Patrick, parmi tous les Tours de France que vous avez pu vivre, à quel rang placeriez-vous l’édition 2015 où vous êtes passés par toutes les émotions ?
Assez haut je pense. Nous avons commencé le Tour avec l’ambition de remporter le chrono avec Tony Martin. Il est arrivé à 5 secondes. Le lendemain, en Zélande nous voulions prendre l’étape et le maillot et nous avons manqué les deux. Finalement, c’est arrivé sur l’étape des pavés. Puis Tony chute au Havre et se casse la clavicule. Au final, cette première semaine a été super avec trois étapes et le maillot jaune.
La suite l’a moins été…
Sur la deuxième semaine, nous avons été l’une des équipes les plus offensives avec chaque jour un ou plusieurs coureurs dans l’échappée, mais nous n’avons pas pu gagner. La troisième semaine a été un calvaire. Tout le monde était épuisé. Rigoberto Uran qui a failli gagner à Mende n’était pas à la hauteur dans les Alpes. Michal Kwiatkowski non plus. On a souffert jusqu’aux Champs-Elysées où Mark Cavendish termine 6ème.
Vous l’avez dit, vous êtes passé par tous les sentiments pendant ce Tour. Quel est celui qui prédomine ?
Comme BMC Racing Team, nous avons remporté trois étapes. Nous avons porté le maillot jaune. Je peux dire sans prétention que Chris Froome gagne le Tour grâce à nous. Ce sont nous qui avons créé les bordures en Zélande. Le Team Sky n’a jamais collaboré, contrairement à Tinkoff-Saxo. Quand le vent est retombé, ce sont nous qui avons continué à rouler même si nous n’avions pas de grand intérêt pour le classement général. En Zélande, il gagne 1’28 » sur Quintana. Au final, il a 1’12 » d’avance. Ça en dit long.
Qu’a-t-il manqué à Rigoberto Uran pour concrétiser sa bonne première semaine ?
Oui, il a bien passé les bordures et les pavés. Il est 6ème du classement général à un moment sans que personne ne parle de lui. Mais après le jour de repos, c’était fini. Il a manqué de jus après le Tour d’Italie. Je ne peux rien lui reprocher. Si on regarde le classement final, mis à part Froome et Quintana, tous les favoris sont passés au travers de leur Tour.
Des trois victoires d’étape que votre équipe a acquises, quelle est celle qui vous rend le plus fier ?
Elles sont toutes différentes. Mark Cavendish a été attaqué par tout le monde. On entendait qu’il n’était plus le sprinteur qu’il était avant, mais à Fougères, il bat tout le monde. Au Havre, quand Tony chute, Zdenek Stybar met tout le monde d’accord. Pour ce qui est de Tony Martin, il crève à 15 kilomètres de l’arrivéeà Cambrai, il change de vélo avec Matteo Trentin, il rejoint le groupe en plein final, il attaque, il gagne et il prend le maillot. Les trois victoires signifient beaucoup pour moi.
Quel souvenir garderez-vous de ce Tour 2015 ?
La chaleur ! Pas pour moi, j’ai la clim dans la voiture (il sourit). Plus sérieusement, je pense qu’il était un peu trop dur. Les organisateurs ont peut-être un peu exagéré. Je suis partisan d’un cyclisme moderne d’un Grand Tour à moins de vingt jours. Chris Froome a fait les deux dernières semaines avec le maillot jaune. Ce qui a été proposé lors des quatre derniers jours, c’était trop. Je pense que l’on était trop dans le sport-spectacle.
Le mercato s’annonce agité pour votre équipe, notamment pour régler le cas Mark Cavendish…
Nous avons encore le temps. En 2012, il a décidé de nous rejoindre au mois d’octobre. C’est un grand nom. Ce sont les petits qui sont les plus nerveux. Il l’est forcément un peu, il veut naturellement rester, mais tout dépend du budget. Je souhaite le conserver, mais pas à tout prix. Si nous avons recruté Fernando Gaviria, ce n’est pas pour préparer l’après-Cavendish. Il est jeune. Nous faisons 270 jours de compétition par an, un coureur en fait environ 80. Il y a donc pas mal de sprints à disputer sans Mark Cavendish. Il faut aussi penser au futur. J’essaye de construire un mix entre jeunes coureurs et coureurs expérimentés.
Julian Alaphilippe a été la révélation du printemps. Disputera-t-il la Vuelta pour compléter son apprentissage ?
Peut-être. Ce n’est pas encore défini, car ce n’est pas facile. Il est très doué pour les courses d’un jour avec des arrivées difficiles. Avec Julian, nous avons un projet à long terme.
Propos recueillis à Sèvres le 26 juillet 2015.