Roger, l’objectif à terme pour le Mouvement Pour un Cyclisme Crédible est d’arriver à enrôler la plupart des équipes sur le plan mondial. Pensez-vous qu’il soit possible d’atteindre la totalité des équipes du plus haut niveau mondial ?
Aujourd’hui on est à 50 % du circuit WolrdTour, et à plus de la moitié des équipes Continentales Pro (quinze sur vingt-et-une, NDLR). On commence donc à avoir une bonne adhésion. Evidemment, l’idéal serait que toutes les équipes adhèrent à notre règlement à l’avenir. Je pense que c’est possible, mais on verra… Une chose est sûre, c’est que l’on est passé de sept équipes au mois de septembre à trente-six à ce jour. Ceci prouve qu’il y a une vraie volonté de changement du côté des managers d’équipes. La plupart de ces derniers nous rejoignent dans le but d’afficher leurs bonnes volontés pour rendre le cyclisme plus crédible. Les organisateurs, les fédérations et les sponsors adhèrent aussi à notre mouvement. C’est très motivant. Notre façon d’appréhender le problème du dopage intéresse toutes les parties prenantes du cyclisme, qui trouvent que c’est une réponse concrète. Le fait de mettre les managers devant leurs responsabilités est une réelle nouveauté.
Quels sont les critères requis pour qu’une équipe soit acceptée au MPCC ?
On a créé ce mouvement à Londres en 2007, car on considérait – et on considère toujours – que les managers ont le devoir moral de dire non au dopage. Ils ont le pouvoir car ce sont eux qui décident de choisir leurs collaborateurs, de choisir leurs médecins et de choisir leurs coureurs. Ce sont eux qui ont le choix, et personne d’autre ! Vu qu’ils ont tous les pouvoirs, ce sont eux qui imposent leurs règles. Ils ont donc le choix de nous rejoindre et d’adhérer à notre règlement. S’ils nous rejoignent, ils doivent alors accepter nos règles. Par exemple, le manager ne doit plus engager un coureur sur les courses s’il a été « pris par la patrouille ». Si un coureur a été contrôlé avec des produits lourds, le manager doit engager une procédure de licenciement envers le coureur pris, et s’engager à ne plus le recruter.
Il faut aussi que le manager accepte ce que l’on appelle l’autosuspension. En quoi cela consiste ?
Par exemple, si son équipe voit deux de ses coureurs contrôlés positifs en moins de douze mois, l’équipe se voit infliger une suspension. Cette autosuspension sert aussi à montrer au manager qu’il est temps qu’il s’interroge sur ce qui se passe à l’intérieur de son groupe. Tous ces engagements sont des engagements forts. S’il accepte ces règles, le manager doit s’engager à les appliquer au sein de son équipe. Voilà tout ce qu’il faut faire pour entrer dans notre mouvement.
Pour vous, le problème vient uniquement des managers ?
Le centre des problèmes vient des managers effectivement, et c’est ce pour quoi on lutte avec le MPCC. C’est un fait à chaque affaire de dopage – depuis les affaires dans les pays de l’est – le problème vient à chaque fois d’un manager, d’un entraîneur ou d’un médecin. Nous on s’attaque au dopage, et non à l’antidopage, dont on voit bien les limites depuis quelques temps. C’est donc aux responsables d’équipes d’agir pour recrédibiliser le cyclisme !
Ne pensez-vous pas que certaines équipes se sentent contraintes de se fondre dans le moule, en rejoignant elles aussi le MPCC ?
L’objectif du MPCC est que le maximum d’équipe accepte et applique nos règles. Ce sont des règles très dures ! C’est un engagement fort que prennent les managers en nous rejoignant. De ce fait, il est difficile de se fondre dans le moule, parce qu’il va falloir appliquer ces règles-là. L’engagement c’est une chose, mais après il faut une application. Comme on repose sur la base de volontariat on est obligé de faire confiance aux équipes qui viennent.
Le MPCC participe, à sa façon, à la diminution voire à la disparition du dopage dans le cyclisme. Cet objectif est-il réellement réalisable, selon vous ?
L’objectif premier est de (re)crédibiliser le cyclisme, parce qu’il a perdu beaucoup de crédits, notamment à cause du dopage organisé. Le MPCC a pour but de donner une bonne image du cyclisme. Pour cela il faut donc passer par une diminution du dopage, c’est sûr. En appliquant les règles du MPCC je pense qu’il va y avoir une vraie pression sur les managers d’équipes et aussi sur les athlètes. Avec l’application de ces règles le dopage devrait donc diminuer, mais la disparition du dopage est presque impossible car, comme dans toutes sociétés, il y a, et il y aura toujours, un pourcentage de gens qui trichent… Le sport n’est pas exempt de tout cela. La suppression du dopage organisé, elle, est possible. Les seuls qui peuvent enrailler ce phénomène, ce sont les managers d’équipes !
