Professionnel entre 1999 et 2006, 3ème du Tour de Suisse 2002, Nicolas Fritsch est aujourd’hui conseiller auprès de l’agent Clément Gourdin. Tous les quinze jours, il nous apporte son point de vue sur l’actualité cycliste.
« Le cyclisme professionnel représente à la fois une chance pour des cyclistes de vivre, plus ou moins bien certes, de leur passion, mais également un business important, et il ne faut surtout pas en avoir honte, nous, Français, qui sommes par nature réservés lorsqu’il s’agit de parler argent, car il est des business bien plus honteux que celui-ci !
Oui, le sport de haut niveau est un business, et plus celui-ci sera important, plus les coureurs auront de la chance, à condition évidemment que la répartition soit juste et respectueuse. Et il faut bien avouer que c’est encore loin d’être le cas comme en témoigne le calendrier démentiel que l’UCI compte imposer aux équipes WorldTour dès 2017, alors même que toutes les équipes s’y opposent. On frôle la dictature, or il me semble que le cyclisme c’est, dans l’ordre d’importance et même si tout le monde est important : les cyclistes, les équipes et les courses, les instances. Des cyclistes peuvent faire des courses entre eux, sans équipe, et sans fédération. Des équipes peuvent également créer leur propre fédération, mais il est bien plus dur d’exister pour une fédération si elle n’a pas de coureurs ! Le jour où ils sauront s’unir, les cyclistes auront un poids décisif.
Vivre de sa passion, oui, mais encore faut-il que le cyclisme en soit une, enfin surtout qu’elle en demeure une ! Le cyclisme que l’on propose aux jeunes doit être conçu comme un jeu qui prépare au cyclisme professionnel. Il ne s’agit pas d’élitisme, et j’ai bien conscience que peu de ces jeunes accéderont au professionnalisme, mais il ne me semble pas incompatible de proposer une approche où plaisir et (réelle) formation s’entremêlent. Quitte à faire, autant bien faire ! Et au moins auront-ils pris du plaisir tout en ayant eu les cartes en mains pour faire de leur passion un métier, au moins auront-ils eu cette possibilité de rêver et de se sentir soutenus dans cette quête. Evidemment nous ne sommes pas égaux et le sommet de la pyramide est étroit, les places y sont donc rares, mais les règles du jeu connues. Ne pas atteindre le sommet n’est pas un échec, et avoir essayé est déjà une victoire.
Le cyclisme professionnel, on l’a déjà évoqué, se devra d’offrir plus de spectacle sans se dénaturer, en conservant ce qui l’a fait traverser les décennies mais en n’hésitant pas à y rajouter des inconnues, du piment en fait, et cela passera assurément par d’excitantes difficultés techniques (chemins, pavés, circuits finaux en ville, etc.), aujourd’hui plus à même de créer une sélection que le simple dénivelé. Il faut donc former les jeunes à cela, et quoi de mieux que les multiples activités qu’offre le cyclisme ! Elles permettent à la fois de multiplier l’attractivité de notre sport, de le rendre plus ludique, mais également de faire de nos cyclistes des cyclistes complets. Cela passe par une plus grande transversalité entre les disciplines, des passerelles plus faciles d’accès entre la route, le VTT, la piste, le cyclo-cross, et même le BMX. Il faut savoir manier tous les vélos pour mieux n’en manier qu’un. Et c’est un cycliste 100 % routier et mal à l’aise dans les autres disciplines qui vous le dit ! J’aurais été inadapté au cyclisme qui se profile, mais peu importe, ce sont les jeunes qui comptent. Au passage, un cycliste comme moi n’a rien à attendre de sa fédération, celle-ci doit se concentrer sur la jeunesse, et au regard des sommes colossales investies par une classe « aisée » dans un sport toujours plus cher, il ne serait pas injuste d’instaurer une taxe sur l’achat de produits de l’industrie du cycle qui serait reversée à la fédération… à condition d’en faire bon usage cela va de soi !
