Jacky, on vous a retrouvé au départ de la Corima Drôme Provençale dimanche, c’est plutôt rare…
Oui, c’est rare. C’est vrai que lorsque j’ai fini ma carrière je me suis dit que plus jamais je ne mettrais un dossard. A la suite d’un pari fou, j’ai dû me remettre à faire du vélo. Après pratiquement sept ans sans faire de vélo. Je me suis remis à rouler fin décembre. Pas pour préparer la Corima, mais pour le Tour des Flandres Cyclo qui aura lieu samedi prochain sur 240 kilomètres. Je n’avais pas envie de « mourir », alors j’ai repris petit à petit, je me suis entraîné. La Corima se disputait une semaine avant l’échéance, je n’habite pas loin, et j’ai trouvé que c’était un bon compromis.

Qu’est-ce qui a changé depuis votre retraite ?
Je me prends beaucoup moins la tête qu’avant. Je n’ai plus du tout l’esprit de compétition. Je m’arrête aux ravitos. Je pensais d’ailleurs que tout le monde faisait cela sur les cyclos. Et bien non, personne ne s’arrête ! Moi je me suis arrêté une fois ou deux quand j’avais soif ou faim. J’ai perdu du temps mais ce n’est pas grave.

Vingt ans après votre succès au Tour des Flandres, vous allez effectuer le grand parcours de la cyclo, qu’en attendez-vous ?
Comme beaucoup de cyclistes, je préfère courir dans des conditions agréables, même si je passais bien le mauvais temps quand je courais. En tant que cyclo désormais, vu ma moyenne qui ne sera pas très élevée, je préfère vraiment avoir du beau temps. L’anticyclone est prévu sur la Belgique. Je suis l’évolution tous les jours. Le principal, c’est qu’on n’aura pas de neige !

Comment est née votre idée de commémorer votre victoire au Tour des Flandres ?
C’est très simple. Le pari a été lancé au cours d’une soirée – un peu arrosée – avec des amis ! On a trouvé que ce serait bien qu’on fasse le Tour des Flandres tous ensemble, vingt ans après ma victoire. On s’est tapé dans les mains, et comme je suis un homme de parole… Nous avions lancé cette idée il y a deux ans, mais je n’avais pas pris le soin de rouler. Voyant la date approcher, j’ai commencé à m’y mettre. Nous serons une bonne trentaine à nous élancer sur les routes des Flandres.

Qui y aura-t-il avec vous ?
La plupart sont des amis d’enfance avec qui j’ai commencé le vélo. Il y aura aussi Patrick Chassé, avec qui j’ai commenté pendant de nombreuses années sur Eurosport. Et puis Christophe Moreau, qui n’a jamais fait le Tour des Flandres en tant que coureur et sera aussi de la fête.

Cette reconnaissance grandeur nature devrait enrichir votre commentaire du dimanche sur Eurosport…
C’est vrai que c’est la bonne année pour le faire étant donné que le tracé a complètement changé. Toutefois le parcours cyclo est un peu différent de celui des pros. On ne fera pas les trois boucles finales mais on grimpera quand même le Vieux Quarémont et le Paterberg. Ce sera un atout pour le lendemain. Sans doute pas pour la fraîcheur, mais ça on verra ! On coupera le micro quand on aura une crampe !

Ce nouveau parcours, vous le jugez plus excitant ?
Oui, complètement. Lorsque la météo était agréable, on avait déjà vu une petite centaine de coureurs au pied du Mur de Grammont, à moins de 20 kilomètres de l’arrivée. Avec le parcours qu’on aura dimanche, même s’il fait beau, ce sera impossible de revoir cela. Je pense qu’on aura moins de surprises. Un outsider ne pourra pas gagner, ce ne sera qu’un super costaud.

A qui pensez-vous ?
Deux noms ressortent : Fabian Cancellara et Tom Boonen. Le gros collectif d’Omega Pharma-Quick Step peut peser dans la balance. Sylvain Chavanel est là aussi mais je pense qu’il marche moins que Boonen. Il y aura des absents aussi. Philippe Gilbert rêve de gagner le Ronde mais lorsqu’on voit ses dernières sorties, ce serait une grosse surprise de le voir sur le podium.

