Thibaut, deux jours avant le départ du Tour de France, vous avez choisi de clarifier votre avenir en resignant pour la FDJ ?
J’ai choisi de signer pour deux années de plus. Dans deux ans, j’aurai 28 ans et je serai alors en pleine possession de mes moyens. On verra alors si je continue de progresser comme je le fais depuis que je suis passé pro en 2010. J’étais en fin de contrat, j’ai reçu de belles offres de l’étranger qui pouvaient prêter à réfléchir, mais ma priorité était de rester à la FDJ. Il y a eu des réflexions, du pour et du contre. Certaines équipes me proposaient un projet très intéressant, avec des conditions financières bien supérieures, mais je me donne encore deux ans à la FDJ, et on verra à ce moment-là comment ça se déroule. Je n’exclue pas un jour de courir dans une équipe étrangère, mais pour l’instant je me plais vraiment à la FDJ.
Cet engouement des équipes étrangères vous témoigne d’un changement de statut ?
Ça prouve que je fais désormais partie de ces leaders très courtisés. Quand des grosses équipes ont l’intention de monter un gros projet autour de toi, c’est valorisant. J’ai toujours écouté et respecté ce qu’on me proposait. Mais désormais le contrat est signé. Ayant toujours eu la confiance des dirigeants, je n’ai pas été tellement perturbé par les tractations autour de mon avenir. Mais c’était important que cela soit réglé avant le Tour pour ne penser qu’à la course, car ensuite je souhaite me concentrer sur les Jeux Olympiques.
Vous abordez le Tour de France fort d’une préparation optimale et de résultats remarquables, cela vous enlève-t-il de la pression ?
C’est sûr que j’arrive au Tour plus serein du fait des résultats que j’ai obtenus en première partie de saison. J’ai six victoires, je fais partie du Top 10 mondial, ma première moitié de saison a été une réussite. Si le Tour de France se passe bien, ce sera tout simplement une excellente saison. Et si ça doit mal se passer, ça restera malgré tout une bonne saison. Je sais que beaucoup jugent une saison sur la base du Tour, mais quoi qu’il arrive, avec six victoires, un podium au Tour de Romandie (3ème) et un titre de champion de France du contre-la-montre, ce sera pour moi une saison réussie.
Vous attendiez-vous à une telle réussite ?
Je voulais faire un gros début de saison, car pour moi c’est important d’être performant dès la rentrée, ce qui a été le cas dès la Marseillaise (2ème). Tout s’est alors bien enchaîné. Je n’ai été ni blessé ni malade, ce qui m’a permis de faire une saison très régulière jusqu’au Championnat de France. En dehors peut-être de ma victoire dans le contre-la-montre du Tour de Romandie, je ne me suis pas épaté car je sais que nous gérons très bien mon programme d’entraînement. Je savais que j’arriverais à garder un certain état de fraîcheur sur chaque course.
Qui pointez-vous pour favoris du Tour ?
Contador, Froome et Quintana, ce sont les trois noms qui reviennent souvent. Alberto Contador a le don d’attaquer là où on ne l’attend jamais, c’est ce qui fait sa force. Nairo Quintana m’a épaté à plusieurs reprises. Quant à Chris Froome, on a encore vu au Dauphiné qu’il était là, ce qui fera toujours de lui, à mes yeux, le grand favori à battre. Nibali de son côté sort du Giro alors qu’on n’a pas trop vu Aru cette année. Comme tous les ans, il y a beaucoup de candidats au podium, mais on sait aussi que certains favoris auront des défaillances, que d’autres vont surprendre. Un Tour de France, c’est beaucoup de péripéties. Entre la liste de départ et celle de l’arrivée, ça n’a souvent rien à voir.
Votre objectif minimum, c’est le Top 5 ?
C’est le minimum, oui, bien qu’entre un Top 5 et une victoire d’étape, je signerais sans doute autant pour la victoire d’étape, qui serait une joie très particulière. Mais au départ du Tour de France samedi, l’objectif sera une place dans les cinq premiers du général. Et si en plus j’arrive à battre les leaders à la pédale sur une étape, ce sera parfait.
Vous donnez-vous toutefois une chance de gagner le Tour dès cette année ?
A compter du moment où je prends le départ, oui. J’y crois, mais je reste lucide. Je ne veux pas m’enflammer, me dire que je vais gagner le Tour de France. J’en suis encore loin mais je vais faire du mieux possible. Je prends le départ dans une position plus avantageuse qu’en 2014, quand j’avais terminé 3ème, mais je ne cherche pas à comparer les éditions. Entre faire 3ème du Tour de France et le gagner, il reste une marche impressionnante. Je sais que d’année en année je continue à progresser, et j’espère le faire encore le plus longtemps possible.
Entre Romain Bardet 2ème du Critérium du Dauphiné, Warren Barguil 3ème du Tour de Suisse, Julian Alaphilippe 1er du Tour de Californie, vous-même 3ème du Tour de Romandie, ce Tour 2016 s’annonce favorable aux coureurs français ?
De tous les Tours de France que j’ai faits, celui-ci rassemble c’est vrai un grand nombre de favoris et outsiders côté français. On peut très bien retrouver trois ou quatre Français dans les dix premiers à Paris. On devrait voir du Français cette année, même si malheureusement on ne sera pas là pour s’entraider. Une victoire d’étape sur le Tour, ça vaut cher. On verra néanmoins en fonction des circonstances de course. Je ne sais pas si Bernard Hinault (NDLR : dernier vainqueur Français du Tour de France en 1985) verra un successeur cette année, mais je suis convaincu que dans les cinq ans à venir un Franç ais sera vraiment capable de gagner le Tour.
Ressentez-vous une pression supplémentaire par rapport aux attentes ?
La pression reste la même depuis que j’ai foulé le podium en 2014. Elle est assez dure à porter, mais on fait avec en essayant de se plonger dans le Tour de France. Une fois qu’il sera lancé, la pression va redescendre.
Qu’est-ce qui fait la singularité de ce Tour de France ?
La dernière semaine sera très dure, mais on va avoir affaire à de très belles étapes de montagne. Il n’y a pas de pavés en première semaine, c’est déjà pas mal. Sur le papier, ça générera un peu moins de stress, bien que ce soit autre chose sur le terrain. On a toujours peur d’une chute ou d’une cassure, ce qui change alors la course. Mais on arrivera dans les premières difficultés mercredi, au bout de cinq jours, ça devrait aider. Le fait d’avoir désormais le chrono pour point fort, c’est aussi très important. L’objectif est d’y arriver avec une perte de temps minimale. La première semaine va régler mon Tour de France.
Y a-t-il une étape qui vous inspire plus que les autres ?
Pas spécialement, même si comme tout coureur français on pense tous au 14 juillet au Mont Ventoux. Une étape que chacun rêve de gagner. Le Mont Ventoux, c’est une étape que je redoute beaucoup. Je me rappelle l’avoir grimpé malade, en 2013, avec 40 de fièvre. Ce jour-là reste le pire moment de ma carrière. J’étais tellement malade que j’ai cru que j’allais y rester. J’ai une revanche à prendre, dans une montée où il fait souvent très chaud. Gagner là-haut serait une grande victoire.
Propos recueillis à Saint-Lô le 30 juin 2016.