Alain, au moment de refermer le chapitre Tour de France, quelle image garderez-vous de l’édition 2015 ?
Je reste un peu frustré par la chute de Fabian Cancellara, sans quoi nous étions partis pour passer la semaine en jaune. C’est un champion assez costaud pour ça, avec suffisamment d’expérience, et ça aurait été une belle récompense pour lui après les déboires rencontrés au printemps. Parmi les coureurs n’ayant pas remporté le Tour, il est celui qui a porté le plus souvent le maillot jaune. Pour moi Cancellara, c’est trois Paris-Roubaix, trois Tours des Flandres et désormais vingt-neuf maillots jaunes, même si j’aurais préféré dire trente-cinq !
L’objectif d’un Top 10 avec Bauke Mollema a lui été accompli…
Plus qu’un Top 10, notre objectif était d’entrer dans les 7-8 premiers rangs du classement général avec Bauke Mollema. Quand on regarde les gars qui sont devant, aux cinq premières places, Froome, Quintana, Valverde, Nibali et Contador, la 7ème place de Bauke est une belle performance. Sans être toujours à la noce, avec son style un peu particulier, il a montré qu’il avait un très gros mental. Personnellement, il m’a énormément impressionné mentalement, par cette façon qu’il a de se battre sans jamais baisser les bras. Vendredi, dans l’étape de La Toussuire qui débutait par le col du Chaussy, je suis parti en éclaireur pour donner des bidons dans la montée. J’ai vu passer Bauke, notre leader. J’ai vu l’état dans lequel il était et le courage qui était le sien. Ça roulait à bloc et Bauke m’a impressionné.
Bauke Mollema signe son troisième Top 10 consécutif sur le Tour de France à 28 ans, quel est son potentiel pour les années futures ?
Je ne le connais pas encore très bien car ce n’est que la première année que nous travaillons ensemble chez Trek Factory Racing. Faire 7ème d’un Tour aussi relevé, sans jamais rien lâcher en dépit de mauvaises journées, ça inspire le respect. Il a un mental à toute épreuve, ça c’est clair, et certainement de beaux jours devant lui pour entrer dans le Top 5. Ce n’est pas un coureur capable de faire des différences comme le font des Pinot ou des Bardet, il doit aussi s’améliorer dans les descentes, mais un Top 5 doit être à sa portée dans le futur.
Vous l’évoquiez, ce Tour a été particulièrement relevé. A-t-on eu affaire à l’un des plus difficiles ?
D’année en année, le Tour est de plus en plus difficile, avec de plus en plus d’enjeux. Or ce sont les enjeux, plus que le tracé, qui rendent le Tour difficile. Les organisateurs avaient en plus opté cette année pour un parcours très dur. Je déplore que la dernière semaine n’ait été réservée qu’aux purs grimpeurs. C’était peut-être du velours pour Bardet, Pinot et compagnie, mais les baroudeurs n’ont rien eu pour eux. J’avais dans mon équipe des gars qui n’avaient rien à faire quand on sait d’habitude que la dernière semaine offre toujours la possibilité d’aller gagner. Stijn Devolder a fini très fort le Tour, mais que vouliez-vous qu’il fasse ?
Vous regrettez qu’il n’y ait plus de journée tranquille sur le Tour…
Et c’est dommage. Les coureurs sont de plus en plus contrôlés mais ont de moins en moins de journées tranquilles. Indépendamment du parcours. Regardez l’étape de Valence, qui était supposée pour les sprinteurs : il y avait quand même deux cols de 1ère catégorie, un départ au pied d’une bosse, et 46 de moyenne à l’arrivée ! J’étais derrière un groupe de vingt-cinq coureurs qui se sont relayés à bloc pour rentrer dans les délais. Ce n’est pas une journée pendant laquelle on récupère.
Comment avez-vous perçu l’atmosphère de cette 102ème édition ?
J’ai trouvé très dommage que certains émettent des doutes ou cherchent à le faire sur les performances de Froome. On a vu encore à l’Alpe d’Huez que son résultat avait des dimensions humaines. Trop de gens font des calculs sans trop savoir, or nous avons là un champion très fort. Je regrette ces suspicions à tort. Le Tour est dur. De l’arrière, j’ai vu des mecs malades, souffrir, finir morts et très fatigués. Quand j’entends des conneries à la radio ou à la télé, ça me fait mal. Ce Tour, logiquement, il était taillé pour Nairo Quintana. Il n’a perdu que deux minutes dans les dix premiers jours, pour moi il devait gagner ce Tour dans les Alpes. Je n’ai pas été loin.
Que faudra-t-il mettre en place à l’avenir pour battre une équipe comme la Sky ?
On a vu que Nairo Quintana a failli battre Chris Froome. 1’12 » d’écart à l’arrivée, ça ne fait pas de Froome un coureur imprenable. On a vu Geraint Thomas, mais il a fini par exploser dans la dernière semaine. Je n’ai pas vu de surhommes. Forcément, si dans une même équipe tu as un vainqueur potentiel du Tour comme Chris Froome, un autre capable de s’imposer comme Richie Porte s’il suivait auparavant un meilleur programme, et un mec comme Geraint Thomas, l’un des coureurs les plus complets au monde, plus Leopold König, Nicolas Roche etc., c’est normal que la Sky paraisse forte. Par le passé, quand on avait Hinault, Fignon et LeMond sous le même maillot, forcément l’équipe Renault était la plus forte. Chez Trek, nous n’avons malheureusement pas les moyens d’acheter les coureurs de Sky. Je l’aimerais bien…
Autour de qui tournera l’équipe du Tour d’Espagne dans un peu plus de trois semaines ?
Fabian Cancellara et Frank Schleck. Ce seront nos deux atouts. L’équipe va être complétée dans les jours à venir, certainement avec les Van Poppel ou un coureur comme Riccardo Zoidl qui mérite une reconnaissance.
Propos recueillis à Sèvres le 26 juillet 2015.