David, comment avez-vous appris le passage de votre équipe de l’Armée de Terre chez les pros ?
Nous l’avons appris par voie de presse suite à un article du Parisien samedi. La Ligue Nationale de Cyclisme et la Fédération Française de Cyclisme ne nous ont pas encore communiqué le résultat. Il n’y a rien d’officiel. Pour nous, ça a été une très grosse surprise, mais aussi un soulagement. Cela fait plus de cinq mois que nous étions sur le projet. Les sponsors sont plus ou moins rassurés. Nous allons enfin pouvoir travailler avec la certitude d’être professionnels en 2015. Aujourd’hui, le projet aboutit. Il n’aurait jamais pu se concrétiser si ma chaîne de commandement ne m’avait pas appuyé. Tout seul, je partais à l’échec.

Les premières rumeurs d’un passage chez les pros ont été entendues cet été. Par quels stades êtes-vous passés avant cette quasi officialisation ce week-end ?
Nous avons commencé à travailler sur le projet en juin. Il nous fallait trouver un partenaire civil pour pouvoir créer l’équipe au niveau professionnel. Il a été trouvé fin juin, début juillet. J’avais alors les éléments pour proposer un projet correct à ma hiérarchie. Nous avons été reçus le 26 août au Sénat auprès du Chef d’État-Major de l’Armée de Terre. A partir de là, j’ai pu déposer un dossier à la LNC. Il a été transmis le 24 septembre. Suite à cela, on a laissé les choses se faire en attendant des réponses. Il n’y en a pas eues pendant une longue période. On a eu un premier rendez-vous où on nous a dit qu’il nous manquait des pièces justificatives et administratives. Nous les avons rendues et nous avons eu une deuxième réunion le 7 novembre, puis une autre le 12 où les points bloquants ont été évoqués. Une partie de ces points a été résolue, notamment concernant le statut des militaires. Après cette réunion, nous n’avons plus eu de nouvelles et nous attendions des réponses de la Ligue pour passer professionnels.

Le partenaire civil que vous mentionnez donnera-t-il son nom à l’équipe ?
Exactement. Ce sera Armée de Terre et le nom du partenaire associé. La signature n’a eu lieu que vendredi, je ne peux pas en dire plus. Les sponsors ont eu des difficultés à attendre si longtemps. Ils se sont investis avec nous et ne voyant rien arriver, ils ont pensé à aller voir ailleurs. Maintenant que la réponse a été donnée, la situation est claire. Les négociations avec les sponsors peuvent reprendre de façon à donner un nom définitif à l’équipe très rapidement. Le partenariat devrait porter sur deux ou trois ans. Que la réponse soit positive, c’est très bien, mais elle est tardive et c’est compliqué pour les sponsors. Je n’incrimine personne. Notre dossier était complexe et les gens qui ont dû l’étudier ont dû prendre leur temps.

Le statut que vous posséderez a été aménagé. Vos coureurs pourront courir en continentale, mais ne posséderont pas le statut de professionnels…
Toutes les équipes continentales dans le monde ne sont pas professionnelles. Il n’y a qu’en France où c’est le cas, suite aux statuts mis en place par la LNC. Elle impose aux équipes de 3ème division d’être professionnelles avec un cahier des charges qui se rapproche plus d’une continentale pro que d’une continentale. Le statut de militaire n’entrait pas du tout dans le cadre du règlement français. Pour passer professionnel, il fallait donc trouver ce type de statut qui correspond aux normes de l’UCI. On sera donc une équipe continentale comme toutes celles qui existent dans le monde.

Tous vos coureurs continueront donc d’être militaires ?
Tout à fait. Ils rentrent chez nous avec un projet militaire. C’est ce qui est important pour nous. Ils restent athlètes de haut niveau pendant la saison. Le reste du temps, ils apprennent un métier au sein de l’institution et continuent leur carrière.

Sur le Tour de Bretagne, vous avez montré que vous aviez le niveau pour passer en continentale. C’est ce qui vous a poussé à postuler chez les pros ?
Nous avons gagné plusieurs Classes 2 comme Paris-Mantes avec David Menut et effectivement, sur le Tour de Bretagne, nous gagnons une étape et défendons le maillot blanc de Yann Guyot pendant six jours pour le perdre le septième. On s’est dit qu’en passant un cap, on pourrait faire des courses plus relevées en Classe 1. En milieu de saison, je me suis décidé à sauter le pas en sachant que je partais dans quelque chose de gigantesque. Je savais que ça allait être compliqué notamment par rapport au métier de militaire. Il fallait tenter. Si ça marchait tant mieux, si ça ne marchait pas, tant pis.

