François, tu es désormais le détenteur du record de France de l’Heure en 49,408 kilomètres. Quel sentiment te laisse cette performance ?
Je suis juste heureux d’avoir concrétisé ce travail, d’avoir vécu un grand moment avec mon staff. Il n’y a pas forcément de fierté. Je le faisais sans attendre de retombées particulières. Je le faisais simplement pour moi, c’était un désir profond. Je voulais vivre des émotions avec mon staff, avec mes proches. J’ai 32 ans, j’arrive sur la fin de carrière. J’ai réuni autour de moi des personnes en qui j’ai confiance. C’est pour moi la cerise sur le gâteau de ma carrière qui n’est pas finie pour autant.
Est-ce la plus belle sensation que tu aies ressentie sur un vélo ?
J’ai deux ou trois victoires qui sont fortes, mais celle-ci est particulière. Le public a été énorme. Depuis six mois je me prépare pour cela. C’est un grand moment de ma carrière. Cela a été une heure de douleur, mais peut-être la plus belle de ma vie. Je suis très heureux pour le moment, mais il me faudra un peu de temps pour réaliser ce que j’ai fait. Je suis encore sur un petit nuage.
Pendant cette heure, par quels stades es-tu passé ?
Oui, je suis passé par différentes phases. Certains moments où tout allait bien et où tout était presque facile. D’autres où c’est nettement plus dur. Particulièrement dans les vingt dernières minutes. En fait, on passe d’instants où c’est très dur à d’autres où on est sur un nuage, où on entend le public qui nous pousse. Mais il faut toujours rester concentré sur sa régularité, son coup de pédale et s’attacher à bien suivre la ligne noire.
Tu bats ce record de plus de 2 kilomètres. S’agit-il d’un objectif que tu avais en tête ?
J’avais un objectif personnel, mais je suis très superstitieux dans la vie de tous les jours. Je n’ai rien annoncé du tout. J’ai écouté mes sensations durant l’effort et mon entraîneur sur le bord de la piste. Tout mon staff m’a boosté. Je ne m’attendais à rien de particulier. Je voulais juste mettre le curseur le plus haut possible. Je n’ai pas de regrets.
Tu as rapidement trouvé ton rythme et tu t’es montré extrêmement constant tout au long de cette heure. Avais-tu un tableau de marche clairement établi ?
On a fait pas mal de tests et on a pas mal travaillé la régularité à l’entraînement pour éviter que le corps ait à subir des changements de rythme constamment. On a aussi travaillé des détails sur le matériel, la position, la combinaison employée, la nutrition, etc. Il fallait être le plus régulier possible pendant une heure. Cela n’a pas été facile. Surtout dans les vingt dernières minutes. Il fallait rester constant, mais ça commençait à brûler vraiment dans les jambes. Je me suis battu. Je voulais tout donner et ne pas avoir de regret.
Parmi les détails, tu n’évoques pas le braquet que tu employais.
Je ne veux pas communiquer là-dessus. Sur la piste, ça reste quelque chose d’assez secret. Nous avons travaillé sur ces aspects et nous ne voulons pas donner d’indices pour ceux qui voudraient s’y attaquer. C’est à eux de faire les tests et de bosser pour trouver le braquet idéal.
Cela signifie-t-il que tu penses que tu as ouvert la voie à d’autres ?
Je pense que cela peut relancer l’intérêt du record de France. Est-ce que d’autres vont oser s’y attaquer ? Je n’en sais rien. Il faut aussi beaucoup de disponibilité. J’ai la chance que le Team Vulco-VC Vaulx-en-Velin m’ait laissé du temps pour préparer sereinement cet objectif.
Pendant ces six mois de préparation, as-tu douté sur ta capacité à battre ce record vieux de 56 ans ?
Non, pendant six mois, je n’ai vécu que pour cela. J’étais dans un état d’euphorie. Je me suis entouré de personnes hyper professionnelles et elles n’ont jamais laissé la place pour le doute. Elles m’ont apporté de la confiance tout le temps. C’était vraiment génial et une aventure humaine fantastique. J’en ai pleuré à l’arrivée. Je crois en fait que tout le monde était coureur. Tout le monde était avec moi, tout le staff avait la boule au ventre. C’est une victoire collective d’une douzaine de personnes qui ont été là presque tout le temps.
Le fait que ce record appartenait jusqu’ici à Roger Rivière le rend d’autant plus particulier que tu es Stéphanois comme lui.
Je m’intéresse beaucoup à l’histoire du vélo. Roger Rivière est un mythe à Saint-Étienne. Je savais que je m’attaquais à quelque chose de grand. J’ai beaucoup de respect pour lui et pour ce qu’il a fait. Forcément, c’était chargé en émotion. Forcément aussi, quand j’ai commencé les tests il y a six mois, je me suis demandé si j’arriverais à battre Roger Rivière. Je n’efface rien de ce qu’il a fait. J’ai beaucoup de respect pour sa carrière qui s’est terminée trop tôt. Je fais simplement ma marque.
Comment comptes-tu te réadapter à la route après cet effort très particulier ?
Mon entraîneur m’a programmé pour une heure d’effort et pour le moment, je ne suis pas du tout compétitif sur la route. Je suis un vrai diesel. Il va falloir que je réhabitue à ces efforts sur la route et à faire des sprints. Je suis plutôt bon finisseur. Ces qualités, je les ai perdues pour l’instant. Il va falloir que je les retravaille. Je peux rouler à 49 km/h, mais pour accélérer c’est un peu plus dur. Mais tout cela va revenir. Dans quinze jours, je remets les cale-pieds.
Propos recueillis à Roubaix le 11 avril 2015.