Philippe, quel bilan tirez-vous du Tour de France 2016 ?
Pour nous, la mission est presque accomplie. On s’était donné comme objectifs de mettre Louis Meintjes dans le Top 10 et de gagner une étape avec Rui Costa. On s’est un peu loupés mais on a essayé. Quand Rui n’a pas pu aller au bout dans l’étape du Bettex, c’est vraiment parce qu’il y avait plus fort que lui. Il n’a pas fait d’erreur stratégique. Il n’a rien à se reprocher. Il n’y a que très peu d’équipes qui ont gagné sur le Tour de France 2016. Il y a beaucoup d’individus qui ont gagné plusieurs fois et c’était donc difficile de l’emporter.
Avez-vous des regrets sur la potentielle conquête du maillot blanc par Louis Meintjes ?
Non, nous n’avons pas de regrets car ce n’était pas un objectif. Adam Yates a montré qu’il était beaucoup plus fort sur les moments clés. Ça montre qu’il y a encore du travail à fournir, encore des possibilités. On a vu avec Louis Meintjes qu’on pouvait encore améliorer plein de choses. On verra donc l’année prochaine.
Pensez-vous que Louis Meintjes puisse être le premier Africain à gagner un Grand Tour ?
On n’en est pas encore là. Il a besoin de bosser sa puissance et de travailler les contre-la-montre plats. Une fois qu’on aura amélioré ces deux choses-là, il sera meilleur sur les étapes de bordures et dans les descentes. On s’approchera alors du podium. Faire deux fois dans le Top 10 d’un Grand Tour (NDLR : 10ème de la Vuelta 2015, 8ème du Tour 2016) montre déjà des garanties et je pense qu’il a encore une grosse marge de progression.
Avec du recul, feriez-vous des modifications dans votre sélection pour le Tour de France 2016 ?
Non, on avait l’équipe qu’il fallait. Pour nous, c’est toujours un peu compliqué parce que le Giro est aussi un gros objectif. C’est difficile de mettre un coureur sur le Giro puis sur le Tour. On est obligés de faire deux équipes radicalement différentes. On essaie de composer au mieux à chaque fois donc on n’a pas de regrets. Si Diego Ulissi n’avait pas fait le Giro, il aurait bien sûr été engagé sur le Tour, et ça nous aurait sans doute aidé pour gagner une étape. Mais ce n’est pas une machine.
On a parfois qualifié ce Tour de France d’insipide. Quel est votre regard sur cette Grande Boucle ?
Que les gens qui l’ont trouvé insipide ne viennent plus le voir, ils ne nous manqueront pas. Il y a eu de la bagarre tous les jours. Si les gens ne s’attachent qu’au maillot jaune, effectivement il n’y a pas eu de suspense. La course a été tellement dure que les coureurs étaient en limite de rupture tous les jours. Tous ceux qui ont essayé d’attaquer ont fait 500 mètres devant le peloton avant se faire reprendre. Ils ont pris un coup de boomerang. Ça veut bien dire que le Tour a été très difficile. Il ne faut pas oublier de regarder la bataille qu’il y a eu chaque jour pour les étapes. L’année dernière et cette année, il y a eu des grandes bagarres pour les victoires d’étapes. C’est dommage que les gens se focalisent sur le maillot jaune car ça a été un spectacle formidable.
Ce parcours était très équilibré avec de la moyenne montagne pour éviter de tuer le Tour comme l’an dernier à la Pierre-Saint-Martin…
Oui, c’était un beau dessin, mais le Tour est toujours bien dessiné. C’est aux équipes de bien s’y adapter avec leur composition. On n’est jamais déçu par le parcours du Tour de France. Il y a des gens qui aiment la critique et qui critiquent à tout va car ils sont nés comme ça.
Si vous deviez réformer le cyclisme, supprimeriez-vous les oreillettes, les points UCI, les capteurs de puissance ou réduiriez-vous le nombre de coureurs par équipe ?
Aucun des ces quatre éléments car il faut vivre avec son temps. L’évolution technologique existe dans tous les domaines d’activité, de l’industrie au sport. Je ne vois pas un entraîneur de football rester aux vestiaires pendant que ses joueurs sont sur le terrain. Si on nous enlevait les oreillettes, c’est comme si on nous laissait aux vestiaires. Les gens qui ne sont pas capables de l’accepter ou de l’entendre doivent aller faire leurs critiques ailleurs. Personnellement, je suis un peu agacé par tout ça. On nous dit que l’oreillette tue le spectacle alors qu’on a eu du spectacle tous les jours sur ce Tour de France. Simplement, il faut savoir ce qu’on veut et moi je sais ce que je veux ou ce que je ne veux pas.
Vous ne pensez pas que la réduction du nombre de coureurs pourrait permettre de débrider la course et d’inviter une ou des équipes supplémentaires ?
Ce serait pire encore parce que lorsqu’on voit la différence des budgets entre les équipes, ça ne changerait rien. Même si on réduisait les équipes à six coureurs, une équipe qui a dix fois plus de budget qu’une autre aura forcément les moyens d’acheter tous les leaders de toutes les équipes. Je ne vois pas ce que cela changerait.
Quelle équipe allez-vous emmener sur le Tour d’Espagne ?
On partira sur la Vuelta avec une équipe sans leader désigné comme l’an dernier. On essaiera de concevoir une équipe capable de chasser les étapes mais on n’a pas encore arrêté une équipe. On a une liste de quatorze coureurs et on fera le bilan de la forme de chacun la semaine prochaine. Quand on est sur le Tour de France, on est un peu écartés de tout ce qu’il se passe à l’extérieur. On va se mettre autour d’une table pour discuter et affiner notre sélection.
Propos recueillis à Chantilly le 24 juillet 2016.