Était-ce votre seule motivation ?
Cela fait trois ans que l’on est en DN1 avec deux fronts tous les week-ends. Cela fait deux ans que l’on jongle entre quarante-cinq et soixante victoires par an. J’avais beaucoup de coureurs qui avaient le potentiel pour aller au niveau supérieur. Soit je perdais tous mes coureurs, soit je tentais de suivre mon projet pour les garder. C’est pour ça que l’on s’est lancé dans l’aventure. Mais encore une fois, si la chaîne de commandement n’était pas intervenue pour ce projet, il n’aurait jamais vu le jour.

N’avez-vous pas une pointe d’appréhension ?
Bien sûr ! On sait que l’on va être observés. On sera les plus jeunes, les petits nouveaux. Mais on a aussi l’envie de bien faire, de montrer que l’on a notre place d’un point de vue sportif et d’un point de vue de l’organisation de l’équipe.

L’annonce intervient à un mois et demi du Grand Prix La Marseillaise. Le temps sera très court pour vous préparer…
Effectivement, tout le monde a un peu tendance à oublier que la saison commence dans un mois et demi ! Pour nous, ce sera une course contre-la-montre pour être prêts pour le 1er février. On va devoir valider les maquettes des maillots, les vélos, le logo des camions et des bus, etc. Ce sont des choses que nous ne pouvions pas anticiper. La réponse n’étant pas sortie, on ne savait pas si les sponsors allaient se retirer ou rester avec nous. Maintenant que la situation est clarifiée, nous allons pouvoir travailler plus sereinement sur la suite, mais surtout dans l’urgence. On risque d’être un peu en retard en début de saison. Le plus important est fait puisque le recrutement est bouclé. On a un peu de retard. Il va falloir travailler énormément pour le combler. Pour le moment, j’ai prévu d’être au départ de La Marseillaise. On va tout faire pour y être à moins d’un problème logistique. Il faut aussi prendre en compte que les fêtes arrivent. Pendant pratiquement quinze jours, le monde entier ou presque est en vacances et arrête de travailler. Cela va être compliqué.

Dans cette période de flottement, comment avez-vous réussi à motiver votre groupe, notamment durant les stages de préparation ?
Onze coureurs, soit 60 % de l’effectif, sont restés. Ils me connaissent. Je leur avais dit que j’allais tout faire pour que cela fonctionne. Je leur ai demandé de me faire confiance. Ça n’a pas été facile. Certains ont tenu. D’autres ont eu tendance à craquer, se demandant comment ils allaient faire, ne voyant pas de réponse arriver. Surtout ceux ayant des contacts avec le monde professionnel, je pense à Yann Guyot, contacté par Bretagne-Séché Environnement. Il a refusé un contrat professionnel pour rester chez nous. Plus on avançait dans le temps et moins on avait de chances de partir. Les coureurs qui sont restés m’ont donc fait confiance. Les nouveaux ont fait un quitte ou double. J’avais un engagement moral avec les clubs amateurs. Dans l’éventualité où nous restions amateurs, les coureurs qui s’étaient engagés chez moi pour passer professionnels pouvaient retourner dans leur club d’origine. Je ne voulais pas dépouiller les équipes amateurs et il y avait donc divers arrangements avec les directeurs sportifs.

Le cas de Yann Guyot est finalement très révélateur…
Tout à fait. Il a fait un choix difficile. Il avait une proposition et c’était un rêve pour lui de passer professionnel, qui plus est dans une équipe bretonne. Il m’a dit que ça l’embêtait vraiment parce qu’il se sent bien chez nous. Il apprécie l’ambiance au sein de l’équipe, le fait d’avoir une structure qui soit opérationnelle sportivement, tout en ayant une carrière militaire assurée. Il a pris le risque, mais cela n’a pas été facile. Tout le monde a douté puisqu’on avançait de trente pas, et on reculait de vingt le lendemain.

