Nicolas, Chris Froome disait ne s’être vu vainqueur du Tour de France qu’à 2 kilomètres de l’arrivée au Semnoz. De votre côté, à quel moment y avez-vous cru ?
Sans doute au même moment. Quand il ne restait plus que 2 kilomètres, on savait qu’il ne pouvait plus rien se passer. Même s’il cassait trois fois la chaîne, nous avions quatre vélos ! Maintenant, j’ai eu du mal à réaliser. C’est l’aboutissement d’un long travail, d’une rigueur à laquelle tout le monde s’astreint depuis très longtemps. On sait que la performance tient parfois à peu de choses. Nous sommes restés concentrés jusqu’au bout dans ce Tour de France. Maintenant nous allons profiter pour pouvoir se remotiver et repartir sur de nouveaux objectifs.
Maintenant que le Tour est fini, pouvez-vous nous avouer s’il y a eu un ou des moments de doute durant les trois semaines écoulées ?
Des moments difficiles, oui, il y en a eus, mais jamais de doutes. L’un des plus durs a été d’apprendre dès la première étape que Geraint Thomas souffrait d’une fracture du bassin, alors qu’il était un élément clé dans l’équipe. Quelques jours après c’est Ian Stannard qui tombe. Puis on perd Vassil Kiryienka dans la fameuse étape pyrénéenne qui a été difficile pour l’équipe mais pas pour Chris Froome, qui s’est offert une promenade de santé. Après il y a la perte d’Edvald Boasson-Hagen sur chute. L’équipe est formée de coureurs clés, chacun a un rôle très important, et quand on en perd un ça remet en cause beaucoup de choses. Il faut tout revisiter et ça rend le travail collectif plus dur.
L’absence de Vassil Kiryienka et Edvald Boasson-Hagen s’est notamment sentie dans les plaines du Centre et le fameux coup de bordure orchestré par les Saxo-Tinkoff ?
C’est difficile de dire si les choses auraient été différentes en leur présence, mais c’est vrai que l’équipe a été toujours concentrée en permanence et qu’il lui a suffi d’un moment de relâchement l’espace d’une minute pour qu’une équipe prenne les devants. C’est ce qui rend le sport joli. Derrière les gars ne se sont pas affolés. Nous avons roulé jusqu’à l’arrivée et je pense que Chris, voyant qu’il ne rentrerait pas, a pris la bonne décision de se relever complètement pour attendre les gars. Le risque aurait été de vouloir combler tout de suite les 15 secondes et de perdre des éléments. Au final on n’a perdu qu’une minute.
Vous avez conclu le Tour avec six équipiers autour du Maillot Jaune, ne pensez-vous pas que le nombre de coureurs par équipes devrait-être réduit à sept au lieu de neuf dans les années futures ?
Je suis assez d’accord avec cela. Quand j’étais à la Caisse d’Epargne nous avions roulé pendant sept jours pour le maillot jaune d’Oscar Pereiro avant de se le faire chiper par Floyd Landis au chrono. Il me semble que nous n’étions déjà plus que six ou sept. Nous nous en étions très bien tirés. L’an dernier, l’équipe Sky avait perdu Kanstantsin Siutsou rapidement et Mark Cavendish était limité en montagne. Bref, c’est une notion qu’on pourrait revoir. Des équipes réduites à sept coureurs, voire même six, ce serait une idée ! Ce serait plus dur de contrôler, plus dur d’aller chercher un maillot. Ça rendrait la course piquante.
Chris Froome a gagné son premier Tour de France à 28 ans, le voyez-vous parti pour régner un certain temps ?
On le voit tous partir pour un long bail. Maintenant quand on est un athlète de haut niveau comme lui, c’est une question de motivation. Répéter les exploits est le plus dur. Ensuite il faudra gérer les jeunes qui arriveront, les nouveaux talents, les anciens qui reviendront.
A 34 ans vous devenez le plus jeune directeur sportif à gagner le Tour de France, vous y pensez ?
Samedi soir après l’étape du Semnoz, nous avons veillé tard et nous nous sommes rassemblés avec tous les coureurs, les mécanos, le staff. Nous étions tous à l’arrière du bus, nous avons fait sauter les bouchons, pris une coupe de champagne. Puis Dave Brailsford a fait un petit speech sur chaque coureur et a fini par un petit mot sympa pour moi, en disant que j’étais sans doute le plus jeune directeur sportif à gagner le Tour. Mais ça ne me fait pas grand-chose. Ce qui me fait plaisir, c’est de regarder le parcours réalisé depuis trois ans que je fais ce métier.
Et quel parcours…
Devenir directeur sportif, je n’y avais jamais pensé avant. Quand je faisais du VTT, je voyais les routiers se raser les jambes, je n’aimais pas cet état d’esprit, et puis je suis devenu coureur pro. J’ai fait une belle carrière, j’ai failli gagner une étape sur le Tour de France. En 2010, Dave Brailsford m’a proposé d’intégrer la direction sportive sur la Vuelta. J’ai appris une langue, l’anglais, une rigueur parfois déconcertante pour moi qui suis plutôt latin. Et puis au bout de deux ans, Sean Yates étant parti, Dave m’a propulsé sur les courses les plus importantes. Je ne savais pas si j’en serais capable mais il a cru en moi. C’était un challenge. Il m’a fallu performer.
Vous avez dû vous mettre une énorme pression ?
Honnêtement, durant les stages cet hiver, je me suis dit que c’était la meilleure façon de me planter. Aux yeux de tous. Et de ruiner ma carrière de directeur sportif. Démarrer trop tôt, trop jeune, au top niveau, était pour moi la meilleure manière de passer à côté. Je me suis mis beaucoup de pression. Alors quand Chris a passé la ligne samedi soir, que nous nous sommes relâchés, je me suis dit également : ça y est, j’y suis arrivé ! J’ai su driver l’équipe sur les courses majeures du WorldTour. C’est pour moi une concrétisation. Ça n’a sûrement jamais été parfait, et c’est comme ça qu’on progresse, mais les gars ont confiance. C’est la plus belle récompense. J’ai appris un métier.
Propos recueillis à Versailles le 21 juillet 2013.