Pierre, un an après votre victoire au sommet de l’Alpe d’Huez, vous vous adjugez une autre grande étape de montagne du Tour de France à La Toussuire. C’est incroyable ?
Deux victoires sur le Tour en deux ans, c’est assez inespéré, oui, et j’espère ne pas en rester là. L’an dernier j’avais gagné en étant très fort, déjà, mais en la jouant surtout tactique avec Samuel Sanchez et Alberto Contador. Là, il fallait que j’assume. On me regardait beaucoup, même un gars comme Scarponi. Il fallait assumer le rôle d’être un peu le favori de l’échappée.
Cette étape, vous en rêviez en particulier ?
Oh que oui. Pour tout vous dire j’avais coché cette étape dès la présentation du Tour. J’ai encore eu mon entraîneur ce matin pendant une demi-heure, il m’a rappelé comment faire. A force de me marteler que j’allais gagner cette étape, au bout d’un moment ça rentre. J’arrive à avoir des résultats où j’en ai envie, je fais plaisir aux gens et le public me le rend. Je me suis entraîné pour ce Tour et surtout cette étape depuis six mois et elle est pour moi, c’est inouï !
Vous vous êtes glissé dans la bonne échappée, comment aviez-vous prévu de vous y prendre ?
Je ne savais pas trop si j’allais sortir dès la Madeleine ou attendre. Mais un gros groupe est parti, et avec Christophe Kern on a décidé de boucher le trou ensemble. Il m’a ramené, puis il a travaillé toute la Madeleine, tout le Glandon. Ensuite c’était à moi de me débrouiller dans le Mollard et La Toussuire. Ça a été une grande journée, même s’il y avait peu de kilomètres sur le papier. On s’attendait à du spectacle, on en a eu. C’était l’étape la plus montagneuse du Tour, dans ma montagne, je voulais la gagner.
Votre chute dans la descente du Mollard aurait pu tout compromettre. Comment est-ce arrivé ?
J’essaie de fatiguer tout le monde partout où je peux. La descente du Mollard est très mauvaise, mais c’est ça le vélo, il faut prendre des risques. Je suis tombé mais je suis resté lucide. J’ai vu que mon vélo n’avait rien, moi je n’avais rien que des éraflures, et je suis reparti. J’ai trop joué de malchance sur ce Tour pour me laisser abattre comme ça.
Au lendemain de la victoire de Thomas Voeckler à Bellegarde-sur-Valserine, cette étape vous semblait prédestinée ?
J’ai reçu en effet quantité de messages qui me disaient que c’était mon jour, mon étape. Mais je ne veux pas entendre ce genre de choses. C’était l’étape la plus dure du Tour, la plus belle. La victoire de Thomas a relancé la dynamique de groupe, exactement comme le maillot jaune l’an passé. Ce qu’il fait, ça pousse tout le monde vers le haut. Thomas est le patron de l’équipe, il montre le chemin.
Vous parlez de dynamique quand au contraire sa victoire aurait pu démotiver le groupe ?
Depuis quatre ans que je suis avec Thomas, il a gagné trois étapes du Tour et porté dix jours le maillot jaune. Ses performances, on s’y habitue. Hier soir, il est rentré manger à 22h30. Je ne l’ai croisé qu’au petit-déjeuner, et on a seulement discuté un peu dans le bus. En fait j’ai dû le voir une demi-heure depuis sa victoire. Dans le bus, on me disait que ce serait mon tour aujourd’hui, j’étais conditionné pour ça. Et puis « décompresser », ça enlève de la pression, et on peut tenter plus de choses, prendre plus de risques. J’étais loin au général ce matin. Et on n’avait plus rien à perdre, ayant déjà gagné.
Faire un bon classement général, ça reste un objectif ?
Depuis la présentation du Tour en octobre, je sais que ce parcours n’est pas fait pour moi et l’équipe le sait aussi. On a quand même voulu essayer de faire un bon classement général cette année en vue du futur. Gagner le Tour, ce n’est pas quelque chose qu’on apprend en une année. Il faut jouer le général tous les ans pour que ça rentre, courir à l’avant, être au combat tous les jours. Faire un exploit sur une journée, ce n’est pas faire trois semaines à bloc. Je voulais gagner une étape mais je veux aussi faire un bon général, tout en sachant qu’il y a pas assez de montagne et trop de contre-la-montre pour moi.
Ce déclic dans votre carrière, c’est l’Alpe d’Huez qui vous l’a procuré ?
L’année dernière, l’Alpe a été un déclic, oui, mais le maillot jaune de Thomas Voeckler aussi. Ça m’a permis de réaliser qu’il ne fallait pas que je me dévoile, qu’il fallait que je cible des objectifs précis, que je pouvais faire un bon général car je fais de bonnes troisièmes semaines. Cette étape aujourd’hui me faisait beaucoup penser à l’étape de l’Alpe, avec un peu plus de 70 kilomètres de montée contre 60 l’an passé, des cols mythiques à gravir. Sur le papier ces deux étapes se ressemblaient énormément mais je ne l’ai pas gagnée de la même manière.
Vous aurez décidément tout connu sur ce Tour…
C’est le vélo, on passe d’une émotion à l’autre. En trois semaines on peut tout vivre sur un Tour de France. On peut pleurer de joie, pleurer de peine, on peut crever de chaud, crever de froid. C’est un ascenseur émotionnel. En dix jours, je suis passé d’une peine immense à un bonheur sans limite.
Propos recueillis à La Toussuire le 12 juillet 2012.