Eusebio, on imagine que vous auriez signé pour de tels résultats au départ de Porto-Vecchio…
Bien sûr. Nous sommes partis de Porto-Vecchio avec beaucoup d’ambitions et avec l’objectif d’être sur le podium final du Tour. Normalement, cet objectif semblait plus réalisable avec Alejandro Valverde qu’avec Nairo Quintana. Mais Alejandro a perdu du temps dans l’étape de Saint-Amand-Montrond. Nairo est ensuite devenu notre leader. À partir de ce moment, il était en mesure d’assumer cette responsabilité. Il a affiché ses capacités de grimpeur dans les Pyrénées comme dans les Alpes. Mais ce qui m’a surpris, c’est la façon dont il a géré les étapes de plaine, avec le vent. Il est bien passé et cette dernière semaine dans les Alpes a été magnifique.
Il y remporte notamment l’étape du Semnoz.
C’était notre dernière possibilité de remporter une étape. S’il gagnait au sommet, il remportait également le classement de la montagne. Nous avons roulé très fort toute la journée pour lui, pour voir les possibilités dans la dernière montée. Il était toujours avec Chris Froome et Purito Rodriguez. Il a accéléré sur la fin pour aller décrocher l’étape.
L’ascension du Ventoux où il avait relayé Chris Froome avant d’être décroché lui a-t-elle servi de leçon ?
Je lui ai dit qu’il était là pour découvrir le Tour, pour qu’il voie à quel point il s’agissait d’une grande course. On l’avait surtout aligné en pensant au futur. Mais c’est un coureur de grande classe. Il n’a pas perdu de temps au cours des deux premières semaines. Quand, le Tour est entré dans la montagne, il a attaqué tout de suite, dès le Port de Pailhères dans la première étape pyrénéenne. Je crois qu’il voulait démontrer dans la montagne que c’était un pur grimpeur. Il a fait un grand numéro. Mais lors de cette étape, comme lors du Ventoux, il a peut-être attaqué trop tôt. Alors qu’au Semnoz, il a attendu le bon moment. La récompense a été magnifique.
Il faut aussi souligner le travail d’Alejandro Valverde.
C’est pour moi la grande déception du Tour. Il est arrivé en forme en Corse. Nous avons sacrifié la première partie de la saison pour qu’il arrive frais. Il était bien mentalement. Mais sur le Tour il y a toujours quelque chose qui ne se passe pas comme prévu. Il a malgré tout eu la force morale pour récupérer. Il a montré par la suite qu’en plus d’être un bon leader, il était un bon équipier. Il a très bien travaillé et bien aidé Nairo.
Peut-il encore viser la victoire finale sur un Grand Tour ?
J’en suis sûr ! Le problème est qu’il doit sacrifier toute une partie de la saison, avec des courses qui lui conviennent, pour arriver sur le Tour en étant frais. Mais avec le risque de tout perdre sur un coup de bordure comme ça a été le cas à Saint-Amand-Montrond.
Vous avez remporté deux autres étapes grâce à Rui-Alberto Faria Da Costa qui avait déjà remporté le Tour de Suisse. Peut-il devenir un de vos leaders sur un Grand Tour ?
Il sait que c’est un grand coureur. Mais je crois qu’il n’est pas encore en mesure d’entrer dans les cinq ou six premiers d’un Grand Tour. Un Top 10 est envisageable. Mais je préfère le voir viser les étapes, comme il l’a fait sur ce Tour de France où il a pu montrer ses qualités. Pourquoi lutter pour une 8ème ou 10ème place pour être bloqué et ne pas pouvoir prendre l’échappée ?
Y a-t-il un motif de déception ?
Non, juste après l’incident mécanique d’Alejandro, nous avons retrouvé le moral. Nous sommes arrivés au Ventoux en comprenant que nous avions un coureur toujours capable de faire quelques beaux numéros en dernière semaine.
La Vuelta sera évidemment très importante pour votre équipe. Qui sera votre leader ?
Ce sera Alejandro. Il sera aidé par quelques coureurs déjà présents sur le Tour et quelques coureurs frais, qui n’ont pas encore couru de Grands Tours cette saison. Mais aussi quelques-uns qui ont fait le Tour d’Italie avant de couper comme Sylvester Szmyd, Eros Capecchi, José Herrada ou Benat Intxausti. Ce sera une équipe solide. Nous voulons faire une belle Vuelta. Nous savons que ce sera difficile de gagner, mais avec Alejandro nous ne serons pas loin de la victoire quoiqu’il arrive. J’espère donner à notre sponsor et à notre pays, une belle victoire pour clôturer cette année.
Comment avez-vous trouvé ce 100ème Tour de France ?
Je suis venu la première fois sur le Tour en 1983. C’était ma trentième année sur le Tour. Ce qui m’a frappé c’est le public qui était encore plus présent sur le Tour. On sent qu’il y a une vraie passion avec le renouveau du cyclisme. Beaucoup de personnes sont arrivées de pays lointains comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande et même la Chine. Il y a une réelle mondialisation de notre sport.
Le 101ème Tour de France sera-t-il celui de Nairo Quintana ?
Je crois qu’il doit encore s’améliorer dans le contre-la-montre. Mais s’ils ne sont pas trop longs, il ne perdra pas beaucoup de temps. Sinon, il lui sera difficile de rivaliser avec les grands rouleurs et les vrais spécialistes.
Quelles modifications apporteriez-vous pour cette 101ème édition ?
Il y a quelques années, on aurait pu croire que les bonifications donneraient un peu plus de spectacle. Au final, la course montre qu’il n’y a pas de réels changements. L’an dernier, la Vuelta était magnifique malgré tout. Je ne pense pas que mettre des bonifications sur les étapes de montagne soit une bonne chose, mais bien sûr, avec les caractéristiques de mon leader, je pourrais être intéressé si les bonifications étaient de retour. En revanche, cela pourrait être intéressant durant la première semaine même si cette tension fatigue les organismes. Cette année on l’a vu. Une fois dans la montagne, il y avait beaucoup moins de nervosité et de chutes.
Propos recueillis à Versailles le 21 juillet 2013.