En devenant champion de France de cyclo-cross pour la cinquième fois de sa carrière hier à Liévin, le Franc-Comtois Francis Mourey (Française des Jeux) a rejoint Dominique Arnould et Robert Oubron au rang des quintuples lauréats du Championnat de France. Il évolue désormais à deux longueurs des vieux records d’Eugène Christophe, André Dufraisse et Roger Rondeaux, septuples champions de France de la discipline. Mais plus que des records, c’est l’esprit de compétition qui fait vibrer Francis Mourey, qui a réalisé une course très sereine sur le circuit du Val de Souchez. D’abord échappé solitaire dès les premiers coups de pédales, il a dû accepter le retour de Steve Chainel après une crevaison de la roue avant pour finalement prendre l’option d’une arrivée au sprint. Désormais, c’est vers les Mondiaux que regarde le champion.
Francis, vous avez semblé vouloir tuer le suspense dès le départ, mais tout ne s’est finalement pas passé comme prévu ?
Avant le départ de la course, j’avais pris l’option de faire les deux premiers tours dans le rouge. Je me suis dit que si j’étais moi-même dans le rouge, mes adversaires le seraient aussi forcément. J’ai fait l’écart dès le premier tour. Je suis monté à 25 secondes d’avance au terme du deuxième tour. Après, j’ai fait plus attention sur les parties techniques, et l’écart a arrêté de se creuser. Je gérais car ça ne servait à rien de prendre des risques. Et je voulais en garder sous la pédale pour les deux derniers tours.
Mais une crevaison s’en est mêlée…
Effectivement, après ma crevaison, tout a été remis en cause. Dès que je m’en suis aperçu, juste après le passage devant le poste matériel, j’ai essayé de faire les parties roulantes le plus vite possible et d’assurer dans les parties techniques. J’avais trois endroits où faire attention. Sur un coup de cul, j’ai tout de même dû poser pied à terre en haut. Il me tardait d’arriver au poste matériel. Finalement mes adversaires m’ont repris juste à cet instant et c’était tant mieux pour moi, je n’ai pas eu à prendre trop de risques pour les rejoindre.
Vous vous êtes alors retrouvé avec Steve Chainel mais vous n’avez jamais semblé en mesure de le distancer ?
Je l’ai testé deux ou trois fois dans les montées mais il restait collé à ma roue. J’ai compris qu’il serait très dur de le sortir sur les faux-plats montants, d’autant qu’il aurait fallu que je prenne des risques ensuite sur les parties techniques. J’ai donc préféré ne pas trop taper dans mes réserves pour tout lâcher dans la dernière ligne droite. En 2005, j’avais lancé le sprint à la sortie du champ et ça m’avait réussi, j’ai voulu faire pareil cette année.
Comment avez-vous abordé ce sprint ?
Dans le malheur de ma crevaison, j’ai récupéré un vélo avec un plus gros développement. Je me suis retrouvé avec un 50 dents au lieu d’un 48. Me sachant en outre assez rapide, j’avais confiance en mes chances de l’emporter si je lançais le sprint, d’autant que Steve Chainel emmenait un plateau de 46.
Vous attendiez-vous à vivre ce genre de course eu égard à votre domination sur les manches du Challenge National ?
Un championnat ne se compare avec aucune autre course. Je savais que ça allait être très dur car le parcours était très roulant à cause du gel. En fait, la course a ressemblé un peu à celle que j’avais menée l’année passée à Pontchâteau. J’avais là aussi connu un problème mécanique puis il avait fallu que je gère la course. J’étais heureusement dans un bon jour à chaque fois, sans quoi ça ne m’aurait jamais permis de gagner.
Vous avez abordé ce Championnat de France en position de force après votre succès en Belgique la semaine précédente ?
J’ai couru en Belgique la semaine précédente, j’ai fait trois grosses courses au contact des meilleurs mondiaux. Ca a été ma première victoire en Belgique. Voilà plusieurs années que je fais partie des meilleurs mondiaux. J’ai fait plusieurs résultats en Coupe du Monde, parmi lesquels deux podiums ici à Liévin. Je savais en arrivant que j’étais l’homme à abattre. Je commence à être habitué à cette pression-là, et j’ai la chance de savoir bien la gérer.
Comment y parvenez-vous ?
Je suis de nature assez calme et c’est ce qui me permet de
l’évacuer. Les quelques jours qui précèdent un Championnat de France, je réussis à faire le vide dans ma tête. Samedi je me suis couché à 21h30, et je me suis levé à 7h00, comme un jour normal.
Vous sentez-vous plus fort que les autres années ?
Je pense être aussi fort cette année que les autres années, mais ça marche sans doute mieux pour moi cette année car j’ai eu moins de fatigue de ma saison de route. Je n’ai pas fait de Grand Tour en 2009, ce qui m’a permis de mieux récupérer. Je pense que c’est ça qui fait la différence à l’heure actuelle, même si ça fait plusieurs années que je fais partie des meilleurs mondiaux. A ce niveau-là, la différence n’est plus très grande entre les concurrents. Ce sont des petits plus qui font la différence.
D’où vous vient votre confiance ?
A chaque fois que j’arrive au départ d’une course, je sais que j’ai fait le maximum à l’entraînement. J’essaie toujours de travailler les petits trucs pour être le meilleur, de mettre toutes les chances de mon côté. Au départ du Championnat de France, je savais que j’avais tout fait pour arriver à ce niveau. Ca marche, tant mieux, si ça ne l’avait pas fait j’aurais été déçu mais j’aurais su que j’avais tout fait pour.
Où vous situez-vous dans la hiérarchie mondiale ?
A l’heure actuelle, trois coureurs sont au-dessus du lot : Nys, Albert et Stybar. Après, nous sommes cinq ou six à être du même niveau. Les places se jouent à l’état de fraîcheur selon les courses. Cela fait quatre-cinq ans que je suis convaincu que je peux être champion du monde. Nous arrivons dans la dernière phase de préparation pour les Mondiaux, il me reste quinze jours à travailler comme il faut pour être vraiment en forme à Tabor.
La génération montante représentée par Niels Albert et Zdenek Stybar ne vous fait-elle pas penser que votre tour est passé ?
Non, regardez un coureur comme Van Der Poel, sacré champion du monde à 38 ans ! Cela fait plusieurs années que j’évolue au plus haut niveau et que je me bats pour le titre mondial. Le jour où je n’arriverai plus à gagner ou à suivre les meilleurs, je penserai sans doute que mon tour sera passé, mais pour l’instant je réussis et j’espère garder ce niveau-là pendant cinq ou six ans encore.
Propos recueillis à Liévin le 10 janvier 2010.