que ça. Après on ne l’a pas analysé parce que Julian a quelques petites faiblesses en haute montagne. Nous comme ça parce qu’il faut arriver à combler d’autres choses par rapport à la haute montagne, Il faut faire encore progresser Julian sur d’autres domùaines.
Si vous, vous aviez à manager des coureurs qui jouent le classement général, vous diriez qu’il faudrait attaquer plutôt au pied du col parce qu’en altitude souvent ça ne bouge pas ?
– Peut-être, après c’est ce qui se passe avec les coureurs qui ne jouent pas le classement général, il faut se pencher sur le problème: pourquoi personne n’attaque avant ? Je pense que ça c’est une prise de risque que personne ne prend, c’est la prise de risque qu’il faudrait essayer de dépasser.
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Bien évidemment, on a vécu le renouvellement de contrat de Julian avec la Deceuninck Quick Step, on a suivi le feuilleton, on imagine bien que vous faites parti du comité des personnes qu’il a écoué et conseillé, c’est le cas ?
– Oui bien sûr, je ne donne qu’un avis sportif à Julian. L’équipe actuelle, c’est vraiment celle qui lui correspond le mieux tant en mentalité et en personnalité de Julian. La discussion a été très rapide et c’est vrai qu’il avait vraiment envie de renouveler avec cette équipe. Et puis c’est l’équipe qui lui a ouvert les portes comme coureur professionnel. Au delà de ça il se sent vraiment très bien chez eux
Vous auriez eu une crainte que, s’il avait signé dans une équipe française, on l’aurait trop vite présenté comme un futur vainqueur du Tour de France et à partir de là on lui aurait mis trop de pression ?
– Equipes françaises ou d’autres équipes, beaucoup le voient comme ça. Certains l’ont dit clairement, qu’il le voyaient comme un éventuel vainqueur du Tour de France. Julian, aujourd’hui, ne se voit pas gagner le Tour de France. Après je pense que ça s’est fait comme ça. Le choix est légitime par rapport à ce qu’il a envie de faire sur le moyen terme.
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On est au début du Tour de France, le plus dur c’est de confirmer., l’année dernière il a fait un super Tour de France, vous l’anticipez comment ce Tour ?
– Je ne dirais pas qu’il fasse au moins la même chose parce que c’est vrai qu’il a mis la barre très haut. Mais voilà Julian part sur l’idée de gagner une étape après ce qu’il fera en plus ce n’est que du bonus. Aprés évidemment, il l’a dit son rêve c’est de porter le maillot jaune sur une étape. Il y a des possibilités cette semaine notamment aujourd’hui bon même si l’écart depuis hier est un petit peu plus grand. Il a ses deux objectifs là. On va voir si il va les réaliser. Ca ne va pas être simple.