Frédéric, en quoi consiste votre rôle au sein de l’équipe de la FDJ-BigMat ?
D’un côté j’ai un rôle de conseiller auprès des coureurs : je leur apporte des directives sur tout ce qui englobe les déterminants de la performance. Mais je n’en suis que quelques-uns de manière très pointue car il m’est impossible de tous les suivre. C’est pour cela que je partage ce rôle avec Jacques Decrion et Julien Pinot. Nous avons chacun nos coureurs à conseiller mais je rayonne sur l’ensemble afin de connaître tout ce qui se fait. Mon second rôle au sein de la FDJ est plus basé sur les orientations globales des stratégies de performance mises en place par l’équipe.
Qu’apportent réellement les séances en soufflerie que vous organisez ?
Elles nous servent d’abord à tester du nouveau matériel pour mesurer les réels gains de performance. Les produits ne sont pas testés que pour ceux qui effectuent les tests mais pour toute l’équipe. Elle doit profiter des trouvailles de ces tests dans le but de rehausser la performance globale de l’équipe. Ensuite, ces tests servent à chercher l’influence de la position du coureur sur sa performance. On est plus dans le spécifique pour certains coureurs, c’est-à-dire la position où le coureur sera le plus efficace. Ces tests servent donc à tout le monde même s’il n’y a qu’une minorité qui les effectue.
Pourquoi ces tests ne concernent pas toute l’équipe ?
Passer toute une équipe en soufflerie, c’est impossible. Ces tests sont effectués par certains coureurs qui souhaitent vraiment les faire et en particulier ceux qui veulent s’améliorer dans le domaine du chrono. Mais nous n’effectuons pas que des tests en condition de chrono puisque certains tests s’effectuent aussi sur des vélos de route. Les deux conditions sont importantes à tester indépendamment puisqu’elles diffèrent complètement.
Quelle va être l’organisation concrète de l’équipe dans le futur ?
L’équipe devrait s’organiser autour de quelques leaders bien définis épaulés par des équipiers. Autour de nos deux sprinteurs Nacer Bouhanni et Arnaud Démare, de notre homme de classiques Yohann Offredo et de notre homme de courses par étapes Thibaut Pinot. L’idée est vraiment celle-ci : il faut articuler toute l’équipe autour de quelques leaders. Cette organisation nous est un peu imposée par le système actuel du World Tour, pour marquer ces fameux points…
Que peut réaliser votre équipe dans l’avenir ?
Avec nos deux sprinteurs, nous espérons gagner beaucoup de courses sur des modèles d’arrivées différents. Ils sont tous deux excellents mais dans des registres de sprints complémentaires : Arnaud Démare est plutôt un sprinteur long, un peu « à la Cipollini » alors que Nacer Bouhanni est plutôt un sprinteur « à la McEwen », c’est-à-dire qu’il est capable de gagner sur des sprints moins bien organisés. Avec ces deux coureurs-là nous pouvons viser haut, que ce soit dans les courses d’un jour ou sur les étapes de Grand Tours. Ensuite, nous visons de bonnes performances sur les classiques avec Yoann Offredo qui sera bien épaulé par les coureurs expérimentés de l’équipe. Nous pouvons rentrer dans le Top 10 de différentes classiques avec Yoann mais également avec d’autres coureurs. Matthieu Ladagnous aurait pu terminer dans le Top 3 de Paris-Roubaix l’année dernière sans sa crevaison. Concernant les courses par étapes, nous allons essayer de rentrer le plus souvent possible dans les Top 10 des courses de haut niveau à l’aide de coureurs comme Sandy Casar, Alexandre Geniez, Arnold Jeannesson, et surtout Thibaut Pinot. Sur certaines courses par étapes, Thibaut devrait être notre leader unique et il sera très bien entouré pour faire les résultats escomptés. On possède également d’autres coureurs comme Jérémy Roy, susceptibles d’être performants sur des étapes.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consistent vos activités ?
