Pierre, vous entrez aujourd’hui dans le cercle des vainqueurs d’étape du Tour de France, vous imaginiez-vous l’intégrer un jour ?
Cette image-là, je l’ai eue un paquet de fois, cette fois je l’ai fait. Ce n’est pas une étape que j’ai gagnée, c’est l’Alpe d’Huez ! Gagner en haut d’un col était un rêve. Je m’entraîne pour ça. Je ne dénigre pas les autres courses mais ce qui me fait vibrer, ce sont ces courses qui se jouent en montagne : le Tour de France, le Critérium du Dauphiné…
A quel moment avez-vous envisagé la victoire ?
Dès que Thomas m’a donné carte blanche pour jouer ma carte personnelle. Il m’a dit « vas-y Pierre, joue ta carte, va chercher le maillot blanc ». Sur le coup, j’ai suivi Evans, les Schleck, Cunego et compagnie. Nous sommes revenus sur le groupe de tête. Vu que c’était un peu le bazar et que je connaissais bien la petite bosse dans la vallée, j’ai mis une bonne attaque. Et pus je connaissais très bien l’ascension de l’Alpe d’Huez, que nous avons abordée avec une trentaine de secondes d’avance avec Ryder Hesjedal.
Comment avez-vous réagi au moment où Alberto Contador est rentré sur vous ?
Contador a fait une attaque à sa manière, alors je suis resté calme à 20 secondes de lui. Puis quand on m’a dit dans l’oreillette que Samuel Sanchez revenait, je me suis dit que si je pouvais rentrer sur Contador, ce serait grâce à lui. J’avoue avoir profité de son travail, mais c’est le jeu. Lui jouait le classement général, moi surtout l’étape. Quand nous sommes rentrés, je savais qu’au virage numéro 1, j’étais capable d’attaquer. Je ne savais pas si je pouvais les lâcher mais je connaissais par cœur cette montée pour y avoir préparé le Tour l’an passé. Je savais que je pouvais terminer à vive allure.
Vous roulez sur les traces de Bernard Hinault, vainqueur ici-même il y a vingt-cinq ans, qu’est-ce que cela vous fait ?
Pour l’instant je suis un peu sur un nuage, je ne réalise pas vraiment. J’ai vu les images de mon attaque dans les deux derniers kilomètres. C’est vrai que Bernard Hinault a gagné là en 1986, l’année de ma naissance. Mais je n’étais pas là pour le voir ! Je suis très fier de moi et de mon travail. Nous avons fait trois heures et demie de vélo aujourd’hui mais on n’imagine pas tout le travail qu’il y a en amont pour en arriver là. Ce sont des années et des années de travail.
On sent un vrai déclic en vous sur ce Tour de France, qu’est-ce qui l’a provoqué ?
Oui, il y a eu un déclic sur ce Tour, mais si on regarde ma saison d’un peu plus près, on peut s’apercevoir que j’étais avec les tout meilleurs sur Paris-Nice quand l’étape me convenait. C’était pareil sur le Critérium International. A partir du moment où j’ai compris que je pouvais suivre les meilleurs, j’ai travaillé dans ce sens. J’ai eu la chance que Jean-René Bernaudeau me dise de me concentrer uniquement sur le Tour quand nous y avons été sélectionnés. Il m’a dit que j’étais un coureur du Tour, que je n’étais là que pour ça.
Comment vous êtes-vous alors préparé ?
J’ai fait de longues semaines d’entraînement et je suis arrivé à 80 % de ma condition sur le Critérium du Dauphiné, où j’ai terminé ma préparation. Avec mon entraîneur, je me suis inspiré des grands champions, je n’ai pas honte de le dire. J’ai repris leur manière de faire et le résultat paie. Mon entraîneur m’avait dit que je serais bien en deuxième et troisième semaine. Je l’ai écouté, je l’ai parfois pris pour un fou vu ce qu’il me faisait faire mais je suis très heureux du travail accompli.
Comment avez-vous vécu la défense du maillot jaune auprès de Thomas Voeckler ?
J’ai toujours été clair avec ça. J’ai gardé ma ligne de conduite qui consistait à ne jouer en aucun cas ma carte personnelle tant que Thomas aurait le maillot jaune. Dans le Galibier, il m’a dit de saisir ma chance et d’aller chercher le maillot blanc. Je n’ai pas hésité une seconde car je me sentais très bien. Thomas a eu l’honnêteté de dire que le maillot jaune était fini pour lui, qu’il ne pouvait plus suivre Evans et les Schleck. C’est la preuve que c’est un grand champion car plus d’un coureur n’aurait jamais admis son infériorité en pareille circonstance.
Cela vous a survolté ?
Quand un Maillot Jaune vous dit de saisir votre chance, vous foncez. Surtout, je me suis dit que s’il me laissait ma chance, il ne fallait pas que je me loupe. C’est peut-être ce qui m’a permis de suivre Sanchez et de rester à 15 secondes de Contador un bon petit moment. Etre deux comme nous l’étions dans les cols, ça rend plus fort mentalement. Le maillot jaune nous aidait énormément. Je comprends pourquoi les Schleck sont si forts. Ça aide énormément pour se motiver.
Vous voilà vêtu de blanc, parviendrez-vous à défendre votre position demain dans le contre-la-montre ?
Je vais faire le maximum pour garder le maillot blanc face à Rein Taaramae. Ce sera dur mais on verra bien. Nous avons eu le maillot jaune durant dix jours, là nous avons encore un maillot à défendre.
On vous a très vite considéré comme le grand espoir du cyclisme français, vous semblez répondre pour de bon à cet honneur ?
Il y a trois ans, j’ai fait une très bonne saison en terminant meilleur grimpeur du Dauphiné. J’ai battu Rebellin sur un sprint à Paris-Nice, j’ai fait quelques performances, mais je n’étais pas connu. Après, il y a eu beaucoup de choses à digérer. Le plan et le discours de Jean-René Bernaudeau me convenaient, j’ai signé avec lui pour moins que je n’aurais touché ailleurs. Ensuite, il y a des progressions qui sont normales, j’ai progressé constamment. J’ai terminé 20ème de mon premier Tour de France, si on enlève les coureurs suspendus. Là c’est mon troisième Grand Tour. On n’apprend pas que dans la réussite mais aussi de ses échecs. L’an passé, j’ai fait des étapes devant mais ça a été un échec car je suis avant tout un coureur de classement général, du moins c’est ainsi qu’on m’a catalogué bien que je n’aie jamais prétendu à ce rôle.
Vous voyez-vous un jour vainqueur du Tour de France ?
J’aurai 25 ans cet hiver, mes dix plus belles années arrivent devant moi. Et je sais une chose, c’est que dans dix ans je ne veux pas avoir de regrets. Je donnerai le maximum pour aller le plus haut possible.
Propos recueillis à l’Alpe d’Huez le 22 juillet 2011.