L’Enfer du Nord, tel qu’on a baptisé Paris-Roubaix depuis des décennies, arbore parfois un bien curieux visage. Un soleil printanier perché dans un ciel azur, un vent absolument nul entre Compiègne (Oise) et Roubaix (Nord). On verrait presque les guerriers engagés sur la reine des classiques partir au front la fleur au fusil. Pourtant, si l’Enfer vient parfois du ciel sur cette épreuve mythique, c’est avant tout sur les pavés qu’il réside. 51,5 kilomètres de voies romaines réparties sur les 258 kilomètres d’une course héritière du passé. Du haut de ses 115 ans, Paris-Roubaix a vu défiler des visages grimaçants, des corps courbés, perclus de douleur. Qu’il vente, qu’il pleuve ou que le soleil irradie la campagne nordiste, que le pavé soit humide, boueux ou sec, la reine des classiques laisse des traces et ceux qui la conquièrent entrent à tout jamais dans la légende.
C’est une édition poussiéreuse, en l’occurrence, à laquelle se frottent les coureurs de la 109ème édition de Paris-Roubaix aujourd’hui. Et plus que jamais une édition déstabilisante, mais c’est sans doute le propre de cette classique insaisissable. Aux conditions météorologiques exceptionnellement radieuses s’ajoute en effet un scénario pour le moins déroutant, la traditionnelle et si indispensable échappée matinale ne voulant pas se former avant l’approche du premier secteur pavé. Il faut dès lors attendre le 89ème kilomètre pour voir filer en plusieurs temps onze concurrents : David Boucher et Andre Greipel (Omega-Pharma Lotto), Koen De Kort et Mitchell Docker (Skil-Shimano), Martin Elmiger (Ag2r La Mondiale), Jimmy Engoulvent (Saur-Sojasun), Nelson Oliveira (RadioShack), Timon Seubert (Team NetApp), Gorazd Stangelj (Astana), Maarten Tjallingii (Rabobank) et David Veilleux (Team Europcar).
La première grande échappée du jour étant déclenchée tardivement, au moment où démarre l’enchaînement des secteurs pavés, au nombre de vingt-sept, le peloton ne peut accorder trop d’avance aux hommes de tête. Ils vont aborder le secteur stratégique d’Arenberg avec 2’10 » d’avance sur le paquet, duquel sept coureurs vont se lancer à leur poursuite à la sortie de la célèbre Trouée : Lars-Ytting Bak (HTC-Highroad), Baden Cooke (Saxo Bank-SunGard), Frédéric Guesdon (FDJ), Matthew Hayman (Team Sky), Manuel Quinziato (BMC Racing Team), Jürgen Roelandts (Omega Pharma-Lotto) et Johan Van Summeren (Garmin-Cervélo). Ces sept contre-attaquants rejoindront le groupe de tête à 65 kilomètres de l’arrivée, à l’entrée du secteur de Beuvry-la-Forêt, pour former un peloton de tête conséquent mais composé de seconds couteaux.
Van Summeren fait avaler la poussière à tous les favoris de Paris-Roubaix.
Les favoris, eux, ont décidé de retarder leur entrée en action. Comme voici une semaine au Tour des Flandres, Fabian Cancellara (Team Leopard-Trek) est craint. Et comme au Ronde ses adversaires calquent leur course sur celle du Suisse, marqué à la culotte mais qu’ils se refusent à provoquer trop loin du but. Le tournant de la course va surtout intervenir dans la traversée de la forêt d’Arenberg. En pleine bataille, un homme s’arrête soudain en plein centre du sentier herbeux. Tom Boonen (Quick Step) est debout, sa machine l’a lâché, et il voit défiler devant lui un peloton hagard. La réparation effectuée au prix de précieuses secondes perdues, Tom Boonen engage alors une vive poursuite. Mais après Arenberg on enchaîne désormais avec l’inédit secteur de Millonfosse à Bousignies, et combler l’écart, même sur un peloton frileux à lancer la course, relève de la performance. Et cette audacieuse entreprise va tourner court dans le secteur de Tilloy à Sars-et-Rosières, à 69 kilomètres du but, où Tom Boonen va être impliqué dans une chute violente.
Il en est donc fini des ambitions de Tom Boonen, et celles de Sylvain Chavanel (Quick Step) vont se mourir aussi sur une crevaison puis une chute brutale à 62 kilomètres de l’arrivée. Les favoris sont en train de mordre la poussière et personne, dans le peloton, ne parvient à organiser la poursuite derrière la vingtaine d’échappés. Aussi, quand l’écart atteint 1’35 », c’est Fabian Cancellara qui se décide à réagir dans le secteur de Mons-en-Prévèle, tout de suite flanqué de Thor Hushovd (Garmin-Cervélo), Alessandro Ballan (BMC Racing Team) et Juan-Antonio Flecha (Team Sky), les autres grands favoris du jour. Cancellara insiste dans le secteur de Pont-Thibaut à Ennevelin 8 kilomètres plus loin, mais personne ne relaie son effort et il finit par s’en offusquer, renonçant à ramener sur son porte-bagages ce groupe de favoris sur une tête de course qui s’égrène.
En tête, si l’on perd en effet des unités, on commence sérieusement à songer à la victoire. Le secteur de Camphin-en-Pévèle à 20 kilomètres du vélodrome réduit l’échappée du jour aux seuls Lars-Ytting Bak, Gregory Rast, Maarten Tjallingii et Johan Van Summeren. Et le Carrefour de l’Arbre qui suit permet au Belge Johan Van Summeren, tout de même 8ème de Paris-Roubaix en 2008 et 5ème en 2009, de semer pour de bon ceux qui l’accompagnaient depuis la sortie de la Trouée d’Arenberg. Inattendu pour la victoire, mais ayant su tirer profit des trop nombreux rounds d’observation des candidats présumés au succès, Johan Van Summeren s’en va conquérir à 30 ans l’un des plus beaux monuments du cyclisme. Résigné pour la victoire mais pas pour une place sur le podium, Fabian Cancellara finit par se détacher du peloton poursuivant pour se joindre à Maarten Tjallingii, Gregory Rast et Lars-Ytting Bak, qu’il règlera dans cet ordre sur le vélodrome de Roubaix, au terme d’une édition de la reine des classiques à l’issue vraiment inattendue.
Classement :
1. Johan Van Summeren (BEL, Garmin-Cervélo) les 258 km en 6h07’28 »
2. Fabian Cancellara (SUI, Team Leopard-Trek) à 19 sec.
3. Maarten Tjallingii (PBS, Rabobank) m.t.
4. Gregory Rast (SUI, RadioShack) m.t.
5. Lars-Ytting Bak (DAN, HTC-Highroad) à 21 sec.
6. Alessandro Ballan (ITA, BMC Racing Team) à 36 sec.
7. Bernhard Eisel (AUT, HTC-Highroad) à 47 sec.
8. Thor Hushovd (NOR, Garmin-Cervélo) m.t.
9. Juan-Antonio Flecha (ESP, Team Sky) m.t.
10. Mathew Hayman (AUS, Team Sky) m.t.