Axel, que devenez-vous depuis la fin de votre carrière pro ?
Ça fait quatre ans que je dirige l’équipe Bontrager-Livestrong, aux Etats-Unis. J’ai eu une année non pas sabbatique mais intermédiaire, où j’ai dû me retrouver. Durant cette année j’ai fait des sorties avec des cyclos sur les classiques Ardennaises. Et puis l’opportunité s’est présentée avec un sponsor formidable qui investit beaucoup dans les jeunes et dans le futur et c’est quelque chose qui me plaît. Maintenant mon emploi du temps est assez chargé et je dois me concentrer uniquement sur l’équipe et le développement des jeunes coureurs. J’habite désormais au Canada, avec toute ma famille. Ça a été un grand changement pour nous tous.
Quelle est la philosophie de cette équipe Bontrager-Livestrong ?
C’est d’investir dans le futur, dans les jeunes coureurs, d’abord Américains, mais aussi Belges. Cette équipe a grandi rapidement et on a déjà des valeurs sûres qui sont WorldTour maintenant, comme Taylor Phinney, Alex Dowsett, Jessie Sergent, Tim Roe. Cette année, il y aura deux coureurs qui vont enrichir cette liste, Joseph-Lloyd Dombrowski et Ian Boswell. Pour nous, c’est très valorisant de voir ces jeunes réussir au plus haut niveau, c’est un gage de réussite.
A partir de quand prenez-vous ces jeunes ?
A partir de 18 ans, dès qu’ils quittent la catégorie Juniors, et on les accompagne jusqu’à la catégorie Espoirs. On essaie de les aider au mieux, de les guider, pour qu’ils visent le plus haut. On est une équipe Espoirs qui n’est liée à aucune équipe WorldTour. Il suffit de voir les équipes où ont signé tous nos jeunes, ils ne sont pas forcément allés dans une équipe sponsorisée par Trek. De ce point de vue-là, ils n’ont aucune pression, c’est un avantage. A la différence d’équipes Espoirs comme Rabobank, BMC ou Garmin, qui limitent leur développement futur, ils ont une liberté totale dans leurs choix de carrière.
Si on compare avec le football, avez-vous un centre de formation, une base unique pour ces jeunes ?
Non, ils sont basés un peu partout, mais nous avons deux centres plus précisément, un au Texas, l’autre au Colorado, à Boulder, où il y a un soigneur et un mécanicien qui assistent les jeunes. Les étrangers habitent là, au Colorado, et je les suis sur les courses. D’autres habitent encore chez leurs parents, ils sont encore très jeunes, et veulent tenter leur chance et voir s’ils sont aptes à passer le cap supérieur.
De votre côté, vous les suivez à distance à travers leurs données personnelles, avec des programmes d’entraînements précis ?
La plupart ont des entraîneurs, et je supervise également, avec le système Quark (NDLR : un capteur de puissance développé par SRAM). J’ai accès à toutes les données. Ça passe aussi par l’hygiène de vie, de début janvier, lors du camp d’entraînement, jusqu’au mois d’octobre, quand la saison est terminée.
Les coureurs de votre équipe ont-ils l’obligation de prolonger leurs études en parallèle au vélo ?
C’est tout à fait libre. Certains continuent les études, sont à l’université, ou en écoles supérieures. Dans ce cas, ils aménagent leur emploi du temps, leurs études, ils ont plus de cours en hiver, et moins en saison régulière de vélo. Je suis très ouvert à ça, surtout à ce jeune âge, à préparer son après-carrière. Car on le sait : après la carrière, la vie est encore longue.
Potentiellement, pourriez-vous accueillir des jeunes coureurs français ?
Oui, tout à fait. On a déjà deux Belges, la seule chose qu’on demande, c’est de maîtriser l’anglais. La langue de l’équipe. On est une équipe américaine, mais tout est ouvert.
