Yann, au lendemain d’une année 2014 exceptionnelle, que reste-t-il aujourd’hui de l’année passée ?
Je ne me suis pas trop rendu compte cet hiver de l’impact qu’avait eu ma saison sur les gens. J’en ai surtout pris conscience en les recroisant sur les premières courses. Dimanche au Circuit des Plages Vendéennes, les gens sont venus vers moi. Ils ont toujours en tête la belle année 2014 que j’ai réalisée.
Qu’est-ce qui vous rend le plus fier : la quantité de victoires ou votre constance d’un bout à l’autre de la saison ?
J’ai gagné du 16 février au 5 octobre. J’ai été là de la première à la dernière course. Surtout, au fur et à mesure de l’année, j’ai su me fixer des objectifs et les atteindre. Aller au bout de mon idée. Je me suis moi-même impressionné. Je ne saurais trop l’expliquer au-delà du sérieux qui a été le mien à l’entraînement et dans la vie de tous les jours, notamment en matière de diététique. L’entourage compte aussi pour beaucoup. Je suis bien dans mes baskets, c’est un tout qui m’a donné l’envie d’en vouloir et ça marche.
Vous vous êtes révélé à ce niveau sur le tard, à l’âge de 28 ans, comment l’expliquez-vous ?
Je suis venu tard au vélo, à 17 ans. J’ai fait mes années Juniors puis mes deux premières années Espoirs au Véloce Vannetais. Je ne suis pas issu d’une famille cycliste, si bien que je n’ai pas bénéficié des conseils dont peuvent bénéficier des jeunes dont les familles sont imprégnées du milieu. J’ai toujours aimé gagner dans tous les sports que j’ai pratiqués, mais peut-être que je ne mettais pas toutes les chances de mon côté à mes débuts à vélo. C’est en 2007 que j’ai compris comment fonctionner pour avoir des résultats et pouvoir passer les échelons. Je suis arrivé à maturité un peu plus tard que d’autres.
N’est-ce pas un mal pour un bien ?
C’est ce que j’ai envie de dire. J’ai appris à me connaître parfaitement, à corriger mes défauts. J’arrive dans le monde professionnel, je sais ce qu’il faut faire ou non. Par rapport à un jeune qu’on plonge dans le grand bain tout de suite et qui n’est peut-être pas prêt à recevoir autant d’informations, c’est un atout. On verra dans l’avenir si ce déclic sur le tard m’est bénéfique.
Quand l’idée de rejoindre les rangs professionnels a-t-elle germé dans votre esprit ?
A partir de 2007. J’ai pris conscience que c’est ce que j’avais envie de faire. J’ai arrêté mes études pour me consacrer au cyclisme. J’avais un passage chez les pros en tête mais ça n’a pas abouti, même après ma bonne saison réalisée en 2010. A 24 ans, je me suis remis en question. A l’exception d’un Samuel Plouhinec, et c’est respectable, on ne peut pas vivre du vélo quand on est amateur. Quand vous dites aux gens que vous faites du vélo à temps plein, qu’ils vous demandent si vous faites le Tour de France et que vous leur répondez que vous êtes amateur, c’est embêtant. Je me suis interrogé sur la suite que je désirais donner à mon parcours dans le cyclisme.
Et vous avez rejoint le projet naissant de l’Armée de Terre…
A ce moment-là on ne savait pas sur quoi allait aboutir ce projet mais le côté professionnel était assuré avec l’Armée. J’avais une situation, c’était sécurisant, et avant même qu’on me propose de faire du vélo à haut niveau, c’est d’abord ça qui m’a plu.
A tel point que vous avez choisi de rester fidèle à l’Armée de Terre cette saison en dépit d’une sollicitation de Bretagne-Séché Environnement ?
La décision n’a pas été facile à prendre. J’y ai beaucoup réfléchi. Bretagne-Séché Environnement proposait un beau programme. C’est une équipe qui fait le Tour de France et qui a encore pris de l’ampleur avec son recrutement. Mais d’un autre côté il y avait ma carrière militaire, dans laquelle je m’investis beaucoup. J’ai signé pour six ans avec l’Armée, jusqu’en 2021, et l’hiver prochain je vais aller à Saint-Maixent-l’Ecole pour encore progresser dans le cursus militaire. En rejoignant une autre équipe pro, j’aurais pu prendre une disponibilité mais ça aurait remis en jeu ma carrière militaire. J’ai opté pour la sécurité.
Vous avez couru le Grand Prix La Marseillaise et l’Etoile de Bessèges, comment s’est passée votre prise de contact avec le peloton pro ?
