Alain, s’il nous fallait désigner une seule révélation sur le Tour de France 2013, nous choisirions Jan Bakelants. Vous êtes de notre avis ?
Vu ce qu’il a fait au début, sa victoire d’étape, son maillot jaune, puis sa régularité tout au long du Tour, oui. Après, il a fait des erreurs. En attaquant trop dans les Pyrénées, ce qui lui a coûté sa place auprès des premiers. En courant derrière et en perdant du temps bêtement dans les bordures de Saint-Amand-Montrond. Sans cela, il s’est vraiment révélé sur le Tour. Pour moi ce n’est pas une grosse surprise car c’est un coureur qui a du talent. Mais il fait beaucoup de bêtises et est très difficile à gérer car il n’en fait souvent qu’à sa tête. Cependant je pense qu’il est en train de prendre de la maturité.
Ce qui a été intéressant, c’est sa faculté à avoir été présent en troisième semaine…
Il a fait 3ème au Grand-Bornand. Et le samedi au Semnoz Andreas Klöden était fatigué quand Jan Bakelants avait déjà récupéré des efforts de la veille. C’est bon signe pour lui dans le futur. Et il ne faut pas oublier que c’est un coureur qui a gagné le Tour de l’Avenir.
Au-delà de Jan Bakelants, que retenez-vous du Tour de France de votre équipe ?
Andy Schleck n’a pas réalisé ce qu’on attendait de lui. Après les dix premiers jours j’étais vraiment convaincu qu’on allait voir du grand Andy dans les Alpes. On ne l’a pas vu. A ce niveau-là je suis déçu, même s’il a montré de bonnes choses sur le Tour. Par rapport au début de saison qu’il a fait, tout le monde l’attendait plus loin que sa 20ème place finale au classement général, mais je ne peux pas m’estimer satisfait. Je suis aussi déçu que nous soyons passés à côté du classement par équipes, qui me tient beaucoup à cœur.
Que manque-t-il encore à Andy Schleck pour retrouver son niveau passé ?
Le problème, c’est son frère Frank. Même si apparemment les choses sont réglées entre eux pour l’année prochaine, il était quand même très motivé pour aller faire la Vuelta avec son frère. Malheureusement les choses n’ont pas avancé dans ce sens et je pense que ça l’a pas mal perturbé. Mais physiquement il est là. La valeur est entière. Il va le prouver par la suite.
Au-delà des déceptions, quels motifs de satisfaction tirez-vous de cette 100ème édition ?
Andreas Klöden est tombé deux fois la première semaine mais a bien relevé la tête en dernière semaine, 5ème à Gap et 2ème au Grand-Bornand, et ça a été une satisfaction pour nous. Haimar Zubeldia avait fini 6ème l’an dernier mais cette fois-ci il est tombé en première semaine et s’est cassé un doigt. Il était difficile pour lui de tirer sur le guidon, il a été diminué. Tony Gallopin était prêt pour chasser le maillot jaune en première semaine, mais il est tombé dans le sprint, ce qui l’a handicapé un bon moment. Maxime Monfort termine le Tour 14ème, il est à sa place. C’est un type régulier, une valeur sûre. Il en aurait fallu un deuxième comme lui pour gagner le classement par équipes.
Jens Voigt a bouclé son dernier Tour de France. Avec Klöden et Zubeldia, avez-vous le sentiment qu’une génération est en train de passer chez RadioShack-Leopard ?
Oui, c’est clair, même si Jens Voigt est toujours aussi fantastique. C’est un exemple. C’est non seulement un combattant infatigable mais c’est aussi un type très sympa, très populaire. Au Tour de Californie en mai, on lui a donné le dossard n°1 tellement il est populaire. C’est pareil au Colorado, où il a gagné une étape l’an dernier. C’est un type extraordinaire. Maintenant, à 41 ans, il faut savoir tourner la page, bien qu’on puisse penser qu’il aurait pu encore faire deux ou trois Tours comme celui qu’il a réalisé cette année.
Comment avez-vous perçu la 100ème édition du Tour de France ?
Un Tour de France, c’est toujours très dangereux la première semaine. Et encore plus quand il n’y a pas de prologue ni de bonifications et que le maillot jaune est accessible à tout le monde. Après, c’est toujours très classique. On pourra faire le parcours comme on le veut, il se jouera toujours dans les arrivées au sommet et dans les chronos. Cette année encore, même si on a eu une très jolie étape dans le vent qui a éliminé Valverde. Ce qui est clair c’est que ce Tour avait été fait plus pour les grimpeurs que les rouleurs, contrairement à l’an dernier où il ne concernait franchement que les rouleurs.
Trek va reprendre l’équipe l’an prochain. Avez-vous le sentiment qu’elle aura davantage de moyens ?
Il m’est difficile de parler d’une équipe dont je ne ferai peut-être pas partie l’an prochain. Je suis encore dans l’expectative. Maintenant, une compagnie comme Trek qui s’investit dans le vélo pour faire une belle équipe va s’en donner les moyens. Ce sera une belle équipe. De toute façon, avec Fabian Cancellara et les frères Schleck, elle représentera quelque chose.
Tony Gallopin vous suivra-t-il si vous deviez rejoindre une autre équipe ?
C’est mon neveu, nous travaillons ensemble depuis deux ans, mais nous ne sommes pas mariés l’un avec l’autre. Tony a de belles propositions chez Lotto-Belisol et Cofidis. Honnêtement, il a très envie d’aller chez Lotto car c’est l’équipe dans laquelle il aurait le plus l’opportunité de s’exprimer dans les classiques. Plus que le montant du contrat, ce sont les perspectives d’avenir qui primeront. Et quand on a un Fabian Cancellara dans son équipe, ça condamne forcément ses ambitions personnelles. A 26 ans l’an prochain, il réfléchit beaucoup et c’est lui qui tranchera.
Qu’en est-il de vous ?
Luca Guercilena, le manager, m’a dit qu’il me ferait une proposition après le Tour. Je l’attends, je vais l’étudier, regarder ce qu’on me propose ailleurs, et je me déciderai dans le courant du mois d’août.
Vous avez fait il y a longtemps le pari de l’étranger, seriez-vous favorable à un retour dans une structure française ?
J’ai été le premier directeur sportif français à rejoindre l’étranger mais je ne suis plus le seul. J’ai été l’initiateur avant que d’autres ne suivent l’exemple. J’ai dirigé beaucoup d’équipes, beaucoup de champions. Entre Armstrong, Ullrich et Contador, j’ai vécu des expériences intéressantes. Et quoi qu’on en dise, avoir côtoyé Lance a été fabuleux. C’est un mec extraordinaire. Après, j’envisage tout à fait de retourner dans une structure française. Je vais avoir 57 ans l’année prochaine, pourquoi pas.
Propos recueillis à Versailles le 21 juillet 2013.