Le nom de l’équipe est celui d’un équipementier qui œuvre sur une large gamme d’accessoires. Les coureurs ont-ils une coopération avec la marque sur les aspects techniques ?
On est une équipe de développement. Au plan sportif bien sûr, mais aussi technique. On teste des produits nous-mêmes, c’est vrai, pour un sponsor. C’est important d’investir et de valider ses choix, même si je peux vous dire que quand des marques comme Trek ou Bontrager lancent des produits, c’est validé au plus haut point, ça tient la route. Nous on essaie de les aider à affiner, de les guider, là où il y a moyen d’améliorer encore.
A quel moment libérez-vous des coureurs dont vous jugez le potentiel sportif, humain insuffisant pour passer pros ?
En général, je leur donne deux ans, car je considère qu’en deux années, on apprend à connaître une personnalité, les ambitions et les talents. Ce n’est pas seulement ce qui se passe sur le vélo, mais aussi à côté, au plan de la personnalité. Mon rôle est de révéler des talents, de garder les meilleurs. Comme n’importe quel centre de formation, au basket, au football, il y a des athlètes qui n’y arrivent pas, ou qui plafonnent à un certain niveau. Là, ils doivent se tourner plutôt vers une formation de niveau national, mais dans tous les cas ils auront eu l’opportunité de démontrer ce qu’ils valent à tous niveaux.
En France on connaît le Chambéry Cyclisme Formation, comment vous situez-vous vis-à-vis d’autres formules qui existent ?
Je pense que c’est la formule qui laisse aux coureurs de grand talent la possibilité de choisir en toute tranquillité, sans pression vis-à-vis de qui que ce soit. Si vous êtes dans l’équipe Espoirs d’une équipe pro, vous êtes lié par exclusivité, et ce dès l’âge de 18 ans. Si vous avez du talent, vous êtes libre de négocier et répondre à la loi de l’offre et de la demande. Je vais défendre mon projet, c’est celui qui offre le plus de perspectives, non seulement par l’encadrement, pour la technique, mais aussi sur la finance. Mon travail est plus difficile quand ça va un peu moins bien, physiquement, mentalement, quand ils piochent un peu. Là ils ont besoin d’expérience. J’ai la mienne sur quatorze années de professionnalisme, j’ai connu ces moments-là, mon père aussi, sans doute un peu moins, mais cette expérience leur sert, c’est certain.
Le Tour du Colorado, c’est une leçon de chose grandeur nature ?
Oui, c’est une leçon. Les coureurs ouvrent de grands yeux et se demandent si c’est ce qu’ils seront à même de faire dans le futur. Certains autres coureurs sont euphoriques, les résultats suivent, ils se disent je vais y arriver, c’est bon pour eux, c’est gai pour moi. L’atmosphère et l’image de marque de l’équipe est en croissance, surtout aux Etats-Unis. Après, on essaie de s’accaparer des talents internationaux. Ça me plaît énormément, une nouvelle vague de jeunes coureurs est là, j’en suis content.
Vous êtes bien placé pour en parler, on peut dire que l’après Armstrong est assuré aux Etats-Unis ?
Oui, ne serait-ce qu’avec la place de 5 de Tejay Van Garderen au Tour de France. Dans les jeunes Américains, il y a énormément de talent qui arrive, un vrai engouement. Il y a eu LeMond, Armstrong, en France vous avez eu Hinault, Fignon, en Belgique, Merckx, De Vlaeminck, Godefroot, ce sont les vedettes qui sont le moteur d’une discipline auprès des jeunes. Les jeunes s’essaient au cyclisme, la base est large, et ça donne des champions.
Si vous deviez donner un Top 3 des futurs talents américains…
Dans quelques années, Tejay Van Garderen pour les Grands Tours, Taylor Phinney pour les classiques et Jo Dombrowski pour la pure montagne, ça va être quelque chose d’exceptionnel.
Propos recueillis à Gunnisson le 23 août 2012.