Fils de Jean-François Bernard, Julien vit sa première saison chez les professionnels. Le 10 juillet dernier, le néo-pro est venu se dégourdir les jambes sur l’Etape du Tour. Eclairage sur ce fils de champion, ses débuts et ses prochains objectifs.
Julien, un professionnel qui vient sur une cyclosportive, qu’est-ce ça vous inspire ?
Je n’étais pas là pour embêter ceux qui préparent à fond cette course. Ils sont là pour se faire plaisir donc il n’y a pas d’intérêt à ce qu’un professionnel vienne les embêter. Je les ai accompagnés jusqu’à Joux Plane puis je suis monté tranquillement. Je les ai laissés s’expliquer pour ne pas fausser la course et que le meilleur gagne. Pour moi, c’était un bon entraînement en montagne puisque j’ai monté Avoriaz derrière pour finir. C’était une super journée avec le beau temps, tout est bénéfique.
Si vous deviez retenir trois choses qui différencient le monde amateur du monde professionnel, quelles seraient-elles ?
S’il y a un monde amateur et s’il y a monde professionnel, c’est qu’il y a une raison. Le niveau est beaucoup plus élevé. Quand je vois comment ça roule en World Tour… C’est vraiment impressionnant. Pour l’instant, c’est très dur de pouvoir rivaliser en World Tour. Ensuite, ce serait l’expérience. Je suis entouré de grands noms comme Fabian Cancellara, Bauke Mollema ou Fränk Schleck, ils ont gagné de grandes courses. Enfin, la troisième chose, c’est le voyage. En amateur, tu as l’habitude de faire le tour de la France. En professionnel, tu fais le tour du monde ! Cela rend l’impression du monde professionnel encore plus belle. On a plus envie de s’entraîner, de faire le plus de courses possibles et je peux dire que j’adore mon métier.
Vous avez un nom connu dans le cyclisme français, comment expliquer vous ne soyez pas dans une équipe française ?
Tout simplement parce que Trek a été la première équipe à croire en moi et à m’offrir cette place de stagiaire. Forcément, je me suis donné à fond pour Trek. Passer professionnel en France ou passer à l’étranger, pour moi il n’y avait pas grande différence. C’est un équipe très conviviale et très familiale. Je retrouve des choses que je connaissais des amateurs tout en ayant le professionnalisme de cette équipe. Pour l’instant je suis très heureux de ce choix et je vis des moments exceptionnels.
Vous avez fait des études plus longues que la moyenne dans le monde du cyclisme, est-ce un regret d’avoir manqué quelques belles épreuves chez les Espoirs comme le Tour de l’Avenir ?
Non pas du tout car tout était clair dans ma tête. Pour moi, les études passaient avant le vélo car on n’est jamais sûr de passer professionnel, on n’est pas à l’abris d’une blessure donc forcément il fallait que j’ai un bagage derrière. Je pense que mon père en était conscient et c’est même lui qui m’a poussé à continuer mes études. J’ai préféré valider ma licence staps pour être plus serein pour la suite. Je n’ai aucun regret. Je n’aurais pas été sélectionné en équipe de France Espoirs, effectivement j’aurais regretté mais ce n’est pas le cas.
Avez-vous été surpris par vos performances en haute montagne au Tour du Colorado l’an dernier, vous qui étiez plus habitué à la moyenne montagne en amateur ?
C’est difficile à dire parce qu’en amateur, il était difficile de me mettre dans une catégorie. J’avais fait des places dans des sprints, dans des chronos et dans des étapes très dures. En Amateurs, je pense que si on marche, on marche partout. Maintenant, je fais des courses avec Cavendish ou Kristoff et quand je vois comment ils montent les bosses je pense que n’importe lequel de ces sprinteurs serait capable de grimper celles du calendrier français en amateur.
Au Tour du Colorado, vous étiez souvent au-dessus des 2000 mètres. Beaucoup de coureurs ont un barrage psychologiquement ou physiquement au dessus de cette altitude. Comment vous êtes-vous senti ?
Pour l’instant, j’ai l’air de très bien l’assimiler. Je l’ai vu encore au Tour de Californie cette année où on est monté à 2600 mètres et je n’ai vraiment pas souffert. Je pense que c’est un vrai avantage car il y a beaucoup de cols qui passent au dessus de 2000m. On va revoir au Tour de l’Utah où on repasse au dessus des 2600 mètres. J’ai envie d’y faire un bon résultat et je pense que je peux être en forme.
Au Tour de Californie, vous faites 21ème, votre meilleur résultat depuis votre passage chez les pros. Est-ce qu’on peut dire que vous avez une véritable attirance pour les épreuves nord-américaines ?
