Christian Prudhomme, on sort d’un Tour de France extraordinaire, comment avez-vous pensé la prochaine édition ?
C’est un Tour de France qui a été construit avec beaucoup de nouveautés. 2012 se situe entre des éditions historiques, celle du centenaire des Pyrénées en 2010, celle du centenaire du Galibier en 2011 et bien entendu la 100ème édition en 2013. Ce Tour 2012, nous l’avons donc clairement pensé sur le chapitre de la nouveauté avec de nouveaux cols, dans des massifs comme le Jura ou les Vosges, où l’on ne s’attend sans doute pas à rencontrer des pourcentages aussi forts. C’est un Tour dessiné pour les attaquants, pour les coureurs qui attaquent de loin. Il y aura un peu plus de cols, un peu moins d’arrivées au sommet, beaucoup plus de contre-la-montre. Ce Tour 2012 a été pensé pour que des gens qui souhaitent le gagner prennent le mors aux dents.
Après la Vendée en 2011, le Tour prendra son envol d’un autre grand pays de vélo : la Belgique…
La province de Liège, c’est toujours un bonheur pour le Tour de France et Amaury Sport Organisation, qui y organise chaque année la Flèche Wallonne et Liège-Bastogne-Liège. Le Grand Départ 2004 nous avait confirmé avec une force et une ferveur incroyable que la province de Liège aime le vélo. Nous le savons et c’est pourquoi nous repartirons de là en juillet prochain. Nous en sommes fiers. Il y aura beaucoup de manifestations à Liège d’ici là avec notamment en décembre la première Nuit du Tour. Une très belle soirée sera alors organisée autour du palais provincial. Il y a tout ce qu’il faut pour bien accueillir le Tour à Liège : un savoir-faire, une vraie passion, et le terrain pour offrir des courses intéressantes.
Des terrains intéressants, on en trouve aussi dans le Nord-Pas-de-Calais. Après les pavés en 2009, l’entrée du Tour sur le sol français passera cette fois par les Monts du Boulonnais…
Nous avions une très belle candidature transfrontalière entre Tournai et Orchies. Au quotidien, dans ma mission de directeur du Tour de France, j’entends beaucoup parler des euro-régions. Elles s’expriment ici avec Tournai et Orchies, d’où nous partirons pour Boulogne-sur-Mer par les Monts du Boulonnais. Ça va être une étape extrêmement dense sur laquelle je fonde beaucoup d’espoirs, avec dans les 20 derniers kilomètres une succession de côtes, de descentes, de pentes raides. C’est court mais c’est pentu, avec une arrivée en bosse. C’est dans l’esprit de ce que nous avions fait avec les pavés ou l’an passé avec le Mont des Alouettes et Mûr-de-Bretagne. Les favoris du Tour de France s’empoigneront forcément dans le final, et pas seulement pour la victoire d’étape.
Ce Tour 2012 va explorer de nouvelles contrées, c’est un pari ?
Ce Tour a vraiment été dessiné pour qu’il puisse y avoir des surprises. C’est un Tour avec de la nouveauté, une première semaine très dense comme nous l’avons fait ces dernières années, une montée en puissance dans les massifs dits intermédiaires et beaucoup de cols nouveaux, ce qui ne nous empêchera pas d’aller saluer comme il se doit les géants des Alpes et des Pyrénées. On comptera aussi quasiment deux fois plus de contre-la-montre que les années précédentes, précisément aussi pour redistribuer les cartes. Je n’ai qu’un dogme : qu’il n’y ait pas de dogme justement ! Il faut pouvoir changer chaque année et qu’il y ait le moins possible d’habitudes.
Six ascensions inédites vont faire leur apparition, parmi lesquelles celle de la Planche des Belles Filles, qui marquera la première arrivée en altitude ?
Le Tour de France n’a pas encore ses racines dans cette ascension, puisqu’elle est nouvelle sur le parcours, mais je peux vous dire que la fleur va pousser très vite. C’est un final formidable qui va vraiment marquer les gens. Déjà, son nom est extraordinaire : la Planche des Belles Filles ! Hier, peu de gens connaissaient cette ascension. D’un coup, ceux qui aiment le sport et le Tour de France vont aller voir. C’est magnifique et c’est terriblement dur. Les cyclos connaissaient déjà cette ascension de Haute-Saône, elle va cette fois être découverte par les 190 pays qui retransmettent les images du Tour de France. C’est écrit : ce sera spectaculaire.
Tout comme la montée du Grand Colombier, que le Tour n’avait jamais empruntée ?
Le Grand Colombier est un géant découvert à la fin des années 70 par le Tour de l’Avenir. Il est désormais régulièrement emprunté par le Tour de l’Ain mais le Tour de France n’y était jamais passé. Ça va vraiment être spectaculaire, par les pentes et l’aspect esthétique. Quand on monte au-dessus de Culoz, le panorama est dégagé et absolument extraordinaire sur les montagnes, le lac du Bourget et le Mont Blanc. Ça a tout pour plaire. Ce sera une formidable découverte française et mondiale. Après cent ans d’absence, il pourrait bien revenir régulièrement.
L’augmentation de la distance des contre-la-montre, 96,1 kilomètres au total, n’est-il pas un coup dur pour des coureurs comme les frères Schleck ?
L’année dernière, après la présentation du Tour 2011, le monde médiatique disait que ce Tour était taillé pour Andy Schleck. Il ne l’a pas gagné. Vous me dites l’inverse aujourd’hui, je vous dirai que c’est peut-être la chance des Schleck au contraire. Il y aura vraiment des rampes de lancement idéales sur une bonne demi-douzaine d’étapes, avec des cols à très forts pourcentages où les meilleurs grimpeurs partiront presque sans le vouloir. S’ils veulent vraiment faire la bagarre, ils auront de quoi dynamiter la course, ça ne fait aucun doute. Paradoxalement, je serais tenté de vous dire que c’est la chance des Schleck.
Le contre-la-montre final entre Bonneval et Chartres, 52 kilomètres, semble pourtant privilégier un rouleur comme Cadel Evans. Au fond, pour qui est fait ce Tour 2012 ?
Il n’est fait pour personne en particulier. Il est pensé pour qu’il puisse y avoir un véritable suspense jusqu’au bout. 52 kilomètres dans la plaine, avec les deux premiers tiers au vent, ça va être un exercice difficile pour les grimpeurs. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que s’ils veulent gagner, les grimpeurs devront emmagasiner de l’avance avant. Or il y a tout le terrain nécessaire pour le leur permettre. Nous verrons ce que cela donnera : si ça convient à un grimpeur qui prendra suffisamment d’avance en montagne, si ça convient à un rouleur qui creusera suffisamment l’écart dans les contre-la-montre, ou bien si ça convient à un coureur qui parviendra à tirer son épingle du jeu. C’est fait en tout cas pour maintenir le suspense jusqu’au bout.
Un Français peut-il s’imposer sur ce tracé qui peut effectivement créer la surprise ?
L’année dernière, j’aurais répondu non. Maintenant, après ce qui s’est passé en juillet, je ne vous donnerai pas une réponse mais tout est possible.
Propos recueillis à Paris le 18 octobre 2011.