C’était comme un mirage, comme une hallucination, que de voir surgir de la courbe qui finissait sa course sur la ligne d’arrivée montpelliéraine, d’ordinaire promise aux sprinteurs, trois coureurs seulement. Dont l’un était le Maillot Vert Peter Sagan (Tinkoff), et l’autre le Maillot Jaune Christopher Froome (Team Sky). Si la présence devant du champion du monde – qui n’en porte plus le maillot mais en préserve la classe naturelle – n’avait en soi rien de très surprenant, celle dans sa roue du leader du classement général avait de quoi provoquer une tempête. Tout du moins une bonne tramontane tel que celui qui l’avait inspiré et à la faveur duquel il venait de donner une nouvelle leçon d’audace et de stratégie à ses adversaires pétrifiés. Quatre jours après sa descente acrobatique du col de Peyresourde, quand il s’était emparé du maillot jaune en écartant ses rivaux de 13 secondes (plus 10 de bonification).
Chris Froome a donc de la suite dans les idées. Et si rien n’indique encore qu’il ait les meilleures jambes pour tenir en respect les grimpeurs qui, dès demain dans l’ascension du Mont Ventoux, seront sommés de le chahuter, le Maillot Jaune a d’ores et déjà pour lui une vision éclairée de la course. Et un aplomb qu’on ne lui connaissait pas. Car il ne s’agissait pas seulement de se tenir en alerte sur la brève liaison qui menait le peloton de Carcassonne à Montpellier (162,5 km). Encore fallait-il s’enhardir à mettre ses adversaires dans le vent, lequel soufflait avec cœur à travers le vignoble languedocien. La tension était palpable depuis les tout premiers kilomètres. On la mesurait au nombre de chutes qui sévissaient au sein du paquet. La tramontane ballottait un peloton passé en vigilance orange après la zone de ravitaillement à 80 kilomètres du but. Il y avait le feu et suffisamment de zef pour attiser les flammes à travers ces contrées dégagées où la moindre étincelle peut provoquer un brasier.
Les deux attaquants de la première minute qui s’étaient risqués à une échappée au long cours, l’Australien Leigh Howard (IAM Cycling) et le champion de France Arthur Vichot (FDJ), avaient mal choisi leur jour pour hisser les couleurs. Les quatre minutes et quelques qu’ils avaient mis de côté dans les premiers instants de la course se dispersaient au premier coup de vent. Comme le peloton du reste, qu’une accélération des Tinkoff éparpillait une première fois. La guerre des nerfs était ouverte mais elle n’allait faire pour seules victimes immédiates que les deux hommes de tête, qui voyaient leur aventure s’arrêter bien avant les pics d’audience de la retransmission télé. A 60 kilomètres de Montpellier. Peter Sagan avait alors profité du regroupement général pour aller chercher quelques points de plus au sprint intermédiaire, derrière Marcel Kittel (Etixx-Quick Step) et devant Mark Cavendish (Dimension Data).
Peter Sagan joue les trouble-fêtes, Chris Froome bondit dans sa roue.
Mais le Maillot Vert ne comptait pas s’arrêter en si bon chemin. Les multiples fractions du peloton jusqu’à une trentaine de kilomètres du but n’avaient trompé la vigilance d’aucun favori, ce qui avait permis à ceux qui faisaient l’élastique de reprendre leur place à bord d’un convoi qui semblait avoir décrété que la tramontane ne serait finalement gagnante pour personne. On ne dérogerait pas à la tradition d’un sprint massif à Montpellier, pensait-on. Mais le calme qui opérait n’annonçait rien moins qu’une tempête. A 12 kilomètres de l’arrivée, les Tinkoff menaient une nouvelle action d’envergure en déployant un nouvel éventail. La formation russe, qui n’a plus son mot à dire au classement général, reste déterminée à jouer les trouble-fêtes. Même si en l’occurrence les festivités dont se délecte Chris Froome n’auront guère été perturbées dans ce final. Ce qui est un peu moins vrai pour ses adversaires.
En tête d’un peloton qui s’étirait une fois de plus jusqu’à se fissurer, Peter Sagan et son destroyer Maciej Bodnar étaient en train de pousser la manette des gaz. Et Chris Froome, sans rien perdre de ce qui se tramait, bondissait dans leurs roues avec le renfort de Geraint Thomas. Juste avant un rond-point qui entérinait la fracture avec le reste d’un peloton tendu en file indienne. Un quatuor venait de se détacher, avec Froome à son bord, et personne n’était en mesure de réagir à sa poursuite. Bientôt, Bodnar, Froome, Sagan et Thomas, qui passaient chacun des relais appuyés, disparaissaient dans les premiers méandres urbains de Montpellier. Et l’écart grimpait au-delà des 20 secondes, ce qui déjà doublait l’avantage pris par Chris Froome au classement général sur ses plus dangereux adversaires depuis le départ de la Manche ! Quand enfin le peloton – une petite quarantaine de coureurs – finissait par se réorganiser, il réduisait quelque peu l’écart sans parvenir à rentrer sur le quatuor.
