Alain, vous repartez du Tour avec une victoire d’étape, celle de Bauke Mollema au Puy-en-Velay. C’est en deçà de vos ambitions ?
Il est clair qu’on ne peut pas se satisfaire de la 9ème place finale d’Alberto Contador dans la mesure où nous étions venus pour essayer de gagner le Tour ou du moins d’accrocher le podium. Bauke a gagné une très belle étape, ce qui sauve un peu notre Tour, et on l’a toujours vu devant en dernière semaine quand Alberto n’avait pas la grande jambe.
En matière de sprint, John Degenkolb a tourné autour sans parvenir encore à trouver l’ouverture. Comment l’avez-vous trouvé ?
Sur le début de Tour, John a été à l’image de ce qu’il a été depuis le début de la saison, c’est-à-dire toujours présent mais pas vraiment gagnant. On sait qu’il revient d’une année blanche l’an dernier avec son accident et qu’il a besoin de retrouver de la confiance. C’est tout de même un coureur très fort, qui ne coince pas au fil des jours. Il n’avait pas de train sur le Tour car nous avions tout misé sur Alberto. John est un solide, un coureur de classiques, mais quand il arrive avec Kittel, qui est intrinsèquement le plus rapide, il n’a aucune chance. Il est quand même un cran en-dessous de coureurs comme Démare ou Cavendish.
La diffusion du Tour en intégralité a-t-elle modifié les stratégies ?
Absolument pas. Les vrais spécialistes de vélo vont dire qu’ils s’ennuient devant la télé, mais pas les autres, qui trouvent ça formidable de pouvoir voir le Tour et la France d’un bout à l’autre. Le public qui regarde le Tour n’est pas celui qui regarde le Giro ou la Vuelta. Ma belle-mère, qui n’est pas une spécialiste du vélo, a pris un vrai plaisir à regarder le Tour avec les présentations de Franck Ferrand. Le public adore ça mais sportivement parlant ça ne change rien.
N’avez-vous pas le sentiment qu’il sera de plus en plus difficile de viser un podium tant sur le Giro que sur le Tour de France ?
On a l’exemple de Mikel Landa qui a fait 17ème du Giro comme leader avant de le faire comme équipier et de terminer 4ème du Tour de France. Mais contrairement à d’autres il n’a pas fait le début de saison. On a vu un beau Giro, le parcours était très bien fait cette année, sans aller chercher des trucs de fou, et on a eu du spectacle tous les jours. A côté, sur la Vuelta, il va bientôt falloir mettre des crampons pour monter les cols. Pour ne rien donner de concret, si ce n’est des descentes très dangereuses sur des routes similaires à celles de la montée… Je n’y suis pas favorable. Certains regardent les coureurs tomber, moi je les ramasse, et j’en ai ramassés suffisamment dans ma vie. Ceux qui ont un enfant sur le vélo ne peuvent pas être d’accord avec ça.
Dans un tout autre sujet, que pensez-vous de l’idée d’un plafond salarial dans les équipes comme l’applique la NBA ?
Les équipes qui ont le plus d’argent ont les coureurs les plus forts, c’est vieux comme le monde. Eddy Merckx avait les meilleurs coureurs autour de lui. Je ne vois pas tellement l’intérêt de réduire les salaires. Autant que les mecs profitent de gagner de l’argent. Ça me paraît normal pour un coureur cycliste, et ce n’est pas honteux quand on voit ce que gagnent d’autres sportifs dans des disciplines moins risquées et moins exigeantes. Quand on entend parler de 250 millions pour le transfert de Neymar au PSG, avec ça on fait dix très grandes équipes pros…
Avec un peu de recul, que vous inspire la réforme du WorldTour et le passage à trente-sept épreuves ?
Je ne suis pas un politique du vélo, ce qui ne m’empêche pas de donner mon avis. Dans mon équipe, je suis responsable des programmes, et je vois que j’ai trois courses WorldTour une semaine après le Tour… C’est très contraignant pour les équipes, c’est nul ! Allez faire un programme de course dans ces conditions. Ce n’est pas tant le nombre d’épreuves au calendrier WorldTour mais leur répartition qui pose problème. En tant qu’équipe américaine, on ne va même pas pouvoir faire le Tour de l’Utah… Il faut consulter les équipes et les gens du vélo. Ajouter la London Classic une semaine après le Tour alors qu’on a déjà le Tour de Pologne et la Clasica San Sebastian, on ne s’en sort pas. Je vais devoir envoyer des blessés à San Sebastian sous peine de prendre 5000 euros d’amende par coureur manquant, c’est profondément nul !
Alberto Contador ira-t-il sur la Vuelta ?
La décision n’est pas encore arrêtée. Nous allons nous réunir après le Tour pour y réfléchir. Alberto n’était pas initialement prévu sur la Vuelta mais il a été pas mal handicapé par deux mauvaises chutes sur le Tour. Et on peut l’imaginer partir sur le Tour d’Espagne. Ce sera surtout à lui de se décider. Il a bien terminé le Tour avec un très bon contre-la-montre à Marseille (6ème). Je le suivais et il m’a impressionné en montant Notre-Dame de la Garde. Il a tout fait sur le grand plateau et je ne pense pas que quelqu’un soit allé plus vite que lui sur ce tronçon.
Qui d’autre est prévu sur le Tour d’Espagne ?
John Degenkolb voudrait aussi faire la Vuelta. Il pense que c’est la meilleure préparation pour le Championnat du Monde. Si Alberto ne vient pas, on mettra une grosse équipe à son service. Dans le cas contraire, on partagera. Julien Bernard, qui a fait un bon Giro, n’en sera pas néanmoins, mais l’objectif pour lui l’année prochaine sera de faire le Tour.