Alain, quel bilan tirez-vous du Tour de France ?
Et bien sportivement parlant, on peut dire que nous avons rempli nos objectifs. Avec la victoire de Fabian Cancellara sur le prologue on a tenu le Maillot Jaune pendant 8 jours. Ca nous a coûté beaucoup d’énergie, surtout pour Jens Voigt, Popvych et Tony Gallopin. Bon, Tony il a payé cash, en plus il s’était beaucoup donné le week-end, et il a été malade après. Ensuite l’équipe a été pas mal critiquée à droite et à gauche sur le coaching, mais j’ai toujours voulu conserver la force de mon groupe parce que l’objectif du sponsor était de remporter le classement par équipes. Et malgré l’histoire de Frank Schleck, on a tenu l’objectif et je tire un grand coup de chapeau à tous les coureurs. Les 6 coureurs qui ont fini ont été extraordinaires.
Entre la 1ère semaine de course parfaite et la dernière qui vous a permis de vous maintenir en tête du classement par équipes vous gardez un bilan global satisfaisant alors ?
Je pense que même en 2ème semaine on a vu que l’on avait une force collective notamment en montagne. J’ai toujours dit « quand il reste 15 coureurs on en a 4 ou 5, quand il n’en reste plus que 6, je n’ai plus personne ». Donc le collectif est là. Je dirai que sans l’histoire de Frank on aurait eu un Tour parfait. Après… l’histoire de Frank… Qu’est-ce que l’on peut faire ? On nous parle d’un contrôle anormal et non d’un contrôle positif. On nous dit produit spécifique et non produit dopant…On nous parle encore de microgrammes… Je pense que dans un autre sport ce serait passé inaperçu.
Le retirer du Tour était la plus sage décision pour la course et pour l’équipe ?
Personne n’avait le choix. D’ailleurs, quand on nous a annoncé le contrôle, on nous a dit qu’il n’était pas suspendu et qu’il pouvait continuer le Tour. Mais c’est absurde.
Beaucoup de questions se posent au sujet de l’avenir de l’équipe. Qu’est ce que vous pouvez nous dire à ce sujet ?
Avec RadioShack, il y a un contrat de 2 ans, donc je ne suis pas du tout inquiet pour le futur. L’Après-Tour c’est d’abord le moment pour récupérer et ensuite faire les bons choix pour le futur. On va voir comment vont avancer les choses.
Au-delà de votre bilan, qu’avez-vous pensé de ce Tour de France ?
Je pense qu’il s’agissait vraiment d’un Tour dessiné pour Wiggins. Il faut être honnête, même avec les grimpeurs à 100% de leur forme, comme les nôtres, ils partaient avec un handicap de 7 ou 8 minutes à cause des chronos. Et franchement ce n’est pas dans la Planche des Belles Filles, dans Peyragudes ou La Toussuire que l’on pouvait rattraper ce retard là. Je l’ai dit dès le départ, c’était un tour pour les « chronoman ». Je pense même qu’avec un Contador à 100%, il n’aurait pas gagné le Tour. Il aurait perdu un peu de temps contre la montre et je ne suis pas sûr que les arrivées au sommet fussent assez difficiles pour qu’il reprenne du temps. Wiggins a saisi sa chance, c’était son Tour. Il a montré qu’il était un cran au-dessus de tout le monde lors des chronos.
L’an prochain c’est la 100ème édition du Tour, comment vous anticipez cette future Grande Boucle ?
Et bien déjà on va attendre la présentation du parcours ! Sur ce que j’ai vu, on va partir de Corse et puis après il y aura un contre-la-montre par équipes. Donc un chrono par équipes c’est forcément favorable pour les grimpeurs comme les Schleck parce que ça fait un chrono individuel en moins, et comme ils sont dans de bonnes équipes ils peuvent prendre du temps sur d’autres favoris. Donc il ne manque plus que de la grosse montagne pour qu’ils soient opérationnels.
Et vous, en tant que manager, vous appréciez le chrono par équipes ?
Oui, moi j’aime. C’est l’épreuve la plus stressante de toutes. Par contre ce que je peux reprocher au chrono par équipes de l’an dernier c’est qu’il était trop court. Il faut qu’il fasse entre 35 et 45 kilomètres minimum pour moi. L’an dernier c’était énormément de stress pour finalement peu d’écarts. Tandis que sur 40 ou 50 kms, c’est un façon différente de gérer la chose et l’on peut travailler beaucoup plus calmement.
On va maintenant évoquer des pistes de réflexions qui sont un peu en vogue chez les suiveurs, et vous allez me dire ce que vous en pensez. Commençons par l’idée de réduire à 8 coureurs (au lieu de 9 actuellement) par équipes les effectifs sur le Tour de France, quelle est votre opinion là-dessus ?
Moi je ne suis pas d’accord. Ca va favoriser les ententes entre les équipes beaucoup plus qu’actuellement, et donc ça ne va rien changer au problème. Si une étape doit arriver au sprint, elle arrivera au sprint. On l’a vu aussi avec le problème des radios. Il n’y a pas d’arguments à ce sujet là aussi. Quand on dit « Klöden il n’a pas attendu Zubeldia », attendez, Klöden il sait ce qu’il a à faire. On n’a pas le temps d’avoir de la compassion à ce niveau-là avec la pression qui existe. Donc pour revenir au nombre de coureurs, 9 c’est très bien parce que l’on peut s’organiser avec 3 coureurs très forts sur le plat… On peut calculer. 8 coureurs cela va favoriser les alliances entre les équipes.
Rétablir les bonifications, soit au sommet des cols, soit aux arrivées, qu’est-ce que vous en pensez ?
Les bonifications aux arrivées cela change le déroulement de la 1ère semaine parce que le Maillot Jaune change d’épaule s’il y a un prologue comme cette année. Donc si on les remet, ça peut donner un peu de piment. C’est intéressant. Les bonifications en haut des cols, je ne suis pas pour, ça ne change rien.
Autre idée évoquée, réduire les étapes de montagne. On dit que des étapes de 220 km c’est trop long, et que les passer à 150 km ça peut suffire pour créer des différences. Votre avis ?
Je pense qu’une étape de 150 ou 200 km ça ne change pas grand-chose. Ca dépend de la course. Ce qui est plus embêtant et plus long c’est le fait de partir 2 heures avant le départ d’une étape même si l’hôtel n’est qu’à 15 km du départ. Il y a trop de trafic. Et puis il y a les transferts ensuite pour rallier les hôtels après l’arrivée… Le problème est là. Les coureurs sont fatigués parce qu’on part à 8 heures du matin et l’on rentre à 8 heures du soir.
Enfin, comment imagineriez-vous un meilleur équilibre entre étapes chronométrées et étapes de montagne ?
Cette année le déséquilibre au profit des rouleurs était trop important. Un chrono ne devrait pas dépasser 35 ou 40 kilomètres, ça suffit. Et puis il faut au moins 2 arrivées mythiques, comme l’Alpe-d’Huez, le Ventoux… Alors s’il y a 2 longs chronos, il faut de la montagne en conséquence.
Propos recueillis le 22 juillet à Rambouillet.