Monsieur Jacquet, 48 heures après la fin de ces Championnats du Monde sur piste où l’équipe de France a rempli ses objectifs, quel premier bilan pouvez-vous tirer ?
Le bilan est évidemment très positif à double titre. Le premier, c’est par rapport aux nombres de titres. Cinq médailles d’or sur les cinq jours et deux médailles de bronze : sportivement, c’est un très bon bilan qui nous permet de nous jauger, qui nous permet de savoir où nous en sommes à l’heure actuelle sur la route qui doit nous mener à Rio. Le deuxième bilan que je tire, c’est par rapport à l’état d’esprit de l’équipe de France. Nous avions beaucoup à travailler sur le socle des valeurs, du respect, du travail, de la communication entre athlètes. Nous avons recréé une émulation. Laurent Gané a été l’un des artisans de ce dispositif. Nous voulions miser sur l’humain. Il n’y a pas d’équipe forte si elle n’est pas soudée. Depuis le mois d’octobre, avec Laurent, nous n’avons rien lâché pour que les athlètes soient dans un état d’esprit positif, de gagneur, tout en se respectant. C’est ce que j’appelle la saine émulation. Outre le fait qu’il y ait eu une superbe organisation et une superbe ferveur populaire, l’équipe de France s’est montrée combattante et conquérante.
Cet état d’esprit se traduit particulièrement sur le sprint où Grégory Baugé et François Pervis semblent avoir retrouvé leur niveau après un hiver compliqué.
Tout à fait. Cette équipe de France du sprint s’est à nouveau montrée conquérante. Elle sera de nouveau respectée au niveau où elle doit être. Le sprint avait subi quelques tumultes et quelques problématiques suite aux Jeux de Londres. Il avait connu un moment de flottement entre 2012 et 2013 avec un changement d’entraîneur national, la démission de Florian Rousseau… L’environnement n’était pas sécurisé. Aujourd’hui, force est de constater que tout le travail que nous avons effectué depuis un an et demi commence à payer. Surtout, nous commençons à reprendre une marche en avant avec les athlètes. Ils ont le curseur tourné sur Rio.
La France termine première au classement des médailles. C’est là aussi encourageant.
L’équipe est dans le match. Elle est prête. Ça se joue à peu de choses. On a vu que la densité au niveau mondial était de plus en plus importante. Il n’y a plus de petites nations. Il faut se battre sur toutes les courses. Les astres étaient alignés. Ne nous trompons pas, c’est un bilan flatteur. Mais il ne faut surtout pas penser que cette notoriété est acquise. Il faut reprendre nos fondamentaux, ne rien lâcher. Les athlètes vont partir en vacances pour se reposer. Je peux vous dire que dès la troisième semaine du mois de mars, nous allons nous remettre au boulot plein pot. Et là, il n’y aura pas de pause jusqu’à Rio.
Ces Mondiaux sont-ils garants de certitudes dans l’objectif olympique ?
Vivre avec des certitudes, c’est dangereux. On ne réfléchit plus quand on a plein de certitudes. Le potentiel de nos coureurs est là. Ils savent répondre lors des grands rendez-vous internationaux. Ils sauront répondre aux Jeux Olympiques pour qu’au bout du compte, on puisse avoir des titres et les plus convoités. On est sur le chemin de Rio. On sait que l’on a le potentiel pour faire partie des meilleures nations. Aux Mondiaux, la France termine première au classement, ce n’est pas un hasard non plus. Le travail a été remis en route.
À un mois des Championnats du Monde, le jour de l’annonce de la sélection, vous affichiez une certaine sérénité en affirmant que l’équipe de France serait prête. A posteriori, n’y avait-il pas un peu de bluff ?
Jamais de bluff avec les athlètes ! Je leur fais toujours confiance. Ce n’est pas parce qu’il y a des moments qui sont un peu plus difficiles que d’autres qu’il faut oublier le cap que nous avons fixé. Entre la conférence de presse et les Mondiaux, nous avions une problématique à gérer avec François Pervis. Il n’a pas passé un bon hiver. Nous sommes là aussi présents dans ces moments de doute. J’ai dit aux athlètes que j’avais confiance en eux. C’est important qu’ils l’entendent. Ils ont beau être de grands champions, ils peuvent parfois être dans le doute. J’avais annoncé un objectif de cinq médailles sans préciser le métal. Finalement, ce sont les cinq plus belles. C’est au-delà de ce que j’avais prévu.