Je simplifie les problématiques, mais cela revient à diviser le cyclisme en trois : les jeunes que l’on doit aider (formation), le professionnalisme qui est un business (haut niveau), et les moins jeunes qui souhaitent continuer ou débuter le vélo et qui représentent eux aussi un business (loisir, même si c’est parfois du loisir de haut niveau, ce n’est pas incompatible !). Et ces deux business doivent servir aux jeunes.
Pour en revenir à eux, le plaisir mérite d’être placé bien avant le résultat, et l’un n’empêche évidemment pas l’autre, bien au contraire. Le but est de former pour être bon plus tard, pas nécessairement maintenant. En ce sens je ne comprends pas la notion de Divisions Nationales qui rend le cyclisme difficile à percevoir pour les collectivités et les partenaires, les classements qui inhibent, le système de montées et descentes qui incite les clubs à chercher des coureurs plutôt qu’à les former, la nécessité de marquer des points sur les Coupes de France qui dénature notre sport, etc.
On peut critiquer le système sportif américain avec ses ligues fermées, mais on ne peut que constater l’immense business qu’il représente, c’est une indéniable réussite de ce point de vue. Il me semble aussi que leur système universitaire est une belle formation pour le professionnalisme. Evidemment, les résultats y sont importants, mais moins que les moyens mis en place dans le but de voir de futurs champions s’y former et s’y exprimer. Il ne s’agit pas de faire carrière à l’université, simplement d’en sortir le plus fort possible. Et si cela n’est pas suffisant pour jouer en NBA, alors il reste les playgrounds !
On parle souvent de pyramide, mais on oublie la base, la vraie base, pas ceux qui font déjà du vélo mais ceux qui n’en font pas ! Avant la formation il y a la sensibilisation et la détection.
Qui a fait du cyclisme à l’école ? Pas grand monde. Badminton, tennis de table, volley-ball, oui, mais cyclisme, non. Evidemment il est un peu plus difficile de proposer du cyclisme à l’école, et cela implique des moyens supplémentaires. Plus difficile mais pas impossible, c’est une question de volonté politique. En ce sens il serait bon que la FFC se rapproche des responsables politiques pour collaborer dans la mise en place d’une sensibilisation, d’une formation (et au passage d’une détection !) non pas au sport cycliste mais à l’objet cycliste. Cela répondrait en partie à deux des problématiques les plus importantes de notre société : l’écologie et la santé.
Beaucoup ne font pas de vélo tout simplement parce qu’ils ne savent pas vraiment en faire. Ils savent certes pédaler, mais ils ne se sentent pas à l’aise au point d’évoluer sur la route, parmi les automobilistes et les autres cyclistes. Cela s’apprend ! Et cela dépasse évidemment le simple cadre de la FFC car cela implique un important développement du réseau cyclable, et également la mise à disposition de vélos dans les écoles, à la manière des Vélib’, car un vélo, même premier prix, ne rentre pas forcément dans le budget de toutes les familles.
Mais c’est un investissement payant. Si les jeunes prennent cette bonne habitude de se déplacer en vélo, cela aura nécessairement des répercussions quand ils grandiront, et c’est ce qu’il se passe dans d’autres pays (Hollande, Danemark, etc.).
Il y a là un intérêt écologique évident, mais également un intérêt sanitaire. Faire du vélo contribue à se sentir en meilleure forme, et donc à augmenter son activité physique spontanée. C’est souvent parce que l’on est hors de forme que l’on prend l’ascenseur, les escalators, ou la voiture pour aller acheter le pain. Une personne en bonne condition physique n’hésite pas à prendre les escaliers ou à se déplacer en vélo ou à pied. C’est le serpent qui se mord la queue finalement ! Moins on en fait, moins on est capable d’en faire, car le moindre effort est coûteux.
Au final la FFC s’y retrouverait assurément en termes d’augmentation du nombre de ses licenciés (et on sait que c’est important pour elle), et qui dit plus grosse base dit nécessairement plus de potentiel et donc plus de champions… qui à leur tour donneront envie aux plus jeunes de faire du vélo.
C’est un cercle vertueux, encore faut-il qu’un premier pas soit fait ! »
Nicolas Fritsch