Oui, elles me tiennent beaucoup à coeur. Mais c’est aussi des courses où le niveau est inférieur à celui en Europe, il faut le dire. Je suis plus libre au niveau de mes choix dans ces compétitions, dans mes tactiques de course. En World Tour, je travaille vraiment pour mes leaders avant de m’écarter pour garder des réserves pour les jours d’après. Sur les courses comme la Californie, je sais que je peux être tous les jours à 100% sans en payer le prix le lendemain. J’aime aussi les courses américaines pour l’ambiance.
Vous faites partie de la présélection de Trek-Segafredo pour la Vuelta, c’est une récompense pour votre mois d’août ?
Je n’ai pas vu la liste des présélectionnés mais j’espère vraiment faire le Tour d’Espagne. C’est un peu mon objectif de la saison de faire un Grand Tour. Ça me permettrait de passer un pallier. J’ai fait pas mal de World Tour cette année comme le Tour de Catalogne, le Tour de Romandie et le Critérium du Dauphiné. Pour un néo-pro, faire un grand tour, je pense que ça montrerait la confiance de l’équipe. Trois semaines de course, ça me ferait passer un cap tant au niveau physique que mental. Le Tour de France et le Giro étaient trop durs pour moi cette année. La Vuelta est peut-être plus accessible et elle me fait me rêver.
Quels enseignements tirez-vous des trois courses d’une semaine WorldTour auxquelles vous avez participé (Tour de Catalogne, Tour de Romandie et Critérium du Dauphiné) ?
Il y a deux mondes différents chez les pros : le World Tour et les autres courses. Le World Tour, c’est vraiment le top niveau, ce qui se fait de mieux. Il n’y a pas de coureurs qui sont là par hasard, de coureurs qui ne marchent pas mais que des coureurs qui sont forts. C’est pour ça que ça roule si vite, que c’est nerveux et que ça frotte. Il y a beaucoup d’enjeux et c’est ça qui fait la beauté du sport. Parfois, je lis des critiques comme « ils ne s’attaquent pas, ils ne font pas la course » mais il faut savoir que ce sont des courses où ça roule tellement plus vite que les autres et c’est impossible d’accélérer encore. Je parle avec des coureurs d’expérience comme Schleck et Mollema et ils disent que ça roule encore plus vite qu’avant. Tous les coureurs sont au top niveau entraînement. Tout le monde s’entraîne avec les SRM et le niveau est tiré vers le haut. Moi, ça ne m’étonne pas que les records d’ascension soient battus et même sans dopage. J’y crois vraiment car tout le monde est au top et c’est ce qu’il faut retenir.
Devant notre télévision, nous, les téléspectateurs et amateurs de vélo, on a l’impression que les deux dernières heures de course se courent à 60 km/h et qu’il est impossible de sortir…
Oui et même la première heure pour prendre l’échappée. Il faut vraiment avoir un petit peu de chance. Ça attaque moins dans le final parce que personne n’est dupe. C’est impossible de sortir et de résister à un peloton lancé. Et puis dans chaque équipe, tu as un ou deux leaders et le reste se sacrifie pour eux. C’est le cyclisme moderne, le cyclisme de maintenant et il faut s’y faire. Ça restera comme ça et ça sera peut-être même pire à l’avenir.
Qu’est-ce qu’évoquait pour vous la marque Trek avant de rentrer dans l’équipe ?
Moi, j’ai souvenir de Trek avec des grandes équipes comme Astana, Discovery Channel ou même Radioshak. J’ai toujours été fan de Fabian Cancellara, Andy et Fränk Schleck donc courir avec eux (NDLR : Andy Schleck a arrêté sa carrière en 2014), c’est beaucoup de plaisir. Je n’avais jamais roulé sur un Trek et objectivement c’est le meilleur vélo que j’ai eu donc je prends beaucoup de plaisir.
Vous intéressez-vous particulièrement au matériel ?
Non pas vraiment, je ne vais pas voir les technologies. Moi, on me donne le vélo, je choisis le profil de mes roues et la pression dans mes boyaux. Maintenant, on a un staff autour de nous qui est compétent donc je lui fais confiance à 100%. On échange beaucoup avec Trek France donc il n’y aucun souci.
Vous êtes le seul coureur français à rouler chez Trek, comment est votre relation avec Trek France justement ?
Je suis content d’aller sur les événements Trek comme les ouvertures de magasins. J’ai une très bonne relation avec eux. Ça se passe super bien. Etre le seul Français me permet d’avoir un peu les projecteurs sur moi, ça est sûr. Je sens beaucoup d’enthousiasme de leur part à mon sujet et tout le monde est heureux, des deux côtés.
Il n’y a qu’un seul coureur français dans cette équipe mais aussi qu’un seul directeur sportif français, Alain Gallopin. Quelle est vote relation avec lui ?
