Après 39 ans de « bons et loyaux services », selon l’expression consacrée, à la tête du Tour méditerranéen, Lucien Aimar, le vainqueur du Tour de France 1966, passe la main et cède son épreuve. C’est André Martres, en collaboration avec Claude Primard, son ami depuis plus de 30 ans, impliqué dans le monde du vélo, qui le remplace et prend donc le pouvoir. Interview croisée entre l’ancien et le nouveau patron du Tour Med, deux hommes qui s‘estiment et se connaissent très bien.
André, quelle est votre motivation pour reprendre le Tour Méditerranéen, et vous Lucien, quelles raisons vous ont poussé à y renoncer ?
André Martres :
Je ne voulais surtout pas que le Tour Med’ s’arrête, qu’il disparaisse, et tombe dans l’oubli. Cette épreuve mérite de survivre, je m’y suis attaché, je désire la tirer vers le haut, en conservant son bel esprit communautaire et ses particularités. Je formule un vœu : celui de parvenir à en faire véritablement un Tour Méditerranéen, en partant de l’Espagne, en longeant les régions du Sud jusqu’à l’Italie.
Lucien Aimar :
Je l’avoue, je ressentais une grande lassitude, beaucoup de fatigue et un peu de découragement. J’étais épuisé par les combats incessants qu’il faut mener pour réussir à mettre sur pied cette épreuve jusqu’au dernier moment. Combat contre l’administration qui ne nous facilite pas la tâche et voit dans les courses cyclistes un ensemble de contraintes plutôt qu’une belle épreuve sportive, combat contre notre époque : il faut de plus en plus de volontaires pour assurer la sécurité de l’épreuve, les forces de l’ordre coûtent très cher, combat contre les instances du cyclisme dont certaines ne m’ont pas facilité la tâche. En 2012 le Tour Med a survécu parce que la Fédération française de cyclisme a pris ses responsabilité, sinon il ne pouvait pas être organisé, certains voulaient même le sortir du calendrier.
Vous pensez à quels changements dans l’avenir ?
André Martres :
Il faut, dès l’année prochaine, revenir à une course de cinq jours, ce qui n’a pas été le cas en 2012 pour diverses raisons, sans parler d’une météo très défavorable (froid intense et neige) qui a contrarié les plans de l’organisation. Je souhaite intégrer une course contre la montre individuelle, pour ajouter un peu de piment à cette course. Je sais qu’en 2013 elle aura lieu entre Agde et Sète avec arrivée au sommet du Mont Saint Clair, (environ 26km) autrefois lieu mythique du feu Midi Libre. Le Tour Méditerranéen doit renouer avec des sites de légende, nous avons le Faron, qui est incontournable et signe la marque de fabrique de l’épreuve, le Mont Saint-Clair et en cherchant bien de très nombreux autres atouts. Je sais également que la première étape, en 2013, partira de Limoux, afin de relancer l’esprit du Tour méditerranéen, qui s’élançait depuis le Languedoc et allait même saluer l’Italie.
Je crois également qu’il faut offrir aux coureurs des étapes assez longues et dures, j’aimerais qu’elles fassent au minimum 160 km et qu’elles constituent un excellent moyen de préparation pour les coureurs dans la perspective des classiques et autres épreuves par étapes. Le Tour Med’ doit devenir « une » référence, comme il l’a souvent été par le passé.
Lucien Aimar :
Je faisais allusion aux nombreuses embûches que j’ai dû surmonter, mais j’ai été, également, encouragé. Les dirigeants de l’UCI m’ont soutenu, ils m’ont affirmé que le Tour Méditerranéen faisait partie du « patrimoine du cyclisme », c’est leur expression, et cela fait plaisir à entendre. Dès lors que faut-il améliorer ? Je crois que le service presse mérite d’être modernisé et je sais qu’André Martres et ses collaborateurs y travaillent déjà, il faut aussi soigner sa couverture médiatique, l’épreuve le mérite amplement, et pour le reste je fais confiance à André Martres. Il y avait 5 groupes candidats à la reprise de la course, j’ai jugé que la proposition d’André Martres était la plus sérieuse, la plus professionnelle, c’était celle qui me convenait.
Quelle est sont les principales difficultés que vous avez, ou allez, rencontrer ?
André Martres :
Je n’étais pas jusqu’à présent dans l’organisation, mais je crois que les très nombreux contacts avec les mairies, notamment, pour établir le parcours sont fondamentaux. Ce que j’aimerais réussir c’est de parvenir à caler l’itinéraire assez tôt afin d’éviter dans la mesure du possible les précipitations et l’affolement des derniers mois, qui me semblent de toute façon pratiquement inévitables.
Lucien Aimar :
Je lisais dans l’Equipe une interview de Fabian Cancellara qui affirmait que pour les coureurs le plus important dans une course à étape c’est le confort des hôtels, ce qui facilite la récupération. Le Tour Méditerranéen a toujours privilégié cet aspect et il compte énormément je suis bien placé pour le savoir. C’est aussi l’une des difficultés principales de l’organisation parce que les hôtels coûtent très chers. J’ajoute qu’une bonne course à étape c’est celle qui propose de bons hôtels, un bon parcours et qui réunit de bons coureurs !
Dans quel état d’esprit êtes-vous en ce moment ?
André Martres :
Je voudrais insister sur deux évidences : tout d’abord nous reprenons le Tour Méditerranéen sans esprit de révolution, sans chasse aux sorcières, tous ceux qui travaillaient avec Lucien Aimar et qui le souhaitent, continueront donc à travailler pour le Tour Méditerranéen, sans aucun problème. Ensuite, j’ajoute que Lucien sera toujours chez lui dans la course. Je voulais lui mettre à disposition une voiture avec un chauffeur pour qu’il profite enfin de l’épreuve, mais ce n’est pas dans sa philosophie, il préfère piloter lui- même, ce qu’il fera bien sûr. Enfin je veux vraiment développer le côté médiatique, parvenir à assurer un direct de la course, ça vraiment cela me tient à cœur, moi l’homme de télé qui ait réalisé de si nombreux directs !
Lucien Aimar :
Je suis prêt à donner un coup de main pour faciliter la passation de pouvoir, je sais combien de démarches il faut multiplier pour concrétiser un objectif. Pendant trois ans je serai un peu l’œil qui regardera tout cela d’en haut, avant de lâcher complètement la nouvelle équipe, mais de toute façon je me refuse à intervenir, je fais amplement confiance à André Martres et son équipe et c’est bien qu’un esprit nouveau souffle sur la course.