Les récents championnats d’Europe de cyclisme organisés à Plumelec en Bretagne, pour la première fois ouverts aux professionnels, nous ont offert un beau podium, au terme d’un final intense dans la dernière ascension d’une côte de Cadoudal noire de monde. La Bretagne, terre de cyclisme, cède sa place aux championnats du Monde qui s’ouvrent ce weekend à Doha, au Qatar donc, terre de..euh…de sable ? On lit et on entend beaucoup de critiques quant à cette organisation, tant au niveau purement sportif que d’un point de vue plus idéologique. A juste titre d’ailleurs, et un peu de recul s’impose pour tenter d’être objectif !

J’ai moi-même beaucoup critiqué le Qatar, et c’est le moins que l’on puisse dire, me révoltant contre les faveurs qu’on lui octroyait tout en fermant les yeux sur leurs pratiques ancestrales. Ancestrales, effectivement, c’est le mot juste qui m’a aidé à me raisonner. Nous, européens, occidentaux, culturellement donneurs de leçons, ne devons pas oublier que des droits qui nous apparaissent aujourd’hui fondamentaux ne l’étaient pas pour « nos ancêtres » il y a quelques dizaines d’années seulement, hier ou avant-hier donc à l’échelle de notre longue histoire. Il nous est facile de juger du haut de nos idéologies actuelles, mais comment nous jugera-t-on, nous, dans un siècle ? N’oublions pas que le droit de vote n’a été accordé aux femmes françaises qu’en 1944 et que l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis ne remonte qu’à 150 ans. Pas de quoi faire les malins finalement.

Cela n’excuse évidemment pas certains comportements des Qataris, notamment vis à vis d’ouvriers pakistanais au sort à peine plus enviable que celui des esclaves noirs américains. Mais cela permet de mettre les choses en perspective, et peut-être faut-il simplement laisser du temps à tout un peuple, à toute une culture, d’évoluer vers des valeurs qui nous semblent justes. J’ai mis du temps à me raisonner, et j’ose espérer que le temps me donnera raison lui aussi. En attendant, place au sport donc !

Et je pense qu’il faut accueillir favorablement l’émergence de nouvelles nations, aussi exotiques et à priori étrangères à la sphère cycliste soient-elles, il faut saisir cette opportunité, et, plus bassement mais plus concrètement parlant, prendre l’argent là où il est, au Qatar par exemple, pour aider là où il n’y en a pas, tout simplement. Combien de courses européennes se meurent pour des basses (oui parler d’argent c’est mal…mais paradoxalement indispensable !) raisons financières ? Prendre l’argent aux riches pour le donner aux pauvres…l’UCI anglo-saxonne serait-elle le Robin des Bois du 21ème siècle ?

Le cyclisme peut vivre avec son temps, en phase avec la mondialisation, tout en restant lui-même, il peut s’ouvrir sans renier ce qui a fait son histoire. Et non seulement il le peut mais il le doit ! Je vois le cyclisme comme un sablier en verre dont le sable (tiens !) de la base européenne viendrait nourrir d’expérience une base « exotique » qui reverserait en retour les moyens dont elle dispose, dans un cycle vertueux.

Attention toutefois, et c’est là où Marc Madiot a raison, il ne s’agit pas que des courses nouvellement créées, et potentiellement éphémères, tuent des courses centenaires avant de disparaître à leur tour quelques années plus tard. Ce serait alors la mort du cyclisme.

Il n’est pas question de concurrence destructrice, mais de collaboration constructive. Mais quid de la course en elle-même ? Qui plus est après des championnats d’Europe qui ont sacré le roi du Monde en personne !

On annonce un inexorable sprint, avec fatalisme. Et alors ? Les sprinteurs ne sont pas des cyclistes ? Voir l’un d’entre eux revêtir le maillot arc-en-ciel serait-il à ce point déshonorant pour notre sport ? Et puis, est-on sûr d’assister à un sprint massif ? C’est loin d’être gagné (ou perdu selon les points de vue) dans un pays balayé par le vent et écrasé par la chaleur. En parlant de chaleur…j’ose tout de même espérer que la course ne se jouera pas sur 150 kilomètres, car aussi intenses soient-ils, ils ne correspondraient pas à l’idée que je me fais d’un championnat du Monde qui se doit de couronner un cycliste endurant, à l’ancienne en quelque sorte.

Plusieurs nations, la Belgique ou l’Espagne par exemple, se présentent sans sprinteur capable de s’imposer à l’issue d’un sprint massif, et il faudra assurément compter sur elles pour emballer la course et nous tirer d’un dimanche après-midi somnolent.

N’oubliez pas également que nous sommes souvent déçus des parcours durs et donc jugés comme a priori, mais à tort parfois, excitants. Il suffit de penser aux nombreux Liège-Bastogne-Liège où 60 coureurs se sont présentés ensembles sous la flamme rouge…

Les Jeux Olympiques de Rio peuvent apparaître comme un magnifique contre-exemple à mes propos, et à juste titre, mais il faut se souvenir que les équipes n’y étaient constituées que de 4 à 5 coureurs, ce qui n’est et ne sera pas le cas au championnat du Monde. Et puis il suffit de regarder les faits, rien que les faits. Il y a déjà eu 15 éditions du Tour de Qatar depuis la première en 2002 (j’y étais !), Doha trouve ainsi à mes yeux une certaine légitimité en tant que ville organisatrice.

En 15 éditions donc, Tom Boonen est monté 8 fois sur le podium, et il en est le recordman des victoires avec 4 succès au classement général (sans parler de ses 22 victoires d’étape…), il y a moins glorieux comme référence, non ? Quant au podium 2016, pour rappel Cavendish devant Kristoff et Van Avermaet, il me semble qu’il ne déparerait pas dans la longue histoire du championnat du Monde !

 

Pour conclure, comment jugerait-on un championnat du Monde organisé à Oman et proposant l’ascension de la fameuse et terrible Green Mountain qui a vu triompher les meilleurs grimpeurs du monde ? Serait-il légitime de par une difficulté qui ferait oublier que le Tour d’Oman n’est né qu’en 2010 ? Et que l’on n’y trouve pas plus de spectateurs qu’à Doha…et pas moins que sur certaines courses espagnoles ou italiennes auxquelles j’ai pu participer il y a longtemps ou assister plus récemment !