Julien, vous étiez hier soir abattus par l’abandon de Jean-Christophe Péraud. Ce soir vous êtes comblés par la victoire de Christophe Riblon à l’Alpe d’Huez…
C’est la magie du cyclisme. Hier soir on était au fond du trou, la tête entre les mains à se demander pourquoi… Et aujourd’hui on survole la plus belle étape du 100ème Tour de France avec la double ascension de l’Alpe d’Huez, une victoire en solitaire avec tous les meilleurs derrière. J’ai vécu de grosses émotions mais c’est très appréciable.
Vous étiez toute la journée au volant du véhicule qui suivait Christophe Riblon. Comment l’avez-vous senti ?
Au départ, l’objectif était de prendre l’échappée avec un bon grimpeur. Quand il a pris la bonne, nous avons vite fait le point avec Christophe sur les huit coureurs qui l’accompagnaient. On s’est aperçu qu’il était l’un des meilleurs de l’échappée. Il a eu un petit passage à vide dans le col d’Ornon. Il était un peu en prise et trouvait que le groupe roulait vite. J’ai essayé de le rassurer sur son état de forme, qui était très bon depuis le départ du Tour. Mais à partir de l’Alpe il m’a fait comprendre que ses sensations étaient bonnes. Il a pu suivre Tejay Van Garderen, ce qui a été un super indice pour la suite.
Dans la dernière ascension, on a vu du grand Christophe Riblon…
Oui, mais il m’a encore fallu le rassurer car il a commencé à douter quand Van Garderen a accéléré. Il a voulu se rabattre sur la 2ème place. A partir de là je l’ai relancé au maximum. Je lui ai dit que la course ne se passait pas derrière mais devant. J’étais persuadé que Tejay Van Garderen allait coincer au sommet comme il l’avait fait dans la première montée. A 3 bornes, j’ai réussi à lui faire passer ce message et ça a basculé dans sa tête. De là il a commencé à voir les bagnoles un peu plus haut, entendre l’enthousiasme des spectateurs.
Comment conceviez-vous le final à partir du moment où il était dit que Christophe Riblon allait rentrer sur Tejay Van Garderen ?
C’était un point très important. Il ne fallait laisser aucune chance à Van Garderen, et donc l’attaquer tout de suite. Il ne devait pas croire deux secondes qu’il pouvait rester dans la roue et s’accrocher. Il fallait lui mettre tout de suite un coup de massue. A partir de là Christophe était dans un état second. C’est une superbe victoire construite à la cuisse mais surtout au mental, et puis poussé par un public de folie. J’ai rarement vu ça !
Quel a été votre discours pour remobiliser les gars après l’abandon de Jean-Christophe Péraud ?
Dès hier soir j’ai réuni les coureurs pour leur demander de surmonter cette épreuve. Le leader, qui assumait vraiment bien son rôle, a abandonné sur chute. Le contrecoup était naturel. Ce matin, on a fait un bon briefing. Pour la première fois il régnait un grand silence, tout le monde a super bien écouté les consignes. Nous avions tous l’envie de bien faire pour l’équipe, pour Jicé. Je leur ai dit que nous étions l’une des meilleures équipes du Tour de France, ça se voit au classement par équipes. Ce n’est pas à quatre jours qu’on devait lâcher le morceau. La tête devait faire le reste.
S’il ne s’était pas passé ce qui s’est passé hier, vous n’auriez sans doute pas gagné aujourd’hui ?
Peut-être. Ce sont des faits de course qui font que d’un coup ça remobilise tout le monde. Nous avons eu 19,5/20 aujourd’hui, nous aurions peut-être eu 20/20 si Jean-Christophe avait remonté des places au classement général. Nous sommes ce soir 2èmes au classement par équipes, vainqueur du prix de la combativité, Romain Bardet à 22 ans est 17ème du Tour… C’est une journée exceptionnelle.
Avez-vous eu des nouvelles de Jean-Christophe Péraud aujourd’hui ?
Oui, il était à l’hôpital cet après-midi, il allait voir le chirurgien à Lyon, mais ils ont pu échanger avec Christophe. Le médecin va nous donner des informations dans la soirée mais nous avons une grosse pensée pour lui.
Désormais, à quoi va ressembler la fin de Tour d’Ag2r La Mondiale ?
Avec les résultats d’aujourd’hui, nous allons prendre les dernières étapes avec philosophie mais avec envie. Nous sommes sur la bonne dynamique, et maintenant qu’on a mis la balle au fond, la réussite est là. Demain nous aurons une très grosse étape avec deux gros cols dans la première partie. Il faudra rester bien concentrés et ne pas rester sur nos nuages. Romain Bardet et John Gadret sont très bien. Et il nous reste du boulot au classement par équipes.
Propos recueillis à l’Alpe d’Huez le 18 juillet 2013.