On a une super relation. C’est mon directeur sportif référant donc on a beaucoup d’échanges téléphoniques, beaucoup de débriefings. Il sait le rassurer quand il le faut, m’engueuler quand il le faut. Je pense que c’est important d’avoir quelqu’un qui est franc avec vous dans une équipe pour qu’on ne te laisse pas à l’abandon, pour qu’au bout de deux ans de contrats on ne te laisse pas tomber en te disant ce qu’il te manquait sans te l’avoir dit avant. Alain Gallopin sait me dire les choses et c’est un gros plus pour moi et pour l’équipe. Alain était un grand copain de mon père. Ils n’ont pas couru à la même époque mais ils ont une bonne relation. Alain était aussi au SCO Dijon et c’est comme ça que je l’ai connu. Il connaissait tous mes résultats et c’est ce qui m’a permis de passer stagiaire. Alain connaissait la valeur des courses professionnelles où j’ai performé ce qui n’est pas toujours le cas des autres directeurs sportifs. Je lui serai toujours reconnaissant.
Jeudi, le Tour de France va arriver au Mont Ventoux. On pense à la victoire de votre père Jean-Francois sur le Tour 1987, quel est votre rapport à cet exploit ?
A chaque fois que le Tour passe au Mont Ventoux, je me dis quand même qu’il faudrait que je le grimpe un jour. Je ne l’ai jamais fait. J’aimerais bien voir où mon père a le plus souffert. La victoire de mon père avec son changement de vélo, je trouve qu’elle a une véritable histoire. Il a gagné seul, c’est une grande victoire. Je pense que, dans une carrière, on a trois jours exceptionnels et ce jour-là, il était vraiment dans une grande journée. C’est la victoire que les gens lui rappellent car elle les a vraiment marqués.
A cette époque, il n’y avait pas les réseaux sociaux, quel est votre approche par rapport à ces nouveaux outils de communication ?
Je pense que c’est une très bonne chose. Généralement une course fait 180-200 kilomètres et la diffusion à la télévision ne commence que dans les 80 derniers kilomètres. Pour les travailleurs de l’ombre comme moi qui ont fini leur travail au moment où la diffusion en direct commence, les réseaux me permettent de rester en contact avec les gens qui me suivent. Je peux leur faire un petit débriefing à l’arrivée sur mon Facebook et je sais que ça fait plaisir aux gens. Même les leaders remercient leurs équipier sur les réseaux et ça fait toujours plaisir de voir un message pour te dire merci. Je pense que c’est un grand plus pour le vélo. J’ai toujours l’impression qu’il n’y a pas assez de cyclisme à la télévision donc qu’il y en ait plus sur les réseaux, ça me plait. Maintenant on rigole bien avec Facebook, Twitter et même Instagram. Même pour les gens friands de matériels, ça leur fait plaisir.
Vélo 101 va mettre en place une opération de participation financière pour un projet en rapport avec le vélo en juin 2017. Quel projet choisiriez-vous entre partir faire le tour du monde à vélo, découvrir le Colorado en sept jours ou traverser l’Italie à vélo ?
Moi, je choisirais le tour du monde à vélo. J’imagine que c’est très long à faire. Mais rien qu’en étant stagiaire, je suis allé en Australie, en Chine et aux USA et ce sont des pays qu’il faut vraiment voir et que j’ai découvert grâce au vélo. J’y suis toujours pour les courses mais je regrette de ne pas avoir un jour ou deux pour visiter et profiter. Faire le tour du monde à vélo, ce serait sûrement un truc magnifique.
Comment sentez-vous le Tour de France pour Bauke Mollema cette année ?
Bauke est un battant sur le vélo. Il était malade au Critérium du Dauphiné mais j’ai regardé quelques étapes et il a l’air bien. Il peut largement faire un top 10 et personnellement je pense qu’il est capable de faire mieux. Un top 5 serait génial ! Je le vois bien 7 ou 8ème cette année. Maintenant, il y a plein de choses qui peuvent jouer. Il faut éviter les chutes et les jours sans. Pour la victoire, Chris Froome a montré qu’il était très fort. On l’avait vu le plus fort en montée, sur les chronos alors si maintenant il devient le plus fort en descente… En plus, le Team Sky est très, très fort cette année. Je pense que Froome gagnera le Tour. Quintana fera encore deuxième mais pour la troisième place, c’est beaucoup plus ouvert. Pourquoi pas Romain Bardet ! Il a attaqué ces derniers jours et quand tu attaques c’est que tu as de bonnes jambes. Ce serait bien pour le cyclisme français !
Propos recueillis à Morzine le 10 juillet 2016.