Laurent, avant d’établir votre sélection pour les Championnats du Monde, vous avez bien étudié le circuit de Copenhague. Comment le jugez-vous ?
Je suis allé le reconnaître dès l’année passée au mois de novembre. En voiture car je n’avais pas pris mon vélo. Je voulais surtout en repérer la difficulté, imaginer la course qui pourrait s’y tenir, de manière à établir un profil de coureur et une équipe compétitive, à la hauteur de ce circuit. C’est un parcours technique et nerveux, avec quelques passages étroits mais sans énorme difficulté. On recense trois petites côtes, j’ai envie de dire que la plus difficile est celle de l’arrivée. Ça reste un circuit assez accessible, avec une forte probabilité d’arrivée au sprint, mais tout dépendra néanmoins du mouvement et de la météo, qui pourrait être mauvaise.
Vous estimez que la bosse qui mène à l’arrivée est la plus dure, comment est-elle ?
En fait, c’est une bosse finale qui ressemble à celle de l’an passé en Australie. Peut-être légèrement plus prononcée mais c’est le même type de final.
Sur le principe de ce tracé « accessible », comment avez-vous orienté vos choix ?
J’ai souhaité avoir une équipe qui puisse être présente dans tous les compartiments du jeu. Ce Championnat du Monde semble se tourner vers une arrivée groupée. J’ai donc opté pour des coureurs qui se comportent bien au sprint. Romain Feillu est revenu dans le jeu de façon spectaculaire après sa fracture de la clavicule. Ça prouve une grande détermination de sa part. Anthony Ravard marche bien, Samuel Dumoulin est en très bonne condition. Nous posséderons ainsi trois sprinteurs qui s’adaptent bien à ce type d’arrivée et qui feront en sorte de collaborer ensemble pour que l’un d’entre eux soit mis dans les bonnes dispositions. Et si la course est vraiment très dure, Feillu et Ravard ne seront peut-être plus devant, mais Dumoulin sera là, c’est un atout supplémentaire.
L’équipe de France est équipée en sprinteurs, mais tout le groupe n’a pas été bâti en ce sens…
Thomas Voeckler et Sylvain Chavanel sont nos deux coureurs emblématiques. A leur manière, ils ont tous les deux marqué cette saison. Ils ont fait du Championnat du Monde un rendez-vous important et souhaitaient être présents. Je m’en réjouis car ce sont de véritables locomotives pour le reste du groupe. Pour moi, il n’y a pas de leader désigné. Ce sont deux gars qui ont des caractéristiques différentes. Chavanel peut être très dangereux dans une échappée qui partirait dans les 50 derniers kilomètres. Voeckler, lui, est imprévisible et représentera un danger jusqu’au dernier moment. Il a cette faculté à sentir la moindre ouverture, c’est naturel chez lui.
Quatre des neuf coureurs retenus honoreront une première sélection en équipe de France, c’est un pari ?
J’ai voulu emmener en équipe de France de jeunes coureurs qui marchent beaucoup. L’an dernier, j’avais sélectionné Yoann Offredo, qui a été une surprise pour beaucoup aux Championnats du Monde. Il avait largement sa place et il l’a confirmé depuis. Yoann, c’est un vrai talent sur les courses d’un jour. Anthony Roux, Tony Gallopin ou Blel Kadri sont aussi des garçons d’avenir. Certains ont souvent travaillé dans l’obscurité, je pense à Kadri notamment, mais ce sont de vrais talents. Ces gars-là seront amenés un jour ou l’autre à tenir un rôle majeur dans l’équipe de France. C’est important qu’ils puissent déjà, jeunes dans leur carrière, comme moi j’ai pu le faire, s’imprégner de cette ambiance particulière d’un Championnat du Monde.
Quelle va être la stratégie du groupe ?
