Seuls les pavés ont ce pouvoir. Avec leurs profils aiguisés comme des crocs, ils ramènent les leaders à leur condition de simple coursier, le coureur adulé au rang d’homme et les bienheureux d’hier deviennent, bien souvent, les malchanceux du jour. Dans ce registre, Frank Schleck (Saxo Bank) endosse les habits du martyr. Effondré à la sortie d’un virage du meurtrier secteur pavé de Sars-et-Rosières, il ne se relève pas. Clavicule brisée, il dément Virgile : la malchance touche parfois aussi les audacieux. Les Saxo Bank n’ont pourtant pas tout perdu aujourd’hui. Andy Schleck (Saxo Bank) récupère le temps perdu lors du prologue à la plupart des favoris – excepté à Cadel Evans (BMC) – et Fabian Cancellara se pare à nouveau du paletot jaune, laissé vacant par un Sylvain Chavanel, accablé par le mauvais sort. Deux crevaisons et un problème de dérailleur ont mis fin à son rêve en jaune de la façon la plus brutale qui soit. Nul ne pensait que les dégâts occasionnés par les 13 kilomètres de pavés seraient si nombreux. Même les imaginations les plus fertiles ne s’étaient pas figuré de tels rebondissements. Les Saxo Bank en sont à la fois les responsables mais aussi, avec l’abandon de l’aîné des Schleck, les victimes collatérales de leur propre audace.
Saxo qui rit, Saxo qui pleure
Avec Voigt et O’Grady, les coureurs de Bjarne Riis, font le ménage, bien avant les secteurs pavés, pour mettre à l’abri les deux protégés luxembourgeois. La nervosité est à son comble. Tout le monde veut être aux avant-postes. Les secteurs d’Hollain et de Rongy procèdent à un premier écrémage dans le peloton. Le secteur de Sars-et-Rosières, placé sur la route des coureurs à 27 kilomètres d’Arenberg, va le scinder en deux. A la sortie d’un virage, une chute foudroie la tête du peloton. Le maillot de champion du Luxembourg, Frank Schleck, est à terre. Dans son malheur, il a entrainé trois coureurs avec lui, dont Tony Martin (HTC-Columbia). Bloqués par la chute et par l’étroitesse du chemin, les coureurs voient s’éloigner au loin cinq hommes. Cadel Evans (BMC), Thor Hushovd (Cervélo), mis sur orbite avant le secteur par ses équipiers et qui fait figure d’épouvantail, Geraint Thomas (Team Sky), et surtout Fabian Cancellara et Andy Schleck (Saxo Bank). Devant la situation avantageuse, les Saxo Bank mettent immédiatement le turbo. Frank Schleck est sacrifié.A la sortie du secteur, la situation de course s’apparente à un champ de bataille. Lance Armstrong a été lâché et se retrouve aux côtés de Johan Van Summeren (Garmin-Transitions), Jurgen Van Den Broeck (Omega Pharma-Lotto), mais peut compter sur un coéquipier, en la personne de Popovych. Alberto Contador navigue, lui, au troisième échelon de la course, à une minute du groupe Andy Schleck et à 30 secondes de Lance Armstrong.
Contador recolle, Armstrong crève
Loin, tout devant, un homme continue de croire à son étoile, Ryder Hesjedal (Garmin-Transitions). Le Canadien est le dernier survivant d’une échappée matinale, dont faisaient partie notamment Pierre Rolland (BBox Bouygues Télécom) et Stéphane Augé (Cofidis). Arc-bouté sur sa machine, Hesjedal s’épuise à résister au rouleau-compresseur Cancellara qui mène le groupe des cinq. A 15 kilomètres de l’arrivée, le courageux possède encore 30 secondes d’avance sur le groupe Cancellara. Dans le secteur de Wandignies-Hamage, à 18 kilomètres de l’arrivée, Contador se ressaisit. Esseulé, à la seule force de ses mollets, Contador recolle au groupe Armstrong. Ironie du sort, Lance Armstrong crève instantanément. Il est immédiatement secouru par Popovych, mais le mal est fait. Contador s’éloigne. D’autant plus que l’Espagnol a retrouvé sur sa route, son équipier Alexandre Vinokourov (Astana), dévoué entièrement à son cause, Nicolas Roche (AG2R La Mondiale), Bradley Wiggins (Team Sky), et Denis Menchov (Rabobank). L’écart entre Contador et Armstrong avoisine alors la minute. A 8 kilomètres de l’arrivée, Armstrong ne peut plus compter sur Yaroslav Popovych, à bout de forces. Armstrong se retrouve seul, sans ses « boys », secoué par les pavés au milieu du public qui assiste pantois à ce spectacle presque pathétique.
A 300 mètres de la ligne, Contador lâche prise
Dans le même temps, Hesjedal est avalé par le train mené par les Saxo Bank. Les secteurs pavés sont passés, les individualités peuvent se découvrir pour le gain de l’étape. Ils sont donc 6 à se jouer la gagne au sprint. Sans surprise, Thor Hushovd triomphe à Arenberg, devant le surprenant Geraint Thomas et Cadel Evans qui effectue la bonne opération du jour. Un dernier rebondissement touche Contador dans les ultimes mètres de l’étape. Handicapé par une crevaison tardive, il lâche prise du groupe Vinokourov et perd ainsi une partie de son crédit. Il franchit la ligne 1 minute 13 après son rival Andy Schleck. Kreuziger (Liquigas) limite les dégâts avec 1 minute 46 de retard. Armstrong termine à 2 minutes 08 et Basso (Liquigas) à 2’25 des Saxo Bank qui ont d’une certaine manière relevé la tête après la mésaventure d’hier. Mais à y regarder de plus près, dans ce chahut poussiéreux, personne ne sort vraiment vainqueur. Les coureurs ont tout juste survécu.
Classement de l’étape 3 :
1. Thor Hushovd (NOR, Cervélo TestTeam) les 213km en 4h49’38 »
2. Geraint Thomas (GBR, Team Sky) m.t
3. Cadel Evans (AUS, BMC-Racing) m.t
4. Ryder Hesjedal (CAN, Garmin-Transitions) m.t
5. Andy Schleck (LUX, Saxo Bank) m.t
6. Fabian Cancellara (SUI, Saxo Bank) m.t
7. Johan Van Summeren (BEL, Garmin-Transitions) à 53sec.
8. Bradley Wiggins (GBR, Team Sky) m.t
9. Jurgen Van Den Broeck (BEL, Omega Pharma-Lotto) m.t
10.Alexandre Vinokourov (KAZ, Astana) m.t
Classement complet
Classement général :
1. Fabian Cancellara (SUI, Saxo Bank)
2. Geraint Thomas (GBR, Team Sky) à 23sec.
3. Cadel Evans (AUS, BMC-Racing) à 39sec.
4. Ryder Hesjedal (CAN, Garmin-Transitions) à 46sec.
5. Sylvain Chavanel (FRA, Quick Step) à 1’01 »
6. Andy Schleck (LUX, Saxo Bank) à 1’09 »
7. Thor Hushovd (NOR, Saxo Bank) à 1’19 »
8. Alexandre Vinokourov (KAZ, Astana) à 1’31 »
9. Alberto Contador (ESP, Astana) à 1’40 »
10.Jurgen Van Den Broeck (BEL, Omega Pharma-Lotto) à 1’42 »