Vincent, au cours de votre carrière de manager le Tour de France vous a fait passer par toutes les émotions. Où placerez-vous cette édition 2015 ?
Dans le discours que j’ai tenu auprès de mes coureurs au terme du Tour de France, je leur ai dit qu’après une année exceptionnelle, je le souligne avec les places de 2 et 6 au général, une victoire d’étape et le classement par équipes, nous avons vécu en 2015 une très, très belle édition. Je ne sais pas si on peut donner des notes, comme pour le vin et les grands crus, mais s’il le fallait je donnerais 16,5/20 à mes coureurs avec deux victoires d’étapes et de bons résultats globaux.
Vis-à-vis des ambitions qui étaient les vôtres au départ du Tour à Utrecht, quel sentiment vous anime au bout du compte ?
Du bonheur, du positif. Nous avons réalisé un très bon Tour de France. Deux victoires d’étapes, nous sommes très bien servis quand on sait que la moitié des équipes n’ont pas gagné d’étape. Une place de 9 au général, un bon classement par équipes, plusieurs fois à la Une des journaux, ce sont des sources de satisfaction. Nous sommes globalement sur le devant de l’affiche.
La victoire d’étape de Romain Bardet, un nouveau Top 10 à 24 ans, quel avenir se dessine pour lui ?
Romain a tout pour réussir. Bien sûr, annoncer dès à présent qu’il peut gagner le Tour est difficile. Ce serait quoi qu’il en soit trop tôt et ça ne lui rendrait pas service. En revanche, il a vraiment le caractère nécessaire pour cela. Il faut voir si le physique va suivre. Ce qui est certain, c’est qu’il est en progression tous les ans. Et c’est encourageant. Pour lui comme pour le cyclisme français. On a vu Warren Barguil répondre présent, et de jeunes coureurs arrivent encore derrière. On le voit, le cyclisme français est en devenir.
Vous vous étiez présentés au départ du Tour avec deux leaders pour alléger les responsabilités de Romain Bardet. Le voyez-vous à présent assumer seul un rôle de leader ?
Romain avait encore besoin, au départ du Tour, de s’appuyer sur un compère pour partager la pression naturelle qui existe autour des leaders. Dans ce Tour de France, il a beaucoup grandi, appris des tas de choses, à commencer par assumer le rôle de leader unique. Assez rapidement, il s’est retrouvé le seul coureur chez nous capable d’envisager obtenir un bon classement général. Il a assumé ce rôle avec une certaine maturité, même si à 24 ans il est encore perfectible.
On dit qu’on apprend plus dans la défaite que dans la victoire, en cela que lui a apporté le Tour 2015 ?
La souffrance. Romain a souffert dans le Tour, il a vécu des journées difficiles. Et il a appris qu’après des jours sans on pouvait finalement remporter de belles victoires. Ça a été le cas vers Gap, la veille de sa victoire à Saint-Jean-de-Maurienne. Il a beaucoup souffert, douté, avant de parvenir à réaliser un exploit le lendemain. C’est une expérience très importante qui est inscrite là-haut (il pointe son front). La prochaine fois, quand il sera en difficulté, il saura qu’il faut s’accrocher car de belles choses peuvent survenir derrière.
Quel rôle a joué le staff d’Ag2r La Mondiale dans la remobilisation des coureurs après les échecs encaissés ici ou là ?
Les coachs, les entraîneurs, nous sommes tous là pour ça. Pour enlever les doutes qui surviennent à un moment donné. Un athlète de haut niveau a forcément des doutes quand c’est difficile. Nous sommes là pour positiver, trouver de nouvelles sources de motivation, et sortir quelquefois la tête des coureurs de l’eau parce qu’ils en ont besoin. C’est une partie importante de notre métier que de remotiver les troupes.
Romain Bardet a manqué de cohérence pour espérer mieux faire au classement général. Que vous faudra-t-il corriger l’an prochain ?
Tous les ans, nous progressons dans notre approche de l’événement. Nous savons les stages très importants dans la préparation et la construction de l’équipe, c’est ce que nous avons fait cette année, mais nous nous sommes rendu compte qu’ils avaient peut-être été un peu trop intensifs à un moment donné. Peut-être est-ce l’explication. Rien n’est jamais écrit. On avance tous les ans à tâtons. Nous essayons de retirer le meilleur de chaque expérience et de leur apporter quelques petits points d’amélioration. C’est ce que nous avons fait. Nous avons connu un début de Tour difficile, à nous de trouver pourquoi et d’apporter de petites modifications.
Jean-Christophe Péraud a manifesté son désir de privilégier le Giro au Tour l’an prochain. Répondrez-vous favorablement à sa demande ?
Il a dit spontanément qu’il s’agirait de son dernier Tour. C’est son sentiment aujourd’hui, on verra quel sera le sien l’an prochain. Ce qui est certain c’est que l’athlète choisira et qu’il n’est pas question de forcer la main à un coureur en lui disant qu’il va faire le Tour s’il n’a pas envie de le faire.
Au rang des satisfactions, Alexis Vuillermoz, vainqueur d’étape à Mûr-de-Bretagne, a lui aussi crevé l’écran…
Alexis nous a sorti un truc extraordinaire, hors-norme. Ça montre les dispositions physiques qu’il possède. Il a un peu plus souffert dans les Alpes, avec un coup de moins bien durant un jour ou deux, mais il a finalement terminé sur une belle note en rendant samedi un fier service à Romain. C’est un garçon qui a beaucoup de qualités. Ce qu’il a démontré à Mûr-de-Bretagne comme dans le Mur de Huy (3ème) nous laisse entrevoir un potentiel extraordinaire.
Il y a un an, vous aviez estimé qu’on ne changeait pas une équipe qui gagne et aviez très peu modifié votre effectif. Le mercato va s’ouvrir samedi, qu’en sera-t-il cette fois ?
Nous allons à nouveau très peu modifier l’équipe. Beaucoup de nos coureurs sont encore sous contrat. Ceux qui arrivent en fin de contrat seront pour l’essentiel conservés. On demande à ces coureurs de faire le job toute l’année sans qu’ils puissent aller chercher de résultats personnels. Nous leur faisons confiance et nous devons montrer notre solidarité envers les gens qui travaillent en les conservant. Dès lors nous ne renouvellerons que très peu l’équipe.
Dans un peu plus de trois semaines, ce sera déjà le départ de la Vuelta. Autour de qui sera construite l’équipe Ag2r La Mondiale ?
Domenico Pozzovivo et Carlos Betancur en seront les leaders. Mikaël Chérel va doubler après sa 18ème place au Tour de France. Et Alexis Gougeard va faire son entrée sur un Grand Tour. Nous aurons une équipe qui ira à la bataille en essayant d’entourer du mieux possible un coureur qui vaut le coup comme Domenico Pozzovivo.
Propos recueillis à Sèvres le 26 juillet 2015.