On a le sentiment que Sylvain Chavanel a le droit de gagner en France, beaucoup moins lorsqu’il court sur les terres de son équipe…
C’est un peu le problème. On l’a vu l’année dernière à l’arrivée du Tour des Flandres. Le directeur sportif ne parlait qu’à Tom Boonen dans l’oreillette. Je le dénonce. L’an passé, Boonen ne pouvait plus gagner dans le dernier kilomètre. Il aurait fallu se focaliser sur Sylvain, qui a été perturbé par tout ce qui se disait dans l’oreillette en flamand. Si on lui avait dit en français de faire son sprint, je ne serais certainement plus le dernier vainqueur français du Tour des Flandres…

Cette victoire qui lui est passée sous le nez, Sylvain Chavanel ne risque-t-il pas de la regretter toute sa vie ?
Je ne l’espère pas. On lui fait de plus en plus confiance. Il est arrivé dans l’équipe comme équipier de luxe, maintenant il peut avoir le statut de leader. Mais si on a un grand Boonen, ce sera Boonen le numéro un. Objectivement, je pense qu’il est actuellement supérieur à Chavanel. Mais ce n’était pas le cas l’an dernier et ça a été une grosse erreur de ne pas lui faire confiance.

Qu’est-ce qui vous a marqué sur le début de la saison ?
Ce sont les jeunes. J’ai été surpris de voir tous les coureurs qui ont terminé dans le Top 5 du Championnat du Monde Espoirs actifs dès le début de saison, jouer des rôles. Je retiens aussi la progression d’un coureur comme Peter Sagan, qui peut tout gagner. Sans oublier Arnaud Démare, qui m’épate. Etre capable de gagner autant de courses à même pas 21 ans, et de belle manière, en vieux briscard déjà, c’est épatant. Attendons encore mais pour moi c’est la sensation du début de saison.

N’y a-t-il pas eu un conflit d’intérêt entre Peter Sagan et son équipe Liquigas-Cannondale, davantage concentrée sur Vincenzo Nibali à Milan-San Remo ?
Peter Sagan a perdu Milan-San Remo sur Tirreno-Adriatico. Lorsqu’il va gagner à Chieti après avoir relancé derrière Vincenzo Nibali, il y a un problème interne. Ça s’est vu à Milan-San Remo. Dans la descente du Poggio, Sagan aurait pu revenir sur le trio de tête car c’est un très bon descendeur. Mais il n’a pas voulu le faire, gardant l’épisode de Tirreno en tête, pour lequel il a été puni. Sans cette erreur sur Tirreno, il aurait sans doute gagné Milan-San Remo, mais le métier rentre comme ça.

Arnaud Démare est annoncé au Giro cette année. Le voyez-vous ensuite aux Jeux Olympiques ?
Oui, pourquoi pas. Au Giro, il va faire les dix premiers jours. Le parcours est particulier cette année, avec dix premiers jours quasiment tout plats, avec beaucoup d’arrivées pour lui. Ce sera un bon test pour lui car il y aura certainement un grand nombre des meilleurs sprinteurs du monde au départ.

Son presque jumeau Adrien Petit passe souvent près de la gagne, que lui manque-t-il ?
Je crois que c’est dur pour lui. Il voit tout le monde gagner des courses, même ceux qu’il a battus l’an dernier aux Championnats du Monde. Il est toujours là, toujours présent, mais il n’a aussi que des ennuis. Il a crevé dans A Travers la Flandre, déchaussé dans le sprint de Cholet-Pays de Loire… Si je peux lui faire passer un message, je dirais que ce qu’il a fait en tant que néo-pro l’an passé était déjà extraordinaire. Je ne me fais pas de souci pour lui, il va en claquer une à un moment ou l’autre.

Eurosport a lancé cette année une nouvelle émission, les Rois de la pédale, comment avez-vous vécu son lancement ?
Très bien. Les retours sont bons. On parle de l’actualité sérieusement mais tout en restant décalés. Ça colle bien à l’image des consultants de la chaîne. Nous n’avons plus qu’un espoir : que ça perdure ! Le problème c’est que l’émission n’est pas programmée à une heure fixe, elle est diffusée en fonction des événements. Le prochain numéro, ce sera après Paris-Roubaix.

Propos recueillis à Montélimar le 25 mars 2012.