François, un mois après vos deux records du monde, quel souvenir gardez-vous d’Aguascalientes ?
Du Mexique, il me reste un petit coup de soleil (il rit). Il me reste surtout beaucoup d’images. En l’espace de 24 heures, j’ai battu deux records du monde. J’étais quasiment certain de battre celui du 200 mètres. Celui du kilomètre, on ne savait pas trop. Cela faisait des années qu’il n’y avait pas eu de compétitions en altitude. Lui mettre deux secondes et demie… J’ai encore du mal à m’en rendre compte. Dans les médias, tout le monde me dit « François, tu es une légende ». Il ne faut pas exagérer ! Je rentre dans la légende de mon sport, je veux bien le croire, mais de là à être une légende, c’est trop tôt pour le dire, même si je suis forcément content que l’on dise cela de moi. En plus, c’était au Mexique que j’ai fait ma première Coupe du Monde à 19 ans. Aguascalientes va être un lieu mythique pour moi. Un peu comme ma Mecque à moi.
Pouvez-vous dans un avenir proche améliorer ce record ?
J’ai fait 56″303. Je sais au vu des statistiques que j’ai tourné plus vite les jambes que sur mes kilomètres habituels. Ça veut dire que j’aurais pu mettre un peu plus gros. Si on suit la logique, j’aurais pu aller un peu plus vite. Peut-être en dessous des 56 secondes. Mais tant que personne ne le bat, je ne vais pas m’amuser à tenter des records. Ils sont bien comme ils sont ! Je suis peut-être tranquille pendant vingt ans ! Ma préoccupation, ce sont les Championnats du Monde. J’essaye de rester les pieds sur terre et de me concentrer sur ce que je dois faire prochainement, puis les Jeux Olympiques où je vise la médaille d’or. Par contre, je ne serai pas à Guadalajara pour la prochaine Coupe du Monde.
Les Jeux sont-ils déjà dans un coin de votre tête ?
Forcément, c’est l’objectif d’une carrière. Je ne dis pas que je terminerai à Rio, mais je pense être plus en forme au Brésil qu’à Tokyo. J’y pense sans trop y penser. Pour l’instant je savoure mon titre de champion du monde et mes deux records du monde. Le Mondial arrive bientôt. On a encore des choses à mettre en place avec la fédération et avec le coach pour progresser dans plusieurs domaines.
Pensiez-vous battre le record du kilomètre de cette manière ?
Juste avant moi, Maximilian Levy avait déjà battu le record du monde. D’habitude je lui mets entre une seconde et demie et deux secondes. Avant le départ je me suis dit que s’il avait fait 57″9, et que je retirais une seconde et demie, je me rapprocherais des 56″. Mais toute de suite, je me suis dit qu’il ne fallait pas que je pense à cela et que je me concentre sur l’effort que je devais faire. J’ai fait mon effort, j’ai levé les yeux et j’ai vu 56″303… Mettre deux secondes et demie au record d’Arnaud Tournant, c’était incroyable. Déjà à l’époque, c’était mythique. Il était rentré dans la légende et il était passé sous la minute, c’était extraordinaire. Avec les techniques d’entraînement, on se doutait que ce record serait battu. Deux secondes et demie, ça paraît beaucoup, mais quand on est spécialiste et que l’on est dans le milieu, on savait que c’était plus ou moins réalisable. Mais on ne s’en rendait pas encore compte car on ne savait pas ce que la piste pouvait nous apporter.
La piste de Saint-Quentin-en-Yvelines est elle aussi décrite comme une piste rapide, mais est-ce une piste à records ?
Non, je ne pense pas qu’il y aura des records du monde, tout simplement parce que l’on est au niveau de la mer. L’altitude joue un rôle important dans le chrono. Même si j’avais les mêmes conditions qu’à Aguascalientes avec 30° et 30 % d’humidité, il me manquerait toujours les 1800 mètres d’altitude. Par contre, on fera de supers chronos au niveau de la mer. J’en suis persuadé, avec le mètre supplémentaire en largeur et ce bois qui a l’air très sec et très dur, et cette géométrie de piste. C’est une piste qui va très bien rendre. A priori, on pourra monter jusqu’à 75 km/h, 77 km/h en pointe max. Soit sur un 200 mètres lancé un temps entre 9″7 et 9″8.
La piste fera 8 mètres de large contre 7 mètres en règle générale. Comment exploiterez-vous cela à l’entraînement ?
On pourra aller plus vite. Ce mètre de plus fera vraiment la différence. À vu de nez, on peut gagner un ou deux km/h sur chaque sprint. C’est énorme sur un effort de 10 secondes. Quand on est en haut du virage et que l’on plonge vers la corde, on a un mètre de plus de lancement, on ira forcément plus vite. La progression à l’entraînement viendra avec. Il y a très peu de pistes comme celle-là. À vrai dire, je n’en connais pas. Il y a bien sûr Moscou, mais c’est une piste de 333 mètres. Ce qui est atypique, c’est aussi l’inclinaison des virages. Ils sont bien relevés, j’adore ça ! Le dessin des virages également. Il est propre à chaque piste. Dans des petits virages, on a plus de pression quand on arrive à toute vitesse. À Saint-Quentin, je l’ai déjà ressenti. Quand je serai à fond, ce sera très bon !
Vous parliez aussi de la dureté du bois…
Imaginez que vous rouliez sur un matelas. Si vous roulez sur du bitume, le rendement sera tout de suite meilleur. Une piste avec un bois dur et sec permet d’aller plus vite. C’est le cas à Saint-Quentin. On sent que le bois n’est pas tendre. On n’entend pas les lattes craquer, ce qui veut dire que c’est vraiment serré. Rien qu’à la regarder, on voit tout de suite que c’est une piste de très bonne qualité.
L’ouverture du Centre National du Cyclisme signifie également que vous quitterez l’INSEP…
C’est un gros pincement au cœur. L’INSEP, c’est ce qui a fait que je suis devenu champion du monde. Cela m’a formé au niveau scolaire et cela a contribué à construire l’homme que je suis aujourd’hui. J’ai passé plus de temps de ma vie là-bas que dans mon propre lit chez mes parents ! L’INSEP, c’est une grande famille. J’ai effectué mon dernier entraînement là-bas le 24 décembre. C’est difficile parce que je suis forcément attaché à cette piste, à cet environnement où l’on côtoie d’autres sports. J’ai eu des professeurs formidables. Je me suis vraiment senti privilégié. Je quitte ce qui était un bon outil de travail pour un meilleur. Ça me permet de ne pas verser ma petite larme.
Votre vie va-t-elle changer ?
Un tel outil, ça change la vie d’un athlète ! On va passer d’une piste de 166 mètres à une piste de 250 mètres, les dimensions olympiques, en plus de toutes les infrastructures autour. C’est une nouvelle vie qui commence, voire même une deuxième carrière avec ce qui m’est arrivé cette année. Ce n’est que du bonheur, que du positif.
Propos recueillis à Saint-Quentin-en-Yvelines le 19 décembre 2013.