J’ai l’extraordinaire chance de me lever tous les matins en faisant un métier qui me passionne. En fait, je suis un homme à trois casquettes. Je suis enseignant, chercheur et entraîneur. Ces trois casquettes sont complémentaires et importantes pour moi afin d’avoir le recul nécessaire pour faire correctement mon métier : travailler sur l’optimisation des déterminants de la performance sportive. Alors pour résumer, je fais un peu d’enseignement à l’université, 10 % de mon temps de travail. Je suis chercheur et entraîneur à la fois soit 80 % de mon temps. Pour moi la recherche et l’entraînement sont indissociables car quand j’entraîne mes coureurs je fais de la recherche. J’apprends beaucoup avec eux et dans mon métier j’ai toujours besoin d’apprendre. L’écriture de mes livres me prend le reste du temps. Je trouve cela important car ceci permet de montrer les fruits de mes recherches sur le cyclisme à tout le monde. Je n’aime pas cacher ce que je fais. J’ai toujours voulu faire progresser mon sport. Et publier des articles et des livres permet au plus grand nombre d’accéder au savoir. C’est la raison pour laquelle je forme des entraîneurs depuis plusieurs années. Dans ces livres j’essaye de montrer que l’entraînement ce n’est pas si simple que cela, qu’il n’y a pas de recette prédéterminée pour faire progresser un sportif. Effectivement, certains modèles d’entraînement peuvent marcher chez certains coureurs et pas sur d’autres. C’est pour cela que ce qu’a fait le Team Sky est compliqué.
Que pensez-vous de leur méthode ?
Elle est basée sur deux fondamentaux : ils ont d’abord décidé de recruter des coureurs à fort potentiel. Puis ils ont voulu reproduire la tactique de course de l’US Postal visant à protéger le plus longtemps possible le leader et ce jusqu’à l’arrivée pour que ce dernier ne soit jamais isolé. Et nous avons pu le voir, cette méthode a très bien marché cette année puisque Wiggins a remporté le Tour de France sans faire aucune attaque. Il s’est contenté de rouler au train derrière ses équipiers jusqu’à l’arrivée. C’est ce dernier point qui le différencie d’Armstrong qui lui faisait rouler toute son équipe sur le bas du dernier col pour ensuite partir en solitaire. Le « modèle Sky », certes pas très spectaculaire, est le moins coûteux au niveau énergétique. C’est celui qui convient le mieux à des coureurs comme Wiggins qui ne sont pas de purs grimpeurs. Il est le modèle à mettre en place pour les rouleurs-grimpeurs.
Vous n’avez donc aucune suspicion sur cette équipe ?
Non car leurs performances en montagne ne sont pas sujettes à caution. Elles ne sont pas en dehors du modèle de performance humain. Sur ce que j’ai pu observer et mesurer, je n’ai pas de raison d’émettre de doutes sur les performances brutes en montagne de cette équipe sur le Tour de France. Je vous rappelle que Thibaut Pinot, dont la probité sportive est inattaquable, a souvent fait jeu égal avec eux en montagne. Et douter de notre coureur est impossible puisque nous le suivons déjà depuis les Juniors. Ces performances, nous savions qu’il était capable de les faire. Les performances globales lors du Tour de France 2012 sont tout à fait acceptables. Pour moi, elles vont dans le bon sens puisque les analyses faites sur les puissances développées en montagne sont certes élevées mais passent largement dans le modèle humain.
Qu’en est-il des performances de l’équipe dans son ensemble ?
Effectivement, s’il y a avait un doute à apporter sur cette équipe, c’est sur ce point-là que je le placerais. Ils ont réussi à amener à haut niveau et au même moment neuf coureurs, ce qui est assez remarquable. Je peux vous le dire, ceci est vraiment très compliqué à mettre en place au niveau de la programmation de l’entraînement mais ce n’est pas impossible. La preuve. Mais si on y regarde de plus près, tous ces coureurs-là ne sortent pas de nulle part. De plus, avec ce modèle où toute l’équipe ou presque est partie en stage pour travailler pendant de nombreuses périodes, les doutes ne peuvent qu’être levés. Ces deux derniers points ajoutés ne peuvent pas me faire douter sur la crédibilité de cette équipe. Aussi, je ne vois pas un homme comme David Brailsford mettre en place un processus de dopage organisé au sein de son équipe. Je suis peut-être naïf mais mon honnêteté scientifique me dit d’y croire. En revanche, ils travaillent très certainement à la limite autorisée dans certaines méthodologies.
