Steve, vous êtes aux Etats-Unis pour les deux manches de Coupe du Monde nord-américaines, pourquoi être parti plus d’une semaine à l’avance ?
Nous sommes partis en avance car le 17 et 18 septembre il y avait deux cyclo-cross à Waterloo, donc c’était aussi l’occasion de reprendre les courses là-bas avant d’aller à Las Vegas. Et avec le décalage horaire c’est toujours bien de partir plus tôt. Je suis parti avec Lucie (Chainel, sa femme) et mon mécanicien. Anthonin Didier travaille et nos deux recrues Espoir n’ont pas les Coupes du Monde à faire donc ils vont reprendre gentiment par des cross régionaux.
Vous parlez de vos recrues, pouvez-vous nous présenter ces trois profils qui porteront les couleurs du Cross Team by G4 pour la saison à venir ?
La première recrue a été Yan Gras. C’est quelqu’un de mon département, que je connais depuis tout petit. Il a de grosses qualités de cyclocrossman et c’est la discipline qu’il préfère. Je lui ai tendu la main et c’est quelqu’un de très bien, qui peut sortir des performances de très haut niveau. Il peut aller chercher un podium en Coupe du Monde et le maillot national, nous l’aiderons pour cela. Ensuite j’ai connu Mickaël Crispin l’hiver dernier à Zolder. J’avais déjà eu l’occasion de le voir sur quelques cyclo-cross et il me paraît avoir un gros talent, surtout avec son grand gabarit. Il voulait vraiment faire du cyclo-cross sa discipline de prédilection. Il va débuter en Espoir, il est médaille d’argent des derniers mondiaux en Junior, ce qui démontre sa présence sur les grands rendez-vous. Il n’habite pas la porte à côté puisqu’il est de Bretagne mais notre structure lui apportera du matériel, un soutien logistique et un petit peu d’expérience. La troisième recrue est Anthonin Didier. C’était rare de voir quelqu’un d’aussi motivé et qui a vraiment envie de ne faire que du cyclo-cross comme cela. A notre rencontre le courant est très bien passé, on a vu que nous avions la même philosophie. Il avait arrêté le cyclo-cross pendant trois ans et a fait huitième des derniers Championnats de France, il a le cyclo-cross dans le sang et n’a pas envie d’autre chose.
Comment a été organisé votre recrutement ?
Je tiens à préciser que notre recrutement a été axé sur des coureurs qui avaient un petit peu le même état d’esprit et la même envie que nous, c’est à dire d’être des cyclocrossmen à part entière et que cela soit leur discipline de cœur. Nous n’avions pas envie de recruter quelqu’un qui voulait faire également de la route, nous voulions vraiment aider des personnes qui avaient une grosse envie de cyclo-cross. Le but n’est pas de se contenter d’un niveau national, nous voulons vraiment faire découvrir aux jeunes la Coupe du Monde, les emmener sur les championnats internationaux. On sait que ce qui fait la différence avec les Belges aujourd’hui ce sont les courses internationales.
Est-ce également prévu de participer à des courses belges telles que des manches du Super Prestige ou du Bpost Bank Trofee ?
Malheureusement non, parce que c’est fermé. Il est très compliqué d’accéder aux courses belges. Nous avons la chance, dans l’est de la France, d’avoir l’EKZ Cross Tour en Suisse où il y a quatre courses importantes et il faut aussi répondre au calendrier français. L’année dernière, Lucie et moi avions fais l’impasse sur les manches de Coupe de France mais nous serons les cinq bien présents cette année. Les organisateurs français se décarcassent pour nous trouver un programme alléchant, c’est vrai que d’un point de vue sportif c’est un peu dommage que les confrontations soient franco-françaises mais nous allons tout doucement vers une internationalisation de la discipline en France donc c’est très bien.
Pourquoi n’y a-t-il pas de recrue féminine ?
J’ai reçu très peu de CV féminins. Ceux que j’aurais pu recevoir auraient été accentués sur le haut niveau, les courses internationales et en France nous n’avons pas un gros programme féminin. J’aurais aimé quelques jeunes talents comme Evita Muzic, Maëlle Grossetête ou Juliette Labous mais elles sont déjà dans des équipes bien structurées donc pour le moment elles n’ont pas besoin de moi. Mais je ne ferme pas la porte à des féminines, bien au contraire
Durant l’intersaison cet été, y a-t-il eu des stages organisés pour que tout le monde se rencontre ?
