Damien, vous avez conquis Cholet-Pays de Loire deux semaines après le prologue de Paris-Nice. Etes-vous décomplexé aujourd’hui ?
Non, j’ai toujours couru de cette façon. Après, ma victoire sur Paris-Nice m’a rassuré sur ma forme. C’est là que se fait la différence. A Cholet, j’étais à la maison. J’avais la pression et je sentais qu’elle montait au fil des jours. Au départ, je n’étais pas très bien. Nous voulions travailler pour Bryan Coquard, mais pour cela il fallait mettre quelqu’un devant. Je suis parti très tôt à l’attaque, ce qui a soulagé l’équipe. Là, je me sentais bien. Et quand l’écart a atteint les six minutes et qu’on a pensé que ça pouvait aller au bout, on a décidé de jouer ma carte. Dans le final, j’ai eu la pression comme jamais. L’équipe, qui avait misé sur Bryan, s’est soudain appuyée sur moi. Il ne fallait pas que je me loupe !
L’échappée était composée d’excellents rouleurs. Ça devait envoyer ?
Ça roulait dur, oui ! Nous sommes partis vent trois quarts dos. Je connais le circuit par cœur, je me suis alors dit qu’à ce rythme on serait cuits en rentrant. On ne sait jamais comment sont les autres mais dans le final nous étions tous à la rupture. Matthias Brandle a lâché à 5 kilomètres mais il est rentré sous la flamme rouge et il a aussitôt démarré. Je me suis dit qu’il fallait faire l’effort, sans quoi on ne le reverrait plus. J’ai fait le trou et j’ai insisté malgré les crampes. Je me suis fait mal pour offrir cette victoire à mon plus grand fan, que j’ai perdu la semaine dernière. J’ai beaucoup pensé à lui dans le final, je pense qu’il me regardait. C’est ce qui m’a donné la force de conclure.
C’est à lui que vous avez pensé en franchissant la ligne les doigts pointés vers le ciel ?
Oui. J’ai perdu mon meilleur ami il y a une semaine. Il m’avait vu gagner sur Paris-Nice à la télé, cette fois il m’a vu gagner de là-haut. Ça m’a donné de la force pour le final. J’étais à la maison et c’est toujours difficile de gagner chez soi. Je suis parti de bonne heure sur des routes que je connais par cœur. Je me suis économisé au maximum toute la journée.
Vous aviez défini au briefing que ce serait tout pour Bryan Coquard. Quand s’est produite la bascule dans la stratégie ?
Je suis allé devant pour que les gars n’aient pas à contrôler toute la journée. Au moment où je me sentais le moins bien, Ismaël Mottier est monté à ma hauteur. Il m’a dit : « comment on fait ? » Le peloton ne rentrait pas, il m’a demandé si je me sentais bien. Là j’ai soudain senti la pression monter. Je me suis dit que si je me loupais alors que Bryan était favori au sprint, on m’en voudrait. J’ai accepté la mission. J’ai douté en voyant apparaître des crampes, mais on était tous pareil.
Pour vous qui êtes né à Beaupréau, où passe Cholet-Pays de Loire, que représente cette semi-classique ?
Quand j’étais tout petit, je venais à la présentation de Cholet-Pays de Loire avec mes parents. J’y voyais le champion local Franck Bouyer. Aujourd’hui on court ensemble. On partageait la même chambre samedi soir et on en reparlait. Lui il n’a jamais pu gagner à Cholet, où il s’est classé deux fois 2ème. C’était son anniversaire aujourd’hui, il aurait bien aimé être à ma place ! J’y ai pensé très fort. Je me disais qu’il ne fallait pas que je fasse 2ème. Pour Franck c’est une très grosse frustration que de n’avoir jamais gagné ici.
Vous étiez de loin le coureur le plus encouragé sur le bord des routes…
Je n’ai pas compté le nombre d' »allez Damien » ! C’est la troisième fois que je participe à Cholet-Pays de Loire. L’an dernier Thomas Voeckler m’avait même dit que j’étais plus encouragé que lui sur cette course. C’est vrai. Dans chaque village, tout le monde me soutenait. J’avais la chair de poule. Ça m’a motivé et donné plus de forces mais sur la fin, je me suis ordonné de rester concentré.
Vous connaissiez le parcours par cœur et l’aviez repéré jeudi ?
J’ai repéré le circuit trois jours plus tôt en effet. On a fait 140 kilomètres à deux pour 2000 mètres de dénivelé. Nous étions cramés en rentrant. Et aujourd’hui j’ai fait tout le parcours à quatre costauds ! Cholet-Pays de Loire, c’est usant, très dur. Il y avait derrière nous un groupe de quatorze poursuivants. Je voulais qu’on les laisse rentrer mais on a insisté et on ne le leur a pas permis. Le peloton les a rattrapés tard, là on avait déjà six minutes, ça a joué en notre faveur. Ça a mis la merde derrière nous.
Le prologue de Paris-Nice puis Cholet-Pays de Loire, peut-on parler d’un déclic à 26 ans ?
Non, je ne dirais pas ça. J’en ai gagné deux, mais peut-être que ça s’arrêtera là pour moi cette année. Je n’espère pas, maintenant que je suis lancé, mais c’est difficile de gagner chez les professionnels. Ça arrive souvent au sprint et il faut avoir de la chance. Deux victoires en deux semaines, c’est magique.
Par où va passer la suite de votre saison ?
Je pars pour trois semaines en Belgique pour y disputer les classiques. Je vais faire A Travers la Flandre mercredi, puis le Grand Prix E3, Gand-Wevelgem, Trois Jours de La Panne, Tour des Flandres, Grand Prix de l’Escaut et Paris-Roubaix ! Le fait de gagner va me donner de la confiance. L’équipe va également pouvoir compter sur moi. Mais une classique comme Paris-Roubaix, c’est spécial. Il faut avoir 100 % de forme et 100 % de chance. Je connais cette course par cœur. Je l’ai gagnée chez les Espoirs. Je vais y aller très motivé.
Propos recueillis à Cholet le 17 mars 2013.