Vous avez fait part de vos idées pour enrailler le dopage. Selon vous, comment le cyclisme peut-il se défaire de ce fléau ?
Dans un premier temps, il faudrait qu’une agence indépendante de l’UCI soit créée pour la supervision de tout ce qui concerne les contrôles antidopage. Ensuite, la deuxième chose à faire est de conserver le système ADAMS (système de localisation) vu que celui-ci a déjà fait ses preuves dans la lutte antidopage. Troisièmement, il faut penser à la mise en place d’un suivi de l’activité du coureur. Aujourd’hui, un tas de coureurs ne sont pas suivis au niveau entraînement. De ce fait, leurs équipes sont incapables de valider leurs activités. Ces coureurs-là se préparent en dehors de leurs équipes respectives et ceci n’est pas tolérable car personne ne sait réellement ce qu’ils font. Ce suivi pourrait permettre de valider le processus médical et d’entraînement de chaque coureur et d’assurer ce que j’appelle « la probité sportive du coureur ». Pour cela, il faudrait que l’activité du coureur soit validée par l’entraîneur et le médecin de l’équipe pour que les instances dirigeantes sachent quoi faire et où intervenir. Le suivi ne devrait en aucun cas échapper à l’équipe qui emploie le coureur. Sa charge est de mettre en place toute la méthodologie possible pour valider son activité. Pour moi, si un coureur est convaincu de dopage, les personnes gravitant autour de lui doivent aussi prendre un carton rouge ! Si un jour je suis sanctionné car l’un des coureurs que je suis a été contrôlé positif, je serais prêt à l’accepter. On doit s’engager sur ce terrain et ne pas laisser incomber la faute seule à l’athlète. Au final, il n’y a pas que le coureur qui doit être sanctionné en cas de dopage.
Pensez-vous que c’est la solution à adopter ?
Personnellement, je pense que tant que la sanction ne touchera que le coureur, nous aurons toujours des problèmes. Il revient donc aux équipes de mettre en place un suivi cohérent de leurs coureurs pour éviter toute dérive possible. Ajouté à cela, je suis pour l’instauration d’un profil physiologique du coureur. Celui-ci représenterait sa carte d’identité physiologique et permettrait de prouver à tout le monde la cohérence entre les performances réalisées sur le terrain et son profil physiologique. Nous avons tous les instruments et la méthodologie pour le mettre en place grâce aux tests réalisés dès le plus jeune âge et au suivi complet de l’entraînement. Voilà un peu tout ce que je prône aujourd’hui. Il n’y a rien de compliqué à mettre en place dans tout cela.
Que pensez-vous des idées du Mouvement Pour un Cyclisme Crédible ?
Je suis pour ce que veut instaurer le MPCC du fait que je suis contre le fait que certains courent médicamentés. Pour moi, quelqu’un qui est médicalement assisté ne doit pas courir puisqu’il est considéré en arrêt de travail. Dans ce cas, le coureur est dans l’interdiction de courir. Il doit d’abord penser à se soigner. Je pense qu’il va aussi falloir mettre en place un observatoire des performances sur certaines courses. Cet outil permettrait de classifier les performances réalisées par les coureurs lors des étapes montagneuses. L’instauration de cet observatoire m’apparaît nécessaire puisqu’il permettrait à tout le monde de s’y retrouver un peu. Il pourrait permettre de savoir qui a réalisé une performance moyenne, qui a réalisé une performance très bonne, une performance excellente, une performance sujette à caution et une performance irréalisable. Je pense que grâce à tout cela, on pourrait vraiment contrôler la validation des performances de chaque coureur et voir qui rentre dans la norme et qui n’y rentre pas. Il faut vraiment installer toutes ces choses-là pour que le cyclisme se défasse pour de bon du dopage. Il faut maintenant que l’on avance et le plus rapidement possible.
Propos recueillis par Alexis Rose le 15 novembre 2012.