Christian, si vous aviez dû écrire le scénario de ce 101ème Tour de France, auriez-vous rajouté un chapitre ?
Il y a eu une vraie maîtrise de Vincenzo Nibali tout au long de ces trois semaines. Il a frappé dans tous les temps forts du parcours que nous avions inscrits au tableau noir. C’est rarissime que ces temps forts subodorés soient bel et bien utilisés et magnifiés comme ils l’ont été : Sheffield, la Planche des Belles Filles, Chamrousse, les Alpes, Hautacam… J’ai été frappé par les mots de Thomas Cariou, le responsable presse du Tour de France, qui m’a rapporté que Vincenzo Nibali était dès le départ totalement serein avec la presse. Ce n’était pas le cas de Chris Froome l’an passé, qui était vite fatigué par les sollicitations qui s’imposent au Maillot Jaune chaque soir. C’est épuisant, surtout quand vous êtes en quête d’une victoire comme le Tour. Or dès le départ Vincenzo Nibali a été très serein.
Comme dans la manière dont il a géré sa saison au fond ?
Quand on regarde sa saison en effet, on l’a vu monter en puissance méthodiquement. Il était loin à Paris-Nice, mais lui disait que ce n’était pas un problème. Au Dauphiné on a vu qu’il avait beaucoup progressé mais il était encore derrière. Il nous a demandé d’attendre avant d’aller chercher sa première victoire de l’année au Championnat d’Italie. Il s’est annoncé, et pas seulement comme le troisième homme. Nul ne peut dire qu’il n’aurait pas été le premier, même avec Chris Froome et Alberto Contador.
Que retiendra-t-on dans plusieurs années de cette 101ème édition du Tour de France ?
Le Tour de France, c’est un tourbillon duquel il est difficile de sortir un événement parmi d’autres. On vit tellement de moments particuliers, tellement de surprises… Des images, plus que des moments forts, il en restera plein. Je pense à la foule du Yorkshire, l’accueil incroyable qui, pour la première fois, a fait réaliser aux gens en France pourquoi nous partions si régulièrement de l’étranger : nous allons y chercher la passion. Je m’attendais à un très gros succès, mais pas à ce point ! Je garderai l’accueil de la famille royale, le Premier ministre à Harrogate… Et la foule ! On n’a jamais vu autant de monde, trois jours d’affilée, sur la route du Tour. Le Yorkshire 2014, vous en parlerez encore à vos petits-enfants tant ce fut incroyable.
Cela justifie à vos yeux un nouveau Grand Départ de l’étranger en 2015, à Utrecht aux Pays-Bas. Cela va-t-il devenir une constante ?
C’est la passion que nous allons chercher. Dans le Yorkshire nous l’avons trouvée au-delà de toute espérance. On sait très bien que les Pays-Bas, c’est le pays de la petite reine. Le maire d’Utrecht était dans le Yorkshire, ils vont être remontés comme des coucous. Les Grands Départs de l’étranger, il faut bien le comprendre, magnifient le Tour. Et notre pays. Quand on va chez les gens, ils s’intéressent ensuite à ce que nous faisons. C’est clairement dans l’intérêt du Tour d’aller régulièrement à l’étranger, sachant que les 9/10èmes du parcours se déroulent en France.
Vous évoquiez d’autres images fortes de cette éditon 2014. Lesquelles ?
Evidemment il y a aussi les images des pavés. Cela fait quinze ans qu’on attend la pluie sur Paris-Roubaix, nous n’en voulions pas sur le Tour de France, or c’est arrivé. Ça a donné une course dantesque qui s’est jouée à la régulière. Les chutes ont été nombreuses, comme d’habitude dans la première semaine du Tour. Cette fois-ci elles ont frappé les plus gros. Mais pas sur les pavés. J’ai les images de la Planche des Belles Filles, celles de Tony Gallopin se battant dans le col des Chevrères pour sauver ce qu’il ne pouvait plus sauver. J’ai les images de la pluie, d’orages très violents, et du courage des coureurs cyclistes qui ont beaucoup ramassé. J’ai les images de l’élégance de Nibali, qui me fait penser à Felice Gimondi depuis longtemps. C’est une foultitude d’images en vérité.
Un nouveau champion italien va inscrire son nom au palmarès du Tour de France. N’est-il pas incohérent que l’Italie n’ait jamais reçu le Grand Départ ?
On a peine à y croire en effet. J’espère que ça ne restera pas toujours aussi incongru. Il y a eu des candidatures. Vous savez qu’il y a eu celle de Florence pour cette édition 2014, et que j’ai fait le choix du Yorkshire, que je ne regrette absolument pas. Malheureusement la candidature de Florence ne portait que sur 2014 et les 100 ans de la naissance de Gino Bartali. Le jour où je quitterai mes fonctions, s’il n’y a pas eu un Grand Départ d’Italie, je le considérerai comme un échec.
Les collectivités locales sont un acteur essentiel pour le Tour de France. Comment anticipez-vous la réforme des collectivités ?
Nous sommes forcément en phase avec la réalité de la vie. Nous regardons déjà où seront les compétences. Est-ce qu’elles resteront aux départements ? Les départements existeront toujours mais qu’en sera-t-il vraiment ? En plein Tour de France, j’ai suivi de très loin ce qui s’est passé à l’assemblée, mais c’est quelque chose qu’on regarde avec une grande attention. La route, c’est le terrain d’expression des coureurs. Nous sommes attentifs quant à savoir de qui elles dépendront à l’avenir.
Propos recueillis à Maubourguet le 25 juillet 2014.