Ces Championnats du Monde ont également été des plus réussis pour l’endurance.
Nous avons une renaissance de la poursuite par équipes et de la poursuite individuelle. Nous avons fait le pari avec la direction nationale de reprendre en main cette culture du cyclisme français. Nous n’avons plus de titre olympique depuis 1996, plus de titre mondial depuis 1998. Il était important que nous puissions retravailler notre base sur la filière de l’endurance. Il y a six mois, la France était la 29ème nation en poursuite par équipes avec un temps autour de 4’10 ». Aujourd’hui, on rentre dans le Top 7 avec un 3’58 ». Là, le travail commence. On sait que cette équipe peut faire mieux. L’objectif, c’est la qualification olympique. Encore une fois, il y aura beaucoup de travail à faire pour accompagner cette équipe pour aller chercher les secondes qui nous séparent du Top 5 et du Top 3. Nous avons montré au milieu routier qu’avec des objectifs planifiés avec les équipes professionnelles, nous pouvions avoir une équipe compétitive. Sans oublier la victoire de Bryan Coquard et de Morgan Kneisky sur l’américaine, sélection que certains spécialistes ont pu critiquer.
La médaille de bronze de Julien Morice en poursuite individuelle est à ce titre hautement symbolique.
Cette médaille, je ne l’avais pas présagée ! Elle symbolise le travail que nous voulons mettre en place sur la poursuite individuelle. C’est une très belle surprise.
Est-ce la réussite qui vous est la plus personnelle ? Est-ce celle qui symbolise le mieux votre apport en tant que Directeur Technique National ?
Non, mon travail est de mettre les conditions en place. Je ne vais pas pédaler à la place des athlètes. Ce sont eux qui font le boulot. Il faut leur faire comprendre que tout ce que nous sommes en train de mettre en place sert à faire aboutir leurs projets sportifs. Ce n’est pas une victoire personnelle. C’est la victoire d’un staff qui a su structurer tout un environnement et qui est encore en train de travailler. J’étais ce matin avec tous les intervenants qui ont participé de près ou de loin à la préparation des athlètes pour ces Championnats du Monde. Nous étions sur la perspective qui s’ouvre à nous. Nous continuons d’affiner notre approche et notre accompagnement. La dynamique que j’ai souhaité mettre en place n’était plus existante quand je suis arrivé. C’était mon plus gros challenge et nous sommes en passe de le remporter. Mais attention, ça tient à de la relation humaine, à de la communication. Nous travaillons pour atteindre les résultats. Se remettre en question, savoir si on est dans le juste, c’est mon boulot de tous les jours.
Les sept médailles ont été apportées par les Messieurs. Que manque-t-il aux filles pour s’intégrer dans le plus haut niveau mondial ?
Encore du travail. Il faut que je sois plus proche encore de leurs projets individuels. Nos féminines ne sont pas sécurisées dans leur vie sociale : elles n’ont pas de boulot, elles sont dans la précarité de leur contrat. Pour ma part, l’objectif après ces Mondiaux, c’est de sécuriser cette partie de leur vie. C’est de faire en sorte qu’elles ne se posent pas la question de savoir quand leurs Assedic vont tomber, si elles vont avoir leur paye à la fin du mois. Pour certaines, on en est là ! J’ai besoin de les mettre en condition pour qu’elles n’aient pas le souci de savoir si elles pourront payer leur essence, leurs prêts ou leur logement à la fin du mois. Quand un athlète n’est pas à 100 % dans la compétition et que des satellites viennent le perturber, c’est compliqué. Nous avons cependant des points positifs concernant les féminines. Virginie Cueff bat son meilleur temps sur le 500 mètres. Elle est dans le match avec sa 6ème place. On accompagne Sandie Clair pour qu’elle puisse continuer à bien bosser et qu’elle essaye de s’isoler pour être pleinement dans son projet. Même chose pour Olivia Montauban. Elle a besoin de travailler plus fortement pour qu’elle prenne confiance en elle. Elles en ont toutes les trois la capacité. Il nous faut juste encore un peu de temps pour que l’on arrive à maturation avec ces féminines.
Propos recueillis le 24 février 2015.