Christian, vous annoncez aujourd’hui que les épreuves d’ASO quitteront le WorldTour en 2017, ce qui constitue clairement un rejet de la réforme, quels sont aujourd’hui les points de discorde ?
Sous le même vocable de réforme, nous mettons aujourd’hui une réalité complètement différente de celle qui existait il y a un an. Ce qui nous avait été expliqué fin 2014 à l’assemblée générale de l’Association Internationale des Organisateurs de Courses Cyclistes (AIOCC) allait dans le sens d’une réduction du nombre de jours de course au calendrier WorldTour. Aujourd’hui, au lieu d’avoir trente jours de moins on nous en propose trente de plus. Or alourdir le calendrier WorldTour empêchera demain les coureurs des plus grandes équipes de disputer d’autres épreuves que celles du calendrier mondial, qui sont pourtant essentielles. Le principe de la pyramide du cyclisme n’est pas qu’une formule, c’est une réalité sur laquelle tout le cyclisme repose. Le Tour de France se situe tout en haut de cette pyramide, mais son sommet est d’autant plus fort que sa base est solide.
Devant la réforme qui se dessine, le Tour de France prend donc la défense de la base du cyclisme ?
Il faut que les grands champions puissent courir chez eux. Prenons l’exemple de Vincenzo Nibali, vainqueur des trois Grands Tours et au départ en septembre de la Coppa Bernocchi, qu’il s’en va gagner. C’est formidable. Contraindre les équipes à disputer un calendrier WorldTour surchargé en jours de course ne laissera plus de place à cela. Il faut qu’un Thibaut Pinot puisse courir un Tour du Doubs. C’est important et même essentiel que les gens de chez lui qui l’ont vu commencer à gagner puissent encore le voir. Nous croyons vraiment au principe de la pyramide. Il faut qu’on puisse défendre les calendriers nationaux sans quoi on va saper les deuxième et troisième niveaux. Et ce n’est pas possible. Nous sommes partisans d’un système ouvert dans lequel le mérite sportif est le critère dominant.
L’Union Cycliste Internationale a annoncé le 8 décembre dernier l’adoption des principes de la réforme par les parties prenantes du cyclisme. Qu’est-il vraiment ressorti du séminaire organisé à Barcelone ?
L’UCI nous a réexpliqué la réforme, sans qu’il n’y ait de question complémentaire derrière. ASO y a maintenu un silence frappant. De là la fédération a seulement demandé aux organisateurs du calendrier WorldTour de lui communiquer, entre le 15 décembre 2015 et le 15 janvier 2016, leur candidature pour le WorldTour 2017. Aujourd’hui, nous avons apporté notre réponse en annonçant que nous souhaitions inscrire nos épreuves au calendrier Hors Classe.
Faut-il prendre l’annonce de ce retrait du WorldTour pour 2017 comme une riposte ou une invitation à poursuivre le dialogue ?
Nous ne sommes simplement pas d’accord avec la réforme qui est prévue. On nous demande si nous voulons faire partie du WorldTour en 2017, sous cette forme-là cela ne nous intéresse pas. C’est pourquoi nous préférons inscrire nos épreuves en Hors Classe. Maintenant, un circuit mondial sans le Tour de France, Paris-Nice, Paris-Roubaix, la Flèche Wallonne, Liège-Bastogne-Liège, le Critérium du Dauphiné et le Tour d’Espagne, ce n’est plus vraiment un calendrier d’élite.
De fait, du bras de fer engagé entre ASO et l’UCI, vous apparaissez en position de force…
Je comprends que vous puissiez l’analyser comme cela, mais je ne vois pas cette situation comme un bras de fer. Nous disons simplement à l’UCI que nous ne sommes pas d’accord avec cette réforme, elle le sait, car elle n’a plus rien à voir avec le projet présenté il y a un an. Nous restons donc sous l’égide de l’Union Cycliste Internationale, mais avec des règles propres aux épreuves Hors Classe. Pour un calendrier Hors Classe qui au final apparaît plus séduisant que celui du WorldTour…
Que changera concrètement un Tour de France organisé dans la catégorie Hors Classe, comme c’est déjà le cas chez ASO pour des épreuves comme Paris-Tours ou le Critérium International ?
Nous serons libres de nos invitations, avec la contrainte de ne pas pouvoir sélectionner plus de 70 % d’équipes WorldTour. Pour nous ce ne sera pas un problème. Avec treize équipes WorldTour au lieu de dix-huit au départ du Tour de France, ça permettra d’ouvrir plus largement les vannes aux équipes de 2ème division. Dans le même temps, ça nous permettra de prendre moins d’équipes, vingt au total, pour mettre en application ce que nous souhaitons, à savoir un peloton moins imposant au départ des épreuves. D’abord pour des raisons de sécurité. Les autres épreuves récupéreront d’autres équipes, et tout le monde sera gagnant.
On évoque depuis deux ans une réforme du cyclisme. Mais le cyclisme a-t-il vraiment besoin d’être réformé ?
Le cyclisme, comme tous les sports, a besoin de tout faire pour lutter contre la triche. C’est le plus important, bien que parfois on ait tendance à oublier ce genre de choses qui sont tout sauf des détails. Le vélo a fait beaucoup d’efforts et des choses ont vraiment changé, mais on sait que le monde n’est pas parfait et qu’il faut continuer à se battre. En matière de réforme, il faudrait se pencher sur une réduction de la taille du peloton et faire en sorte qu’il y ait moins de chutes. Nous avons fait avec l’AIOCC la demande d’un coureur de moins par équipe au départ des courses, mais je ne me fais aucune illusion. On évoque le matériel avec l’introduction des freins à disque, la réintégration généralisée des oreillettes, mais analyse-t-on vraiment le problème de la sécurité.
Aujourd’hui, quels sont vos rapports avec l’Union Cycliste Internationale ?
Nos épreuves vont rester sous l’égide de l’UCI, mais en Hors Classe. Nous allons nous parler courtoisement, il n’y a pas de problème, mais en revanche nous ne sommes pas d’accord avec la réforme. Nous souhaitons que les racines soient respectées. C’est un problème philosophique pour l’avenir du vélo.
Propos recueillis le 18 décembre 2015.