Quel profil recherchiez-vous dans les coureurs que vous avez recrutés ?
Dans un premier temps, je cherchais des coureurs expérimentés ayant déjà couru plusieurs années en DN1. Ceux qui avaient le niveau pour passer pros, mais qui n’en ont pas eu l’opportunité ou la chance. C’est la raison pour laquelle j’ai recruté Jérôme Mainard, Jimmy Raibaud, Étienne Tortelier, lui-même ancien pro chez Saur-Sojasun, Julien Duval qui sort de deux ans chez les pros de Roubaix. D’un autre côté, j’ai voulu miser sur l’avenir avec des jeunes coureurs qui ont un potentiel comme Bryan Alaphilippe et David Cherbonnet qui vont progresser tranquillement dans la structure. Ils pourront s’appuyer sur les jeunes de chez nous comme Bruno Armirail, Romain Le Roux ou Kevin Lebreton, qui sont encore Espoirs. J’ai aussi voulu développer le côté piste avec Benjamin Thomas, champion d’Europe de la course aux points. Dans les quotas, j’ai droit à seize coureurs de route et quatre spécialistes qui doivent être dans les 150 premiers de leur discipline. C’est le cas de Jordan Levasseur sur piste et bien sûr de Fabien Canal en cyclo-cross. Le quatrième aurait dû être David Menut, mais il n’a pas voulu attendre. Il a fait un autre choix que je comprends. Il a préféré assurer son passage chez les pros avec BigMat-Auber 93 plutôt que de risquer de rester amateur chez nous.

Votre effectif sera composé de dix-neuf coureurs, c’est bien plus qu’une équipe continentale française « classique ». Pourquoi ?
Aujourd’hui, le but de cette équipe est de faire du recrutement et de communiquer l’image de l’Armée de Terre par le cyclisme. Nous avons aujourd’hui deux fronts, j’ai voulu les maintenir. C’est important pour continuer de communiquer correctement. D’un autre côté, continuer de la sorte permettait de ne pas réduire l’effectif. En juin-juillet j’avais déjà la structure globale de l’équipe. Je savais que quelques coureurs devaient partir. En fin de saison, nous avons fait des choix. Mais je ne me voyais pas renvoyer sept ou huit coureurs parce qu’il fallait passer pro de façon à continuer le travail fourni depuis quatre ans.

Avez-vous commencé à construire votre calendrier ?
On attend toujours l’annonce officielle de l’UCI le 7 janvier. Le fil rouge de l’équipe restera la Coupe de France. Notre calendrier sera surtout axé sur les courses professionnelles françaises si l’on est retenus par les organisateurs. Ce n’est pas gagné d’avance puisque l’on débarque. Certains organisateurs pourraient préférer inviter une continentale étrangère plutôt qu’une équipe française qui ne fera que sa première année. Tout cela reste de l’ordre de l’hypothèse. On a envoyé nos invitations. On attend désormais les réponses. Pour l’heure, le Tour du Haut Var et l’Étoile de Bessèges auraient retenu notre candidature. Cela va nous faire un beau programme. En plus de toutes les Classes 2 que nous avions l’habitude de faire comme le Tour de Bretagne, le Tour de Normandie, etc. Nous pourrons courir en Élite Nationale, en Classe 2, 1 et Hors Catégorie. On a un panel de courses qui peut permettre de faire progresser le groupe.

Propos recueillis le 13 décembre 2014.

L’effectif 2015 de l’Armée de Terre :

• Bryan Alaphilippe (FRA, Guidon Chalettois)
• Bruno Armirail (FRA)
• Yoann Barbas (FRA)
• Alexis Bodiot (FRA)
• Fabien Canal (FRA)
• Romain Combaud (FRA)
• David Cherbonnet (FRA, VCP Loudéac)
• Julien Duval (FRA, Roubaix Lille Métropole)
• Julien Gonnet (FRA)
• Yann Guyot (FRA)
• Kévin Lebreton (FRA)
• Romain Le Roux (FRA)
• Jordan Levasseur (FRA)
• Jérôme Mainard (FRA, CR4C Roanne)
• Quentin Pacher (FRA, AVC Aix-en-Provence)
• Jimmy Raibaud (FRA, CR4C Roanne)
• Benoît Sinner (FRA)
• Benjamin Thomas (FRA, Bourges Espoir Cyclisme)
• Etienne Tortelier (FRA, VCP Loudéac)