Jean-René, le Team Europcar a dépassé toutes les attentes la saison passée, l’objectif est de faire aussi bien sinon mieux en 2012 ?
L’année 2011 a mis la barre à un niveau assez important mais nous n’avons pas d’obligations. Une bonne saison ne se mesure pas comme ça, on peut très bien gagner moins tout en créant de l’émotion. On peut très bien écrire une belle page historique du vélo. Mais tout ça ne s’additionne pas. Chez nous, on ne parle pas de points. Thomas Voeckler est l’emblème de l’équipe. Derrière chaque course, il y a des organisateurs, des bénévoles, un public. Nous devons être acteurs sur chacune d’entre elles. Nous ne prendrons aucune course pour préparer la suivante. Notre gros travail cette année sera de conserver cet état d’esprit. Nous restons les pieds sur terre, mais avec un potentiel comme le nôtre, on devrait avoir un bon bilan. On ne le fera qu’en octobre.
Ne craignez-vous pas, après la fabuleuse histoire de 2011, que les attentes envers vos coureurs soient cette année démesurées ?
Il faut se battre, prendre des risques. Et avec un budget comme le nôtre, nous n’avons pas de comptes à rendre. Notre rapport qualité/prix est excellent. Nous ne sommes pas là pour dire que nous sommes la meilleure équipe du monde. Loin de là ! Nous avons des gars motivés, des bons gars, bien élevés. Nous avons une histoire, d’excellents vélos, un encadrement de qualité et surtout des valeurs.
Parmi ces valeurs, vous avez accentué la présentation du groupe sur les moyens mis en place en interne pour garantir la santé des coureurs, pouvez-vous nous en dire plus ?
Depuis plus de deux décennies, avec l’arrivée de l’argent, le sport professionnel est parti dans un délire. Notre crédo à nous est que nos coureurs soient en bonne santé. Avec le système pyramidal, nous récupérons des ados que les parents nous confient. Quelle est notre responsabilité ? C’est de les emmener au bout de leurs rêves mais pas de les détruire. Nous ne sommes pas des consommateurs. C’est mon rôle, ce n’est pas facile, mais j’y prends beaucoup de plaisir.
Emmener un coureur au bout de ses rêves, ça signifie quoi ?
Ça veut dire lui offrir la même carrière qu’un Jean-René Bernaudeau coureur. Ma grande richesse, c’est que j’ai fini ma carrière sans frustration, sans être blasé. J’avais simplement envie d’arrêter parce que c’était fini. Une page de ma vie se tournait et j’étais riche de ça. Je n’ai pas gagné l’Alpe d’Huez mais je n’en serais pas plus heureux aujourd’hui. J’inculque ces valeurs à mes coureurs : allez au bout de votre rêve. Je suis maladivement optimiste mais je veux leur donner du plaisir, de l’épanouissement dans cette partie très courte de leur vie. J’aime travailler avec de jeunes coureurs. On a beaucoup moins de problème avec un garçon de 20 ans qu’avec un coureur de 30 ans. Le vrai mot-clé de notre système, c’est l’éducation.
Et vous, quel est votre rêve cette année ?
J’ai arrêté de rêver depuis longtemps, mes coureurs me procurent tellement de joie. Mon plus grand bonheur, ça n’a pas été le maillot jaune ni le maillot blanc. C’est une image. Celle de mes deux coureurs dans la montée de Luz-Ardiden qui jouaient avec les meilleurs. Cette image, elle est inscrite dans ma tête. Il restait dix hommes devant, j’avais deux coureurs à moi, qu’importe leur place à l’arrivée. Ça vaut tout l’or du monde.
Vous parlez de marquer l’Histoire, comment cela se traduit-il ?
La veille d’un grand événement, personne ne s’en doute. La veille d’Orcières-Merlette, Merckx-Ocaña, c’est ma référence, personne ne s’imaginait qu’une grande page de l’Histoire allait s’écrire. Cette incertitude, je veux la remettre à l’ordre du jour. Il faut que les journalistes retransmettent au public de grands moments. Les choses ne peuvent pas être stéréotypées, écrites d’avance. On s’emmerde dans le sport quand il devient aseptisé, et je suis à l’opposé de tout ça. Il faut créer le danger partout où on peut le créer. Je suis anti-oreillettes. Les coups stratégiques fabuleux qu’ont fait Guimard et les autres, on ne peut plus les faire aussi facilement.
Le Team Europcar était candidat à une montée en 1ère division, ça n’a finalement pas été possible, est-ce un obstacle à la progression du groupe telle que vous l’envisagiez ?
Nous nous fichons des diplômes et des hiérarchies. Le vélo, ce n’est pas le football. Etre en 2ème division ne nous empêche pas de pédaler. C’est vrai que c’est plus confortable d’être dans le WorldTour, de ne pas avoir à faire de courriers et d’attendre les invitations. Nous avons malgré tout un menu de 300 jours et, avec Thomas Voeckler et Pierre Rolland, la certitude d’être sur de belles épreuves. A nous de gagner la 1ère division avec ce que nous sommes plutôt que d’aller acheter quelqu’un qui nous le permettrait. Le terme « acheter » dénaturerait la valeur de l’équipe.
Vous avez recruté cinq nouveaux coureurs, quatre étrangers et un néo-pro, qu’est-ce qui a motivé vos choix ?
Ces nouveaux coureurs, on les a voulus. Et pour une raison précise : nous n’avons pas le budget pour aller chercher des stars, et pas forcément l’envie non plus. Quand on voit ce qu’a fait Rafaa Chtioui jeune, à 26 ans, on est capable de lui apporter un petit coup de patte pour lui permettre de devenir ce qu’il doit être. Matteo Pelucchi a gagné chez les pros dès sa première année. Il n’y a pas de raisons que ces garçons-là ne soient pas des révélations. Nous préférons d’ailleurs travailler avec des gars qui vont se révéler plutôt qu’avec des gens payés avant de pédaler.
Pierre Rolland a-t-il acquis le statut d’un leader au sein de votre groupe ?
On mérite ce qu’on a. L’histoire de Pierre Rolland est faite d’un Maillot Jaune, Thomas Voeckler, qu’il a accompagné en montagne. Elle est faite aussi de la défaillance de grands coureurs dans les lacets des cols. Pierre a pris conscience que le haut niveau, c’était pour lui. Il a retrouvé sa place. Il doit beaucoup à Thomas et avec un an de plus, dans une équipe qu’il connaît bien, on peut penser que Pierre Rolland peut avoir des ambitions sur le Tour de France, une épreuve qu’il aime.
Propos recueillis à Paris le 26 janvier 2012.