Chris, vous avez très largement repoussé vos adversaires ce soir au Ventoux, où vous rejoignez le cercle des prestigieux vainqueurs au sommet. C’est une double satisfaction ?
Mon objectif aujourd’hui, c’était de prendre le maximum de temps au classement général. Je ne pensais pas à la victoire d’étape. Pour tout vous dire je pensais que Nairo-Alexander Quintana allait gagner l’étape mais dans les deux derniers kilomètres il avait moins de jambes. J’ai alors pensé que la victoire d’étape était également jouable. J’ai donné le maximum pour prendre le plus gros avantage possible. J’ai fini à bloc.
A tel point qu’il vous a fallu reprendre votre souffle sous oxygène à l’arrivée, vous rappelez-vous d’avoir déjà eu recours à cela après une course ?
Je ne me souviens pas que ça me soit arrivé de recevoir le masque à oxygène. Mais c’est quelque chose de relativement normal. Nous sommes à presque 2000 mètres et il n’y a pas beaucoup d’oxygène après un tel effort. J’étais plein gaz tout le final, j’avais logiquement du mal à respirer après avoir franchi la ligne. Mais avec l’oxygène tout est revenu à un niveau normal après quelques minutes. Je me sens mieux maintenant.
Vous avez impressionné tout le monde par votre cadence de pédalage au moment où vous avez porté votre démarrage. Comment faites-vous ?
Quand je place un démarrage comme celui-là, je le fais au feeling. Je me dis en fait que si je souffre, les autres aussi, et que si je suis capable de placer une telle attaque à ce moment, les autres vont souffrir encore plus. C’est alors le moment de les distancer. J’accorde aussi une importance à l’aspect psychologique. C’est dur de voir un coureur filer comme ça. La souffrance psychologique fait que c’est plus dur encore de boucher le trou et de revenir. Je ne calcule pas mes démarrages, ils dépendent des sensations du moment.
Aviez-vous planifié de démarrer là où vous l’avez fait à 7 kilomètres de l’arrivée ?
Non, pas du tout. Quintana a attaqué le premier, relativement loin du sommet. Il a très vite creusé un petit écart, il grimpe tellement bien, c’est normal. Mais je savais qu’il ne fallait pas le laisser prendre trop de temps. Peter Kennaugh a alors maintenu la différence en roulant derrière lui, puis Richie Porte a pris le relais, haussé le tempo pour réduire l’écart sur Quintana. A ce moment-là j’ai vu que j’avais mes principaux adversaires pour le général dans la roue. Puis il n’est plus resté que Contador. Là je me suis dit qu’il était temps d’en remettre une couche et de me lancer à la poursuite de Quintana.
Vous l’avez rejoint, puis vous avez porté votre démarrage décisif à hauteur de la stèle Tom Simpson…
Très honnêtement je pensais que la victoire serait pour Quintana. Moi mon objectif était vraiment de rouler pour prendre le plus de temps possible au général sur mes adversaires. J’ai essayé de l’attaquer à deux reprises mais il est revenu et ce n’était pas facile. Je me suis concentré un moment sur le fait de durcir la couse, de creuser l’écart. Aux 2 kilomètres j’ai senti qu’il faiblissait, alors j’ai prolongé mon effort. Ce sont les circonstances qui ont fait que j’ai pris les devants à la stèle Tom Simpson.
Pour performer sur ce Tour, vous vous êtes beaucoup entraîné en altitude. En quoi cela est-il bénéfique pour vous aujourd’hui ?
Nous avons préparé le Tour de France en deux parties, en altitude, et de la même façon que nous l’avions fait l’année dernière avec l’équipe. D’ailleurs quand nous nous entraînions, deux autres équipes résidaient aussi à notre hôtel, c’est pour dire que nous n’étions pas les seuls à agir ainsi. Ça fait partie de la préparation, c’est surtout important parce qu’on apprend comment notre organisme fonctionne en de telles circonstances, comment on récupère aussi.
Que représente pour vous une victoire au sommet du Mont Ventoux ?
C’est énorme, incroyable de gagner ici. C’est la plus grande victoire de ma vie. C’est une ascension mythique, la plus belle du monde. C’était incroyable de voir le monde au bord des routes. Je veux d’ailleurs remercier mes équipiers et tous les gens venus nous encourager. Gagner ici était un rêve.
Propos recueillis au Mont Ventoux le 14 juillet 2013.