Non cela n’a malheureusement pas pu se faire. Nous aurions souhaité avoir le matériel mi-août, pour faire des photos par exemple, mais il nous manque pas mal de choses. C’est aussi compliqué de trouver une date avec tous les coureurs, entre les études et le travail. Nous nous retrouverons tous ensemble à Gervans pour la première manche de Coupe de France et nous ferons par la suite le nécessaire pour faire au moins un stage dans la saison, mais je ne veux pas tomber dans un système comme cela peut exister chez les pros, avec des stages imposés. Je pense que la psychologie et le bien-être doivent passer avant tout. C’est important que les coureurs se sentent bien et ce n’est pas intéressant qu’ils fassent un stage pour traîner la savate pendant plusieurs jours.
Quelle a été l’évolution budgétaire de l’équipe ?
Le budget du Team a un petit peu augmenté, ce qui nous permet d’acheter plus de vélos. C’est le matériel qui coûte le plus cher, nous sommes cinq coureurs, avec trois vélos chacun, donc cela fait quinze vélos à équiper. C’est une enveloppe importante, et il faut en plus budgétiser tous les déplacements. Aujourd’hui, être dans le cyclo-cross coûte beaucoup d’argent mais nous avons des partenaires qui ont été ravis de la lumière qui a été mise sur l’équipe l’hiver dernier. Ils ont adhéré à notre philosophie d’être sérieux sans se prendre au sérieux, et surtout que chaque coureur s’épanouisse dans son objectif.
Quels sont donc les principaux partenaires ?
Notre sponsor principal est le groupe Chazal, avec Alain Chazal, qui nous aide à hauteur de 85 % du budget. C’est une personne extraordinaire, un grand chef d’entreprise. Nous avons ensuite le conseil départemental des Vosges et surtout des dotations matérielles avec des partenaires techniques comme Eagle, Flashwheels, Rotor, G4. Ce dernier nous aide aussi sur la partie communication et je peux bénéficier de l’apport de Geoffroy Lequatre qui nous permet de progresser beaucoup plus vite.
Etre aux Etats-Unis pour faire les Coupes de Monde, était-ce un passage obligé ?
Oui pour nous c’est un passage obligé. On se revendique cyclocrossmen, le cyclo-cross est une discipline internationale et la Coupe du Monde n’est pas une Coupe d’Europe. Les Américains font le déplacement eu Europe, pourquoi est-ce que nous ne pourrions pas aller aux Etats-Unis ? Je trouve cela logique d’y aller, même si ça coûte cher. Le cyclo-cross n’est pas une discipline uniquement européenne et néerlandophone.
Y a-t-il une approche différente du cyclo-cross aux Etats-Unis, que ce soit au niveau des circuits, de l’ambiance ?
Au niveau de l’ambiance, c’est vraiment le sport américain. Les gens viennent voir un spectacle et pas forcément une bagarre. Il y a beaucoup de consommation autour de ce genre d’événement donc c’est assez exceptionnel. Je suis un fan de Sport US, j’adore la NBA et c’est vrai que cela se ressemble un petit peu en cyclo-cross. C’est le show à l’américaine, avec la musique à bloc, les spectateurs qui viennent avec leur barbecue, c’est assez exceptionnel. Les circuits sont inspectés par l’UCI, donc ils ressemblent à ceux que l’on trouve en Europe, mais avec quelques petites touches spectaculaires supplémentaires.
La suite de la saison comprendra les Coupes de France mais aussi le Championnat d’Europe, c’est également un grand rendez-vous ?
