Christophe, Milan-San Remo constitue l’un des grands objectifs de la saison de votre leader Nacer Bouhanni. Comment pouvez-vous l’épauler samedi ?
Le but est de l’aider dans son placement et dans le final. Nous connaissons à peu près les rôles de chacun. Certains devront faire en sorte qu’il ne prenne pas de vent. D’autres seront réservés pour le final pour tenter de gagner avec Nacer. C’est une course longue. Il faut se préparer à ce que certains passent à la trappe dans la Cipressa ou dans le Poggio. Nous serons plusieurs à le protéger de sorte qu’il ait au moins un homme avec lui au sommet du Poggio.
Idéalement, si un coureur doit être à ses côtés à la fameuse cabine téléphonique, c’est vous ?
On peut présenter cela comme ça. Julien Simon et moi. Tout sera décidé en fonction des circonstances de course. C’est une course d’un jour, longue et difficile, il faut calculer le moindre effort. Ça se joue à rien dans le final. Le placement est très important. Les descentes sont vraiment sinueuses. Tout s’enchaîne très vite. En bas de la descente du Poggio il reste 2 kilomètres de plat. Si tu es 50ème en haut, c’est difficile de remonter. On ne sait jamais à quoi s’attendre. C’est la raison pour laquelle nous serons plusieurs à l’épauler si jamais l’un d’entre nous se sent moins bien.
L’an dernier, pour votre première participation, vous terminiez à plus de dix minutes de John Degenkolb. Comment avez-vous progressé de manière à être encore présent au sommet du Poggio ?
Mon rôle était différent l’an dernier. Je devais placer Nacer au pied de la Cipressa. Il y a des sacrifices à faire, j’ai pris du vent pour le placer dans les meilleures conditions et je savais que je ne serais pas là dans le final. En plus, j’ai été pris dans une chute dans la Cipressa. On m’a tapé dans le dérailleur et j’avais dû m’arrêter. Cette année, je pense que si je suis dans une bonne journée, je peux l’accompagner dans le final.
L’an dernier, Nacer Bouhanni avait justement manqué de coéquipiers pour finalement terminer 6ème.
Effectivement, l’an dernier, pour que Nacer fasse un podium ou même qu’il gagne, il lui manquait un homme à ses côtés pour l’aider, le placer ou même pour le lancer. Nous avons travaillé cela depuis le début de l’année en groupe avec Cyril Lemoine, Julien Simon, Geoffrey Soupe et moi-même autour de Nacer. Le but était de préparer le train comme nous avons pu le faire à Paris-Nice. Nous avons également travaillé les bosses en Espagne. La Ruta del Sol et le Tour de Valence nous ont permis de travailler sur des efforts d’une dizaine de minutes à bloc avant un final.
Ce travail a-t-il été complété par des reconnaissances ou des séances-vidéo ?
Nous connaissons bien le parcours après avoir reconnu le final à deux ou trois reprises l’an dernier. Nous allons compléter cela par une séance derrière le scooter demain dans la Cipressa et le Poggio pour nous mettre le final dans les jambes. Tout l’hiver, nous avons fait des sorties un peu plus longues pour ces classiques. Milan-San Remo, c’est sept heures de selle, mais ça roule plutôt tranquillement en début de course. Les deux dernières heures sont les importantes. Il faut savoir suivre dans les Capi, dans la Cipressa et dans le Poggio.
Comment allez-vous organiser vos séances d’entraînement ces prochains jours ?
Nous devions faire une reco aujourd’hui, mais les conditions météo n’étant pas bonnes, nous l’avons repoussée à demain. Sans doute à partir de la zone des capi. C’est au Capo Berta que le rythme s’accélère et qu’il faut être placé. Nous roulerons 3h30 derrière le scooter pour reproduire la vitesse de la course en mettant l’accent sur la Cipressa et le Poggio. Le lendemain, nous ferons une sortie de récupération de 1h30 à 2 heures.
Qu’est-ce qui fait la particularité du sprint sur la Via Roma ?
C’est effectivement un sprint difficile. Il est en faux-plat montant et il intervient après 290 kilomètres. Cela ne se produit qu’une fois dans l’année. Pendant l’hiver, nous faisons de longues sorties et nous faisons des sprints en cours et en fin d’entraînement. Nous n’avons pas fait des sorties de 300 kilomètres avec un sprint pour finir pour reproduire Milan-San Remo, mais nous avons fait des courses longues, comme sur Paris-Nice avec des étapes de plus de 200 kilomètres.
Nacer Bouhanni vous parle-t-il régulièrement de Milan-San Remo ?
Il en parle beaucoup oui. C’est une course importante pour lui. Il y pense toute l’année. Avec Paris-Nice, cela fait partie des grands objectifs de son cycle de début de saison avant sa coupure pour préparer le Tour. Paris-Nice nous a donné de la confiance, c’est certain. On voit que l’on a le niveau, que l’on marche tous bien. Nous avons vraiment une bonne équipe.
Votre nature plutôt calme et posée semble tempérer le caractère parfois bouillant de Nacer Bouhanni. Doit-on y voir une explication de l’osmose qui s’est créée entre lui et vous ?
Je ne sais pas si c’est cela. Si je suis calme dans la vie, ce n’est pas la même chose sur le vélo. C’est surtout un travail de confiance que j’ai entamé avec lui dès le Circuit de la Sarthe l’année dernière. Nous ressentons un bon feeling et nous nous sommes bien trouvés. Geoffrey Soupe et moi nous entendons bien également. Il nous arrive d’inverser nos positions si l’un de nous deux est moins bien.
Quelles qualités ont convaincu l’encadrement et Nacer Bouhanni de vous confier le rôle stratégique de poisson-pilote ?
Il faut des qualités physiques, notamment pour accélérer afin de dépasser les trains des autres sprinteurs. Mais il faut aussi développer une intelligence de course. Savoir quand il faut y aller, savoir se placer, à quel moment faire l’effort. Je vais assez vite au sprint et je pouvais assumer ce rôle. Après Milan-San Remo, j’aurai des courses pour moi. Nacer Bouhanni ira au Tour de Catalogne pendant que j’irai sur les classiques. J’enchaînerai A Travers les Flandres, Gand-Wevelgem, les Trois Jours de La Panne et Paris-Roubaix.
N’avez-vous aucun regret à mettre vos ambitions personnelles de côté pour vous mettre au service de quelqu’un ?
J’apprends beaucoup aux côtés de Nacer. Quand je suis arrivé, je ne connaissais rien. J’ai appris à courir et à me placer pour gagner. Le travail que j’ai pu fournir pour Nacer tout au long de la saison m’a servi au Tour de Vendée que je gagne l’année dernière. C’est le genre d’arrivée qui me plaît. Les arrivées toutes plates ne me conviennent pas forcément. Je préfère quand la course a été dure. J’arrive mieux à m’exprimer.
Propos recueillis le 16 mars 2016.