Nous la définirons ensemble la semaine prochaine. Ma volonté est que nous puissions avoir davantage de possibilités d’être présents sur la course. Les coureurs qui viennent sont des coureurs en forme, motivés, je souhaite que nous soyons actifs. S’il y a une course de mouvement, je veux que nous y participions. Je ne dis pas par là que nous serons les premiers à dynamiter la course, mais je ne veux pas que nous soyons en reste. Pas question d’être spectateurs. Nous ne sommes pas la nation favorite mais nous n’irons pas aux Championnats du Monde pour subir.
Le titre mondial, vous y songez ?
Les Français ont démontré que sans être favoris, ils avaient la capacité à gagner. Je suis très ambitieux. Même si des noms reviennent, celui de Mark Cavendish en cas d’arrivée au sprint ou de Philippe Gilbert en cas de course difficile, il l’a encore démontré aujourd’hui en Wallonie, et que l’on s’interroge sur la manière de les battre, je pense que les Français ont passé un cap. Au niveau de la confiance en eux, des bonnes habitudes, du chemin vers la victoire… Nous étions un peu complexés, ce n’est plus le cas et nous sommes aujourd’hui bien meilleurs. L’ambition est d’être présents, de porter haut les couleurs de notre cyclisme et de se rapprocher de la plus haute marche du podium.
Le symbole de la réussite du cyclisme français, c’est le retour d’une équipe de France à neuf coureurs aux Championnats du Monde. Cela a-t-il facilité votre sélection ?
C’est toujours mieux d’avoir neuf coureurs plutôt que six, mais quand on en a neuf, on aimerait en prendre douze ! Il y a certains coureurs que j’aurais aimé emmener. Un garçon comme Jérémie Galland, j’ai été triste au moment de lui annoncer que je ne le prendrais pas. Il aurait franchement mérité sa place. Mais il fallait bien que je tranche à un moment donné.
Avez-vous constaté un engouement à la hausse des coureurs français dans la perspective d’une sélection en équipe de France ?
Oui, bien plus qu’en 2009 quand je suis arrivé à la tête de l’équipe de France. A Mendrisio, nous n’étions que six. J’avais reçu bien moins de sollicitations de la part des coureurs que cette année. Là, j’ai vraiment senti que tous souhaitaient faire le Mondial. Beaucoup ont même fait la démarche de m’appeler pour me le dire.
Quel va maintenant être le programme pour chacun ?
J’avais initialement prévu de recevoir les gars à Copenhague à partir de mardi, étant personnellement présent sur place dès lundi avec Laszlo Bodrogi et Dimitri Champion, qui disputeront le chrono mercredi. L’idée, c’était donc de convoquer les neuf sélectionnés mardi, de manière à faire notre sortie collective habituelle le mercredi. Mais le chrono ayant lieu ce jour-là, je ne pourrai pas les encadrer. Et étant donné que les conditions météos ne sont pas très favorables, je suis en train de voir s’il est possible de reculer leur arrivée pour leur permettre à tous de s’entraîner chez eux. Jeudi, nous irons reconnaître le parcours, ce sera notre unique opportunité de le faire puisque les compétitions commenceront le vendredi.
A titre plus personnel, et par rapport aux années précédentes, dans quel état d’esprit abordez-vous vos troisièmes Championnats du Monde au poste de sélectionneur ?
Je commence à avoir un peu plus d’expérience. J’ai un très bon contact avec les coureurs, un contact plus facile. La première année, j’étais sans doute un peu plus sur la réserve. Je n’avais pas pour habitude de les solliciter, c’est mon côté un peu réservé. Je les vois surtout sur les compétitions, ce n’est pas le meilleur moment pour les déranger et je n’osais pas toujours aller discuter avec eux. Aujourd’hui, je sens que j’ai évolué de ce côté. Je me sens plus proche d’eux, peut-être plus en confiance tout simplement. Je me sens bien dans ce rôle-là. J’ai le sentiment d’avoir bien structuré les choses et j’espère qu’il y aura un résultat encourageant.
Propos recueillis le 14 septembre 2011.