Thomas, où en êtes-vous de votre convalescence ?
Je me suis fait opérer il y a deux semaines. Je ne peux pas dire que ce soit douloureux. La clavicule est fracturée mais j’ai une plaque, des vis, et ça va se consolider. J’ai pu reprendre une activité physique plus qu’un entraînement. Il est encore prématuré pour l’annoncer mais je devrais vite faire mon retour à la compétition. En revanche, pour être à 100 % de mes moyens, ça demandera quelques semaines. Je risque de connaître des moments plus difficiles que je ne l’espérais avant le mois d’avril.
Est-ce frustrant de voir sa préparation hivernale pratiquement réduite à néant avant même le premier rendez-vous ?
C’est le mot : frustrant. Je me suis donné la peine de bien travailler cet hiver pour être bien en début de saison, j’étais encore à la recherche de condition, et ça décale tout, surtout par rapport à l’adversité. Quand ça arrive après quelques semaines de compétition, on peut raisonner en se disant que c’est un mal pour un bien, qu’on aura de la fraîcheur pour la suite. Mais là pendant que les autres courent, moi je suis à l’arrêt. Je n’ai plus 20 ans non plus. Il me faut donc plus de temps et de compétitions pour retrouver mon meilleur niveau. C’est pourquoi c’est pénalisant. Je serai sans doute à Paris-Nice, où je voulais être bien, mais ce ne sera pas avec des jambes de feu.
L’an passé, votre fracture de la clavicule au mois d’avril avait engendré un décalage de votre pic de forme. Comment allez-vous gérer cette situation ?
L’an dernier je suis tombé à l’Amstel, à une période où j’étais très affûté. J’ai ensuite réalisé un très beau mois de juin avec trois victoires mais je me suis peut-être brûlé les ailes. Quand juillet est arrivé, pensant que j’allais poursuivre sur ma lancée, j’ai coincé. Maintenant il ne faut pas chercher à comparer les années et les blessures. Il faut surtout analyser, se poser et regarder quelle sera la meilleure marche à suivre. Sans reproduire des schémas.
Quel impact va avoir ce contretemps sur votre saison ?
J’avais pour ambition d’être bien en début d’année afin d’avoir des résultats concrets avant le Tour de France, de mettre de belles performances de côté pour aborder le mois de juillet sereinement. Maintenant, ça va mettre un moment avant que je sois à 100 % et que je puisse prétendre faire des résultats. Je vais déjà voir comment se passe ma reprise en compétition, où je me situerai physiquement. De là je pourrai élaborer des objectifs. Mais pour le moment ça reste prématuré de le faire. Tout ce que je sais c’est que le mois de juillet sera le moment le plus important. Et que j’espère avoir les moyens de performer avant.
On vous dit captivé par les classiques ardennaises mais vous faites toujours du Tour la priorité de votre calendrier ?
Je n’ai pas pris trop de plaisir sur le Tour 2013. Sans parler de faire aussi bien qu’en 2011 et 2012, j’avais envie de faire de belles choses, or ça n’a pas été le cas. Il fallait bien que ça s’arrête à un moment. Cette année, plutôt que de parler d’objectifs, j’ai envie de reprendre du plaisir, tout simplement. Et de faire bouger la course. Je ne veux pas faire n’importe quoi mais je ne veux pas me freiner. A l’image de ce que je fais habituellement. Il y aura d’autres courses avant, mais je ne cache pas qu’à la sortie d’un Tour en demi-teinte, je veux à nouveau m’épanouir sur le vélo en juillet. Et revivre de bons moments.
Que va changer l’accession de l’équipe au WorldTour ?
Nous participions jusque-là aux plus grosses courses de par les invitations. Désormais, nous avons un accès automatique à ces courses. Mais plus que pour moi qui aurai sensiblement le même programme, ça va changer pour l’ensemble du groupe et lui permettre de grandir. Nous sommes les petits poucets du WorldTour en termes de budget, très inférieur à la moyenne du peloton, mais ça ne nous empêche pas d’avoir des ambitions. Cet accès aux trois Grands Tours et aux plus belles classiques peut donner l’occasion à d’autres coureurs de progresser en étant opportunistes. C’est pour le collectif et la pérennité de l’équipe que les choses vont changer.
Comment voyez-vous évoluer votre rôle dans un groupe qui ne tourne plus nécessairement autour de vous ?
Mon rôle reste le même, à la différence effectivement que je ne suis plus le seul leader. Pierre Rolland, en gagnant deux étapes sur le Tour et en faisant deux fois dans les dix premiers, a prouvé qu’on pouvait plus que compter sur lui. C’est un vrai coureur de Grands Tours. Bryan Coquard, lui, excelle dans le domaine du sprint, une nouveauté pour nous. Il nous faut nous adapter à lui également. Mon rôle reste toujours d’être le pilier et, au-delà, de tirer le groupe vers le haut, de faire passer un état d’esprit conforme à la maison Bernaudeau. Tout en étant là en termes sportifs.
Ces chutes à répétition, est-ce l’indicateur d’une carrière qui touche à sa fin ?
Jusque l’an dernier, je n’étais pas beaucoup tombé dans ma carrière. En dehors de Paris-Nice et de ma première fracture de la clavicule en 2009, je passais à juste titre pour un coureur qui ne tombait pas beaucoup. Je me suis pas mal rattrapé. Disons que je pense forcément à ma fin de carrière. Je ne suis pas bête, je vois bien que le temps passe, que des coureurs de ma génération arrêtent et que des jeunes arrivent. C’est logique d’y penser quand on a 34 ans car dans le sport on ne prend pas sa retraite à 65 ans ! Ce ne serait pas responsable de ne pas y penser un peu pour anticiper car nous ne sommes pas footballeurs. Le jour où ça s’arrêtera, je ne pourrai pas vivre pendant dix ans sur ce que j’ai gagné sur le vélo. Mais pour l’instant ce n’est clairement pas dans mes projets.
Propos recueillis à Paris le 3 février 2014.