Avec l’hiver on se pose beaucoup de questions. On ne sait pas trop où on va. J’avais déjà disputé la Polynormande l’été dernier avec les pros (NDLR : 4ème), mais j’étais en pleine possession de mes moyens. Je ne suis donc pas arrivé trop serein à la Marseillaise, n’ayant jamais de très bonnes sensations l’hiver, mais finalement tout s’est bien passé et j’ai réussi à finir dans le peloton de tête. A Bessèges, je pensais dès lors que ça se passerait mieux, mais il y a eu des hauts et des bas. Quand on n’est pas en forme, on ne frotte pas, et avec les bordures ça a été compliqué. Ça m’a fait néanmoins cinq jours de course, c’est toujours ça de pris. Et je suis reparti du bon pied.
Quand on a été grands chez les petits, n’appréhende-t-on pas de se retrouver petit chez les grands ?
Je sors d’une grande saison, n°1 amateur, champion de France, dix-sept victoires… On peut difficilement faire mieux. Maintenant, je sais me remettre à ma place. Je sais que chez les pros, personne ne me connaît. Et qu’en dépit de ce que j’ai fait avant, il faut que je me refasse un palmarès. C’est un autre défi. Ça évite de s’endormir sur ce qu’on a pu faire avant. C’est dans mon caractère : dès que je prends une claque, j’essaie toujours de répondre pour montrer que je suis encore là. Et des claques, je sais que je vais en prendre, comme c’est arrivé à Bessèges. Mais j’ai assez d’orgueil pour ça.
A l’entraînement, vous travaillez depuis 2007 avec Léonard Cosnier. Quelle relation entretenez-vous ?
Je me sens très bien avec lui, il me connaît par cœur, et j’ai pleinement confiance en lui. Plus qu’un entraîneur, c’est un ami. Il a été là dans les moments difficiles, hors vélo. Nous travaillons ensemble, il sait me redonner la niaque quand ça va un peu moins bien. Il est venu me voir dimanche sur les Plages. C’est bien d’avoir quelqu’un comme ça. Ça donne de la sérénité.
Comment avez-vous anticipé ensemble le challenge d’une carrière chez les professionnels ?
J’ai fait davantage de volume. J’ai quasiment 1500 kilomètres de plus à l’entame de la saison que d’habitude, ceci afin de s’adapter aux charges de travail des pros, avec plus de kilomètres sur les courses. Nous n’avons sinon pas changé beaucoup de choses, ça se fera au fur et à mesure de l’année. Nous avons fait des bases. J’ai testé cette semaine des entraînements que je ne faisais pas d’habitude. Je vais aussi faire pour la première fois du derrière scooter. On s’est dit que si nous souhaitions passer au cran au-dessus et progresser encore, il fallait passer par là.
Vous êtes également un adepte du capteur de puissance, dont votre victoire au classement Vélo 101-Powertap.fr vous a permis de remporter un Powertap…
Cela fait trois ans que je travaille avec le Powertap. Avec Léonard Cosnier, nous nous basons sur mes valeurs lors du test à l’effort en début d’année. Nous pouvons ainsi définir mes zones. Au cours de la saison, nous refaisons des tests sur home-trainer pour voir si nous enregistrons des modifications de puissance. A l’entraînement, mon cœur a tendance à ne pas trop monter, si bien qu’il m’est difficile de monter dans les zones. Avec le Powertap je peux les atteindre. Et à force de l’utiliser je sais désormais quand ça va très bien ou quand ça va un peu moins bien. C’est un outil qui m’apporte beaucoup. Et pour pouvoir performer on est obligés de s’adapter au milieu. Tout le monde travaille désormais avec un capteur de puissance, on s’adapte au temps et aux nouvelles technologies.
Quelle puissance affichiez-vous au dernier test d’effort ?
J’ai développé une Puissance Maximale Aérobie à 460. En sprint, à l’entraînement, je monte à 1390 watts quand je suis pas mal.
A 28 ans, où situez-vous encore votre marge de progression ?
Je pense avoir encore à apprendre. Lorsque j’étais amateur je m’étais toujours dit que l’année où je ne gagnerais plus, j’arrêterais. Cette année j’entre néanmoins dans un autre monde. Il n’est pas dit que je puisse obtenir plusieurs victoires comme je l’ai fait. Mais je ne me donne pas de limite. Tant que la passion est là et que ça ne devient pas une contrainte d’aller à l’entraînement, je me vois poursuivre. A 28, 29, 30, 31 ans, on est dans la force de l’âge. On connaît mieux le métier en outre, c’est certainement durant ces années qu’on peut prendre le plus de plaisir sur le vélo.
Par quoi passera une saison 2015 que vous jugerez réussie ?
Des victoires, forcément ! Au fond de moi j’espère gagner. J’aurais du mal à conclure la saison sans en avoir gagné une au moins. Je vais à l’entraînement, c’est pour ça. Je fais du vélo, c’est pour gagner. Bien sûr, ça passe aussi par des objectifs que je me mets en tête et que j’ai pour habitude de ne jamais dévoiler. Je n’aime pas m’avancer. Je préfère créer l’effet de surprise !
Propos recueillis à Saint-Herblain le 16 février 2015.