Pour moi cette année il y a deux grands rendez-vous qui seront le Championnat d’Europe à Pontchâteau, en France, sur un circuit que j’adore et ensuite les Championnats du Monde à Bieles (Luxembourg), à deux heures de chez moi où j’aurai tous mes supporters. Et il y aura les deux fils rouges, la Coupe de France et la Coupe du Monde. J’ai envie de mettre un maximum de points UCI pour pouvoir avoir une bonne place sur la grille de départ des Championnats du Monde. Et la Coupe de France parce que nous sommes une équipe française. J’avais fais l’impasse l’année dernière sur tout cela mais c’était un peu une connerie, en y réfléchissant bien. Je n’ai pas de regrets mais en tant qu’équipe française, revendiquant le statut de spécialiste de cyclo-cross en France, j’avais des idées qui n’étaient pas en adéquation avec celles de la fédération. Mais c’est important de se rendre sur le Coupe de France, d’autant plus avec deux Espoirs dans l’équipe.
Comment va se passer la saison à l’échelon national, Clément Venturini va-t-il continuer sa prise de pouvoir ?
Je ne sais pas du tout. Je sais que Clément a fait une belle saison sur route, ce qui donne de la force pour le cyclo-cross mais ne fait pas forcément gagner en jus. Il est jeune, il a beaucoup de talent et je pense que c’est lui le nouveau boss du cyclo-cross français. Mais c’est Francis Mourey qui va courir en bleu-blanc-rouge, il y aura des jeunes talentueux comme Clément Russo, moi qui n’ai pas dis mon dernier mot. J’ai envie de redevenir un pionnier en cyclo-cross français. Il y aura aussi John Gadret qu’il ne faut pas oublier donc ce sera une belle bagarre, même si pour moi le numéro un est Clément Venturini, qui sera difficile à battre.
On voit que les équipe pros, à l’image de la FDJ, délaissent quelque peu le cyclo-cross, qu’en pensez-vous ?
J’ai un recul en tant que coureur et un recul en tant que manager. Pour avoir créé mon équipe de cyclo-cross, je comprends que la FDJ ou d’autres équipes décident d’enlever le cyclo-cross de leur programme. Une équipe sur route coûte de plus en plus cher, le programme WorldTour a encore été augmenté, donc c’est compliqué de mettre de l’argent et du personnel en plus sur les cyclo-cross en hiver, en parallèle de courses au Moyen-Orient. Après, d’un point de vue coureur, cela m’embête beaucoup. Mis à part en Belgique il n’y a aucun coureur en France qui a le statut de cyclocrossman. Francis ou Clément doivent faire des saisons de route, à rallonge, et doivent être présents dix mois sur douze. Aujourd’hui, la saison de Wout Van Aert fait six mois, il fait deux mois de préparation sur route et point barre. Le petit pourcentage qu’il nous manque pour rivaliser avec les Belges et devenir champion du Monde Elite, c’est avoir des saisons sur route adaptées, ce qu’aucune équipe française ne propose. C’est dommage parce que l’on a des coureurs de talent, qui pourraient être champions du Monde, mais malheureusement c’est la route qui prime et les budgets sont articulés autour de cela.
Donc votre but à vous, avec le Cross Team by G4, c’est amener des coureurs à être professionnels pour le cyclo-cross et qu’ils se focalisent entièrement là-dessus ?
Complètement, j’en ai aujourd’hui un petit peu rien à faire de la route. Sauf que quand on va voir un partenaire, il nous dit que quand on lui parle de vélo cela lui fait penser Tour de France et WorldTour. Mais aujourd’hui je n’ai pas envie de penser comme ça. J’ai envie de penser plaisir, spectacle, télégénie, parce que le cyclo-cross est une discipline télégénique qui va de plus en plus se développer à la télévision, sur internet. Je pense que le cyclo-cross a un réel avenir et pour cela il faut tout simplement adhérer à la philosophie. Et celle qu’a le monde de la route aujourd’hui ne me convient pas, c’est pour cela que j’ai eu envie de monter ma propre structure, exclusif cyclo-cross, avec des coureurs qui adhérent à cela et qui ne veulent faire que des cyclo-cross. Alors malheureusement on ne peut pas encore les payer, c’est zéro euro de salaire à la fin du mois. Mais j’espère un jour pouvoir trouver un mécène qui m’aide à monter une structure, comme cela se fait en Belgique, avec des coureurs professionnels qui font un petit programme route juste pour avoir la condition pour l’hiver. C’est le gros objectif de ma carrière.
Propos recueillis le 9 septembre 2016 par Adrien Godard.