Jean-René, comment qualifiez-vous le Tour de France de l’équipe Europcar ?
La 2ème place de Bryan Coquard sur les Champs-Elysées reflète bien l’image du Tour de France vécu par l’équipe Europcar : quand ça ne veut pas le faire, ça ne veut pas le faire ! L’équipe a replacé Bryan au kilomètre, nous avons joué sur le droite-gauche dans la rue de Rivoli, puis il a réalisé le sprint parfait. On a vu le coureur d’omnium, le pistard, entrer en piste. Son poids de 60 kg lui était défavorable sur les petits pavés des Champs, mais il a su jouer de sa petite taille et il a failli le faire ! Ce Tour, il restera à l’image de ce sprint. Ça n’a pas voulu le faire.
Ni pour lui ni pour les autres…
Ça aurait pourtant été une belle récompense pour Bryan Coquard, comme pour les autres quand l’occasion s’est présentée. Je pense à Cyril Gautier, qui a vraiment mouillé le maillot et a été le plus combatif de notre groupe. Quant à Pierre Rolland, il a raté sa première semaine, ce qui lui coûte la 5/6ème place du général. Durant ce Tour, le comportement de l’équipe a été formidable mais n’a jamais été payé.
En quinze ans, vous êtes passé par tous les états sur le Tour de France. Que restera-t-il de cette édition 2015 ?
Un collectif qui fonctionne bien, avec des rôles bien établis au départ. Il est important de mettre en valeur le fond de jeu de l’entreprise : les équipiers qui travaillent dans l’ombre. On ne met pas assez en avant un coureur comme Yohann Gène, qui a tellement pris de vent pour ses leaders dès la Zélande jusqu’au sprint des Champs. Je pense aussi à Angelo Tulik, à Bryan Nauleau, c’est beaucoup de boulot, une abnégation terrible. Je voudrais mettre cela en valeur. On parle de ceux qui n’auront pas de problème à rebondir si l’équipe venait à disparaître, mais moi je pense à ces garçons qui travaillent dans l’ombre, qui n’ont pas de points UCI et qui demain peuvent perdre leur travail.
Une fois encore, il manque la victoire d’étape qui vous échappe depuis 2012…
Non, il ne manque pas une victoire d’étape : il manque une récompense. Le Tour de France, ce sont vingt-et-une étapes en jeu et vingt-deux équipes en lice. Quand une équipe comme Lotto-Soudal en gagne quatre, que d’autres font des doublés, il reste énormément d’équipes à ne pas gagner. Et je rappelle que nous sommes l’avant-dernier budget du peloton. Bien sûr, une victoire d’étape aurait été géniale parce qu’on le mérite, mais on ne peut pas dire que l’équipe est passée à travers.
Qu’a-t-il manqué pour mettre la balle au fond ?
Il a manqué un peu de réussite, il a manqué que Vincenzo Nibali n’ait pas envie de sauver son Tour, etc. Vers La Toussuire, on est tombé sur un grand exploit de Nibali qui a condamné Pierre Rolland. Pierre a fait une superbe traversée des Pyrénées, ce qui était une première pour lui, mais il a surtout fait une très belle traversée des Alpes. Il lui a seulement manqué un peu d’explosivité dans l’Alpe d’Huez pour concrétiser son travail, c’est dommage.
Quel maître-mot vous vient à l’esprit pour caractériser le Tour de France de votre groupe ?
La malchance. Le pied à terre de Pierre Rolland à Zélande quand Bryan Coquard tombe et que les trois groupes se forment. Nous nous sommes retrouvés dans le troisième pour lâcher 5’04 » à l’arrivée. C’est cher payé. Et ça nous a poursuivis jusqu’au bout et la 2ème place de Bryan sur les Champs-Elysées. Pas de réussite mais neuf coureurs à l’arrivée, en bonne forme, et revanchards. Certains me parlent déjà de la Vuelta !
A titre personnel, comment Jean-René Bernaudeau a-t-il vécu les trois semaines écoulées à la recherche d’un repreneur ?
Usant, parce que mille fois par jour on me demande où j’en suis. Les gens me tapent sur l’épaule, ils m’aiment bien, mais il n’est pas facile de répondre à tout le monde gentiment. Il faut assumer mais j’ai dû un peu m’isoler. Les gens nous aiment tellement que ça a été à la fois très chaleureux et très compliqué à vivre tous les jours.
De quelle manière avez-vous protégé vos coureurs de cette expectative ?
Je leur ai dit de me faire confiance. Depuis la création de l’équipe il y a seize ans, je n’ai jamais signé avant le départ du Tour. Des capitaines comme Thomas Voeckler ont fait qu’aujourd’hui nous sommes là, il y a un vrai respect à avoir envers lui dont la fidélité est exceptionnelle. Nous avons donné aux coureurs toutes ces indications afin qu’ils choisissent leur avenir. Je ne mens pas, je ne triche pas. Je suis presque sûr d’y arriver, mais j’ai besoin qu’on me fasse confiance. L’équipe vaut le coup. Elle est en devenir. L’avenir peut être brillant si nous restons solidaires.
Des rendez-vous avec des partenaires potentiels vous attendaient à Paris. Sont-ils passés ou à venir ?
Beaucoup sont passés la semaine dernière, mais j’en ai encore toute la semaine. Je croise les doigts. Une victoire de Bryan Coquard sur les Champs-Elysées aurait pu déclencher une décision mais je pense que les grands patrons ne sont pas insensibles au fait que le Tour de France amène des retombées fabuleuses. Cette équipe-là, bon an, mal an, est toujours présente. Son caractère offensif donne une garantie de visibilité.
La période des transferts va s’ouvrir au 1er août, comment l’appréhendez-vous dans ce contexte ?
Ce n’est pas facile. Je me considère un peu différent dans ce milieu. J’essaie d’instaurer un peu d’élégance, de courtoisie. Je n’ai pas peur de dire que quand Romain Bardet ou Thibaut Pinot gagnent, je suis très heureux, car c’est excellent pour le vélo. Notre équipe est particulière : elle a un sport-études, une équipe amateur, il faut qu’elle dure. Je demanderai juste à mes coureurs d’avoir un peu d’élégance et de me laisser vivre. Je n’ai pas encore un genou à terre, loin de là.
Vous rappeliez la fidélité dont vous avait fait part Thomas Voeckler jusqu’à l’annonce in extremis du partenariat d’Europcar le 2 octobre 2010, sensibilisez-vous vos coureurs à cela ?
Pour nous, ce qui compte, c’est qu’ils construisent leur vie. L’argent, c’est une chose, l’avenir c’en est une autre. Aujourd’hui nous leur fournissons des conditions idéales pour réussir avec un espace nutrition, un bon programme d’ergonomie. Demain, s’ils sont payés très chers dans une équipe étrangère qui déléguera un inconnu pour aller les chercher à l’aéroport, avec une nécessité de résultat au bout, ça vaut quoi ? On le sait : l’argent ne fait pas le bonheur.
Propos recueillis à Paris le 26 juillet 2015.