Que pensez-vous des aveux de Lance Armstrong ?
Les aveux de Lance Armstrong ne changent rien ! Il y a eu d’abord la suspicion, la confirmation puis la sanction. Les aveux ne font que confirmer de manière formelle qu’il a triché durant toute sa carrière. Il serait intéressant de savoir exactement quel était le degré d’implication du staff de l’équipe. C’est le chaînon manquant…
Durant la période Armstrong, vous étiez en plein cœur du peloton professionnel. Etiez-vous au courant de tout ce qui se tramait ?
Tout le monde savait qu’il y avait un problème. Il y a toujours eu des suspicions par rapport aux victoires de Lance Armstrong. Il y avait des doutes, c’est sûr, mais le problème était qu’à cette époque l’EPO était certes interdit mais les scientifiques ne savaient pas trop comment la détecter. Il était évident que même si cette substance était interdite, des athlètes s’en servaient. La problématique à cette époque était de démontrer que tous ces coureurs trichaient… Par exemple, pour Armstrong, aujourd’hui on n’a toujours pas démontré par l’antidopage traditionnel qu’il était « dopé ». Sa chute ne repose que sur des témoignages !
Pourquoi ces affaires n’apparaissent au grand jour que maintenant ?
Cette affaire aurait pu apparaître au début, dans la mesure où le radar aurait été capable de détecter l’EPO dans le sang ou dans les urines, mais ce n’était pas le cas. C’est la problématique de l’antidopage : l’antidopage est toujours en retard par rapport au dopage, et ça c’est un problème…
Vous, votre objectif, c’est de vous occuper du futur et non pas du passé ?
En ce qui nous concerne, on ne se préoccupe pas du passé. C’est le boulot de l’Agence Mondiale Antidopage, de l’Union Cycliste International, du Tribunal Arbitral du Sport, des agences nationales et de la police… Nous on se préoccupe du futur du cyclisme ! Par contre, il ne faut plus qu’il y ait de suspicion sur le passé pour pouvoir passer vers le futur.
Quel est votre avis sur Change Cycling Now, le nouvel organisme créé il y a peu ?
On voit bien qu’à la suite de l’affaire Armstrong, il y a eu plein de gens qui ont voulu s’investir dans la lutte contre le dopage, c’est bien. Plus on sera, mieux c’est !
Durant votre carrière de manager vous avez dirigé de nombreux coureurs. Parmi ceux-ci il y a eu Pierre Rolland. Pensiez-vous à cette époque qu’il allait devenir l’un des meilleurs grimpeurs mondiaux ?
Pierre je le connais bien puisque je l’ai eu comme néo-pro au Crédit Agricole. Il était évident à l’époque, notamment avec sa bonne prestation sur le Dauphiné, que ce garçon avait un gros potentiel en montagne. Il a maintenant confirmé son potentiel en gagnant deux étapes du Tour, dont une à l’Alpe d’Huez à la pédale, et non pas grâce à une échappée. On sait tous désormais qu’il a du talent ! Il fait maintenant partie des grands grimpeurs du moment et, évidemment, cela l’amène dans les dix premiers du Tour. Il rentre maintenant dans la phase « profonde » de sa carrière : il doit se positionner en protagoniste du Tour, en jouant les tout premiers rôles ! Après pour réussir à gagner le Tour il va falloir qu’il continue de progresser en montagne, mais aussi stratégiquement, et dans le contre-la-montre, sujet problématique pour lui.
Comment expliquez-vous l’émergence des Français sur le plan international depuis deux-trois ans ?
Je l’ai toujours dit, le cyclisme français dispose de bonnes structures, de bons sponsors, de bons dirigeants, etc. On a vraiment un haut niveau de professionnels ! Après, pour performer au plus haut niveau, il faut bien entendu avoir des coureurs de talent. Aujourd’hui on a de gros talents comme Démare, Bouhanni ou Rolland. Chacun dans leur spécialité respective : le sprint et la montagne. Eux ont le niveau des meilleurs mondiaux, c’est sûr. De toute façon, pour exister sur le plan mondial, il faut être soit un super sprinteur, soit un super grimpeur, ou bien un super rouleur. Dans les deux premières catégories, on a des jeunes qui ont vraiment du talent et qui bataillent avec les meilleurs mondiaux. On se retrouve donc avec une nation pleine d’avenir, du fait du talent de nos coureurs, du sérieux des managers et de la bonne organisation des structures.
Propos recueillis par Alexis Rose le 19 janvier 2013.