A Montpellier, dans un tel schéma, il ne faisait plus l’ombre d’un doute que Peter Sagan allait s’adjuger son sixième succès d’étape dans le Tour de France, le second sur cette édition, et conforter encore son avance au classement par points. 2ème dans sa roue, Chris Froome se retournait aussitôt pour évaluer la distance à laquelle il laissait finalement le peloton après 12 kilomètres enflammés. 6 secondes (plus 6 de bonification), ce qui rajoute 12 secondes dans sa cagnotte. Et lui permet d’écarter un adversaire de plus, Joaquim Rodriguez (Team Katusha), distancé sur le dernier coup d’accélérateur et débiteur de 1’09 » à l’arrivée. Tout ça n’est pas grand-chose, et si les adversaires du Maillot Jaune ont tout au plus perdu un peu de leur crédibilité, ils n’ont en rien perdu le Tour sur cette action qu’il leur appartient à présent de reléguer au rang d’anecdote. Le Mont Ventoux, demain, doit leur en donner l’occasion.
Demain jeudi 14 juillet, la douzième étape du Tour de France reliera Montpellier au Mont Ventoux (178 km), l’arrivée étant avancée au Chalet Reynard pour cause de vent violent.
Classement 11ème étape :
1. Peter Sagan (SVQ, Tinkoff) les 162,5 km en 3h26’23 » (47,2 km/h)
2. Chris Froome (GBR, Team Sky) m.t.
3. Maciej Bodnar (POL, Tinkoff) m.t.
4. Alexander Kristoff (NOR, Team Katusha) à 6 sec.
5. Christophe Laporte (FRA, Cofidis) m.t.
6. Jasper Stuyven (BEL, Trek-Segafredo) m.t.
7. Edvald Boasson-Hagen (NOR, Dimension Data) m.t.
8. André Greipel (ALL, Lotto-Soudal) m.t.
9. Sondre Holst-Enger (NOR, IAM Cycling) m.t.
10. Oliver Naesen (BEL, IAM Cycling) m.t.
Classement général :
1. Chris Froome (GBR, Team Sky) en 52h34’37 »
2. Adam Yates (GBR, Orica-BikeExchange) à 28 sec.
3. Daniel Martin (IRL, Etixx-Quick Step) à 31 sec.
4. Nairo Quintana (COL, Movistar Team) à 35 sec.
5. Bauke Mollema (PBS, Trek-Segafredo) à 56 sec.
6. Romain Bardet (FRA, Ag2r La Mondiale) m.t.
7. Sergio Henao (COL, Team Sky) m.t.
8. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) à 1’13 »
9. Tejay Van Garderen (USA, BMC Racing Team) m.t.
10. Roman Kreuziger (TCH, Tinkoff) à 1’28 »
Classement par points :
1. Peter Sagan (SVQ, Tinkoff) 309 pt
2. Mark Cavendish (GBR, Dimension Data) 219 pt
3. Marcel Kittel (ALL, Etixx-Quick Step) 202 pt
4. Michael Matthews (AUS, Orica-BikeExchange) 124 pt
5. Greg Van Avermaet (BEL, BMC Racing Team) 112 pt
6. Bryan Coquard (FRA, Direct Energie) 112 pt
7. André Greipel (ALL, Lotto-Soudal) 99 pt
8. Alexander Kristoff (NOR, Team Katusha) 92 pt
9. Chris Froome (GBR, Team Sky) 77 pt
10. Thomas De Gendt (BEL, Lotto-Soudal) 65 pt
Classement de la montagne :
1. Thibaut Pinot (FRA, FDJ) 80 pt
2. Rafal Majka (POL, Tinkoff) 77 pt
3. Tom Dumoulin (PBS, Giant-Alpecin) 58 pt
4. Rui Costa (POR, Lampre-Merida) 50 pt
5. Thomas De Gendt (BEL, Lotto-Soudal) 36 pt
6. Daniel Navarro (ESP, Cofidis) 36 pt
7. Diego Rosa (ITA, Astana) 27 pt
8. Winner Anacona (COL, Movistar Team) 26 pt
9. George Bennett (NZL, Team LottoNL-Jumbo) 23 pt
10. Chris Froome (GBR, Team Sky) 22 pt
Classement des jeunes :
1. Adam Yates (GBR, Orica-GreenEdge) en 52h35’05 »
2. Louis Meintjes (AFS, Lampre-Merida) à 1’42 »
3. Warren Barguil (FRA, Giant-Alpecin) à 2’35 »
4. Wilco Kelderman (PBS, Team LottoNL-Jumbo) à 5’26 »
5. Emanuel Buchmann (ALL, Bora-Argon 18) à 9’35 »
6. Eduardo Sepulveda (ARG, Fortuneo-Vital Concept) à 17’44 »
7. Julian Alaphilippe (FRA, Etixx-Quick Step) à 42’45 »
8. Patrick Konrad (AUT, Bora-Argon 18) à 58’20 »
9. Jan Polanc (SLO, Lampre-Merida) à 1h11’09 »
10. Lawson Craddock (USA, Cannondale-Drapac) à 1h19’15 »
Prix de la combativité :
1. Arthur Vichot (FRA, FDJ)
Classement par équipes :
1. BMC Racing Team (USA) en 157h33’00 »
2. Movistar Team (ESP) à 6’34 »
3. Team Sky (GBR) à 8’44 »
4. Astana (KAZ) à 12’15 »
5. Tinkoff (RUS) à 27’23 »
6. Ag2r La Mondiale (FRA) à 28’40 »
7. Trek-Segafredo (USA) à 44’13 »
8. Team Katusha (RUS) à 58’45 »
9. Orica-BikeExchange (AUS) à 1h00’31 »
10. FDJ (FRA) à 1h06’31 »