Vincent, comment pourriez-vous qualifier ce Tour de France 2016 ?
Je dirais qu’il est exceptionnel au niveau des résultats globaux. Cette belle 2ème place de Romain Bardet reste un exploit. Ce n’est pas anecdotique. Je retiendrai aussi cette belle victoire d’étape et la combativité de l’équipe tout au long de ce Tour. Nous avons connu des moments forts.
Comment placeriez-vous cette 2ème place en comparaison de celle de Jean-Christophe Péraud il y a deux ans ?
Oui, nous avons déjà connu ça. C’est la deuxième fois en trois ans que nous atteignons ce résultat. La première fois, nous étions très émus, très touchés. Là encore, Romain est allé chercher cette victoire à la pédale, en prenant des risques, notamment à Saint-Gervais. Il a été le deuxième meilleur coureur du Tour de France. Nous aurions signé tout de suite pour ce résultat. Nous n’avions pas fixé d’objectif très précis en début de Tour. Romain ne voulait pas en entendre parler. Au fond de nous-mêmes, nous pensions qu’un Top 5 était jouable. Le podium on pouvait y penser en cas de gros exploit. 2ème, c’est extraordinaire !
A partir de quand, avez-vous jugé que cet objectif était réalisable ?
On sentait que ça montait jour après jour. Sur un Tour, il y a beaucoup de pièges à éviter. Passer à travers les mailles du filet n’est pas toujours évident. Il faut un peu de réussite. Au fil des jours, on s’est dit que le Top 5 était envisageable. Puis, plus on s’approchait des Alpes, plus on pensait que le podium est réalisable. Il a fait ce qu’il fallait pour l’atteindre. S’il avait attendu, il ne serait peut-être pas là. Il est allé le chercher à force de conviction.
Pourtant Romain Bardet a avoué lui même qu’il avait dû courir contre nature sur un Tour qui n’a pas favorisé l’offensive.
On sait que Romain est un attaquant. Mais compte tenu de l’enjeu, de tout ce qui est effectué pour aborder le Tour de France, on ne peut pas faire n’importe quoi. Quand on place une attaque, il faut savoir attendre le bon moment. Si ce n’est pas le cas, on met en l’air tout le travail d’une année. Romain a bien analysé tout cela. A la base, c’est un coureur qui aime prendre des risques. Il l’a fait plusieurs fois. Et ça a fini par payer dans la descente de Domancy et ça lui a permis de prendre cette 2ème place.
Approuvez-vous les commentaires qui parlent d’un Tour de France très attentiste ?
C’est une impression. C’est comme en football, sur une Coupe du Monde ou un Euro, on ne voit pas que des matches intéressants. Il y a beaucoup d’enjeux. Sur le Tour de France, on aimerait des chevauchées fantastiques et des écarts d’un quart d’heure. Mais ce n’est plus ça le vélo. C’est aussi intéressant car il y a peu d’écart. Des coureurs du Top 10 se tiennent en quelques secondes. Ça, ça représente un intérêt. Les commentaires qui sont faits sont une chose, ce qui est certain c’est que le Tour reste la course la plus importante au monde, on investit énormément pour y arriver, et il faut éviter de faire des erreurs pour réaliser ses objectifs.
Cette 2ème place est aussi l’aboutissement du travail que vous menez au niveau de la formation, Romain Bardet étant issu du Chambéry Cyclisme Formation.
Bien sûr, Romain est la parfaite illustration de notre groupe. Il a suivi tout le cheminement de notre équipe. Il est passé professionnel et a affiché de belles dispositions tout de suite. Puis finalement, année après année, il a montré qu’il était un véritable leader. Aujourd’hui, c’est un leader à l’échelle mondiale. C’est d’autant plus plaisant d’avoir Romain à nos côtés qui est un garçon toujours à la recherche de la performance, impliqué. C’est un champion à tous les niveaux, mentalement et physiquement. On a beaucoup de chance. Voilà quinze ans que nous avons ce centre de formation. C’est un investissement à long terme.
Elle vient remercier l’apport de votre sponsor, Ag2r La Mondiale, qui a prolongé son partenariat jusqu’en 2020 pendant le Tour.
Pour mettre le coureur dans les meilleures dispositions, nous avons structuré l’équipe sur le plan humain et matériel. Nous avons la chance d’avoir des partenaires qui nous sont fidèles dans toutes les circonstances. Sans Ag2r La Mondiale, nous n’aurions jamais pu réaliser cela. Notre sponsor nous est particulièrement fidèle, ce qui nous laisse entrevoir des perspectives intéressantes.
La prochaine étape logique, c’est la victoire finale sur le Tour ?
A l’heure actuelle, l’équipe Sky est surpuissante. Elle domine toutes les meilleures équipes mondiales et de loin. Chris Froome a exploité toutes les filières qu’il pouvait exploiter en prenant du temps en descente et sur le plat. Il a été très fort dans les contre-la-montre comme à chaque fois. Il faut que Romain franchisse ce petit palier supplémentaire. Il n’en est pas loin. Il faut aussi que l’équipe apporte plus de puissance autour de lui pour l’encadrer. Peut-être qu’un jour Chris Froome sera moins bien aussi. Nous ne pouvons pas nous interdire de réaliser ce fameux exploit que tout le monde attend depuis si longtemps. Nous n’en sommes pas très loin.
Dès l’an prochain ?
On peut très bien terminer 10ème du Tour comme on peut envisager la victoire. Il ne faut pas le crier haut et fort. Il y a encore du travail. Nous avons besoin de nous structurer. Le Tour est rempli de circonstances de course diverses. On peut aussi en bénéficier. On n’est pas loin du compte.
Désormais, le cap est mis sur la Vuelta. Avec quelles ambitions vous y présenterez-vous ?
Un Top 5 ce serait super. On ne sait pas trop où en est Jean-Christophe Péraud. Je sais qu’il a envie de terminer sa carrière en beauté et je sais que c’est sincère. Si c’est du grand Jean-Christophe, s’il retrouve ses jambes de vingt ans, ou plutôt de trente ans, il peut réaliser de belles choses. Dès lors qu’il est dans une phase positive, Jean-Christophe reste un champion. Pierre Latour est jeune, il a beaucoup de talent, mais il manque encore d’expérience. Ce sera son premier Grand Tour et un Top 10 ce sera déjà très bien.
Propos recueillis à Chantilly le 24 juillet 2016.