C’est ce qui s’appelle une reconversion réussie. A 38 ans, le Rennais Stéphane Heulot est depuis un an à la tête de l’équipe Saur-Sojasun (anciennement Besson Chaussures), dont il est le manager général. Il dirige aujourd’hui une entreprise de quarante-trois salariés, avec des valeurs auxquelles il tient tout particulièrement. Fort de son expérience du cyclisme professionnel, dont il fut l’un des beaux ambassadeurs dans les années 90, champion de France et porteur du Maillot Jaune en 1996 notamment, Stéphane Heulot a conclu avec nous notre fil rouge de 2009, qui consistait à vous faire découvrir les métiers qui gravitent autour du cyclisme. Après directeur sportif, mécanicien, entraîneur, agent, planificateur d’entraînements, kiné, cuisinier, chauffeur de bus, médecin, attaché de presse, préparateur mental, voilà le métier de manager.
Stéphane, comment définissez-vous le rôle de manager général ?
J’agis comme un chef d’entreprise. La SA qui gère l’équipe Saur-Sojasun, Breizh Cyclisme Compétition, dont je suis le Président Directeur Général, compte quarante-trois salariés. Ca ressemble déjà plus à une PME qu’à une petite entreprise. Je souhaite, dans mon rôle, garder un pied dans le sportif parce que c’est ce que je sais faire de mieux. C’est une coordination générale avec un œil sur tout.
Quelles sont les grandes étapes qui vous ont amené à ce poste-là ?
La passion avant tout, il n’y a pas véritablement de diplôme pour ce poste. Beaucoup de managers généraux se désignent ainsi. Je sais que certaines personnes sont beaucoup plus compétentes que moi sur certains points mais je suis entouré de gens qui savent faire ce qu’ils font dans leur domaine. Mon idée, c’est de coacher des gens et mettre les bonnes personnes aux bons postes, avec les bonnes responsabilités.
Un certain nombre de vos confrères refusent ce terme de manager, comment l’appréhendez-vous vous-même ?
C’est un titre qui ne veut pas dire grand-chose effectivement, dans le sens où c’est souvent une définition personnelle. Je suis aujourd’hui Président Directeur Général de l’entreprise que je dirige. Après, je me mets plus au statut de directeur sportif parce que je suis secondé sur le plan du management et de la direction par Philippe Raimbaud, qui est le directeur du développement. Nous sommes plus dans des appellations d’entreprise que dans des appellations sportives.
Lorsque vous étiez coureur, aviez-vous déjà certains gênes communs avec l’activité de manager ?
J’ai toujours été très attiré par la formation. Je me suis réconcilié avec le vélo grâce à ça. C’est venu simplement. Je dirige en outre deux SARL dans le commerce et dans les relations publiques. Je connais la gestion d’entreprise. Ma meilleure façon d’apprendre ce métier a été de gérer une équipe amateur, faire le maximum avec peu de budget, prendre de la démagogie sur tout. Le coaching n’est pas un vain mot, ça s’apprend.
Si vous deviez conseiller un jeune manager, vous lui conseilleriez de faire une formation sur le tas ou à travers des études ?
Je pense que la vie nous apprend beaucoup. Le cyclisme reste un milieu trop fermé pour que demain on puisse avoir un manager hors contexte vélo. C’est paradoxal, pas forcément normal, mais le passé cycliste aide beaucoup dans les connaissances et rencontres que l’on peut faire, et il nous donne l’opportunité de défendre un projet. Ca ne met pas forcément en avant les qualités nécessaires pour être manager mais c’est ainsi. Je pense qu’il faut avoir un passé sportif pour connaître le milieu et avoir un bagage assez important pour pouvoir gérer une entreprise. C’est là la vraie problématique.
Diriez-vous qu’il y a un type de manager à la française par rapport à vos confrères étrangers ?
J’ai toujours fonctionné comme j’avais envie de le faire. Avec mes convictions, avec mon éducation et les valeurs que je défends. Le reste, je m’en préoccupe peu. Je n’ai pas de modèle, je ne m’inspire de personne. Il y a peut-être à prendre chez les uns et les autres mais je n’ai pas de modèle.
Quelles ont été les tâches les plus simples et les plus compliquées dans votre fonction ?
Ma tâche la plus simple a été de se réconcilier avec le cyclisme et d’avoir envie d’y faire quelque chose avec passion. Le plus difficile a été de trouver des gens attentifs, à l’écoute du projet que nous voulions défendre. Et le plus dur a été de se relever à chaque fois qu’il y a eu une réponse négative au bout du dossier et de repartir à zéro avec une autre démarche, surtout quand on y a cru avant.
A l’image de vos coureurs, vous remettez-vous en question au terme d’une saison ?
Totalement ! J’ai envie de dire même à chaque course. On a connu beaucoup de joies en 2009, on a beaucoup gagné. Et on a toujours peur que ça s’arrête alors il faut vite savourer le moment et penser immédiatement à l’après, ne rien laisser au hasard de manière à pouvoir toujours progresser. J’ai une règle d’or : stagner, c’est régresser. Je ne peux pas imaginer que ça ne bouge pas, que ça n’évolue pas dans le bon sens.
Les oreillettes vont disparaître progressivement, est-ce un vœu que vous formulez ?
Non. Je pense qu’on est dans un sport d’évolution. Aujourd’hui, on a fait un grand pas avec les oreillettes, non pas sur le plan stratégique, mais sur le côté sécuritaire. J’espère ne pas être un oiseau de mauvais augure mais des accidents vont se produire. Retirer les oreillettes aujourd’hui avec l’évolution de l’urbanisme me semble dangereux. En cas de chute collective, ce sera peut-être beaucoup plus dramatique qu’une course soi-disant pipée. La seule étude réalisée à ce jour sur les oreillettes a prouvé qu’elles n’influençaient en rien l’aboutissement d’une échappée en solitaire. Je l’ai transmis à David Lappartient mais il n’en a apparemment pas tenu compte. Aujourd’hui on exige des diplômes de la part des gens qui s’occupent des jeunes, mais on leur retire un outil sécuritaire. Ca me paraît contre-évolutif. On peut aussi revenir aux boyaux autour du cou, supprimer les voitures suiveuses parce que ça pollue trop…
Comment vous voyez-vous dans cinq ans ?
Deux solutions : soit encore là, soit plus là ! J’espère avoir la même émotion qu’aujourd’hui, la même fierté aussi d’avoir franchi tous les obstacles qu’on a mis sur ma route, j’espère regarder toujours droit devant moi et n’avoir rien céder à mes convictions et à mes valeurs d’aujourd’hui.
Propos recueillis à Paris le 12 janvier 2010.