Tony, trois jours après avoir endossé le maillot jaune pour vingt-quatre heures, vous voilà vainqueur d’étape sur le Tour de France…
Je n’aurais jamais imaginé ça… Dimanche à Mulhouse, c’était presque l’un des plus beaux jours de ma vie, quand lundi vers la Planche des Belles Filles j’ai vécu l’une de mes pires journées sur un vélo. Hier je n’ai pas passé une super journée de repos. J’ai attrapé un petit rhume, alors gagner aujourd’hui je n’y pensais pas une seconde. Les jambes ont été lourdes une partie de la journée et j’ai longtemps été persuadé que l’échappée allait aller au bout. Ce n’est que dans la dernière heure, quand les Cannondale ont commencé à rouler derrière les trois de tête, que je me suis aperçu que les jambes tournaient bien. C’est souvent comme ça avec moi. A une heure de l’arrivée, je me débloque. Je suis alors descendu à la voiture de Marc Sergeant pour voir à quoi ressemblaient les 5 derniers kilomètres.
Vous étiez pourtant venu reconnaître cette étape tout particulièrement ?
Oui, lors d’un stage du côté des Rousses. Je suis venu m’entraîner ici juste avant le Tour, sur une idée de mon père. Nous n’étions pas loin, cette étape correspondait à mes caractéristiques. Mais nous nous étions arrêtés à l’entrée d’Oyonnax. Ça m’a néanmoins donné des idées. Cette reco m’a vraiment servi aujourd’hui. Je connaissais cette petite bosse qui n’était pas répertoriée, je savais qu’on allait emprunter une petite route, très difficile. Celle où j’ai porté mon démarrage. Pourtant, quand j’ai compris que l’étape allait se jouer entre costauds, je pensais davantage à un sprint en petit comité. Cette attaque, je ne l’avais pas préméditée. Ce n’est qu’à 20 kilomètres de l’arrivée, quand j’ai senti que j’avais vraiment de bonnes jambes, que je me suis dit qu’il fallait que j’essaie quelque chose.
Vous découvrez-vous de nouvelles qualités sur ce Tour ?
Je ne pense pas. J’essaie toujours de faire mon chemin. J’ai toujours eu la confiance de mon équipe. Marc Sergeant était clair avec moi : j’étais là pour aider mais aussi pour aller chercher une étape. Mais je pense en revanche que je ne tente pas assez d’attaques de ce genre dans le final. Je me sais rapide au sprint, ce qui fait que j’ai souvent tendance à attendre le final et à me focaliser sur un Sagan, qui va toujours me battre, et dans ces conditions je ne suis jamais là pour la victoire. Je suis assez régulier, même si souvent je suis dans l’ombre des plus grands noms. Aujourd’hui je gagne un peu comme je l’avais fait il y a un an sur la Clasica San Sebastian. Je dois me décomplexer d’être face aux meilleurs, et tenter davantage des choses comme ça.
Qu’aviez-vous en tête dans les derniers mètres ?
C’était difficile d’y croire jusqu’au bout, même si dans l’oreillette on me poussait, on me répétait de ne pas me retourner, de foncer. Combien de fois on voit des coureurs se faire rattraper à 10 mètres de la ligne… Aux 500 mètres j’ai vu qu’il y avait encore un bel écart. Je me suis dit qu’il ne devait plus y avoir trop d’équipiers pour emmener derrière. A 100 mètres je me suis retourné une dernière fois, je me suis dit que ça allait le faire et c’est devenu fantastique.
L’émotion est-elle différente entre le port du maillot jaune et une victoire d’étape ?
C’est plus dur à croire que le maillot jaune car le maillot, je l’avais dans la tête depuis cinq jours et j’y ai pensé tout du long de l’étape dimanche. C’est venu en récompense d’une stratégie bien pensée. Aujourd’hui, gagner cette étape, je ne m’y attendais pas du tout. Jusqu’à 100 mètres de la ligne, je refusais d’y croire. Je pensais que ça allait revenir, que j’allais me faire rattraper. Le sentiment est plus fort après cette victoire d’étape. Celle-là, je suis vraiment allé la chercher de toutes mes forces. Ce qui se passe depuis trois jours est incroyable.
Vous occupez le 5ème rang du classement général, cela change-t-il le rôle qui vous a été dévolu par rapport à Jurgen Van Den Broeck ?
C’est clair et net depuis le début. Il faut être honnête : quand je regarde le classement, je me dis qu’une 15ème place finale à Paris serait à ma portée, mais ce ne serait pas franchement utile quand on a un coureur qui joue le podium comme Jurgen Van Den Broeck. On fera le point dans les Alpes vendredi et samedi, mais la montée de Chamrousse dans deux jours devrait me remettre à ma place.
Propos recueillis à Oyonnax le 16 juillet 2014.