Ce mercredi, Primoz Roglic (Team Jumbo-Visma) n’a pas pris le départ d’Aracena. La faute à une vilaine chute la veille, et de multiples blessures. « Au coude, au genou, à la hanche et aux côtes » précisait-on du côté de sa formation. Meurtri dans sa chaire, terrassé dans son âme, le slovène n’a pas survécu à cette énième cabriole, aussi bête et rageante que toutes celles qui ont émaillé sa carrière. 2e du classement général provisoire de la Vuelta, il revenait en force après une première semaine timorée. Sur les sommets andalous, dans l’asphyxie de l’altitude, il venait d’étouffer Remco Evenepoel, son adversaire de trois semaines.
Dans une position de challenger que l’on ne lui connaissait pas encore, Primoz Roglic redoublait d’audace et de panache. Profitant de la faiblesse de l’équipe du maillot rouge, la Quick Step Alpha-Vinyl, il découpait le peloton en pièces détachées dès qu’il en avait la possibilité, s’arrachait à ses concurrents lorsqu’il en avait la force. Primoz Roglic, déjà triple vainqueur de l’épreuve, était prêt à tout pour renouveler son bail.
Hier encore, il était déchaîné dans la montée vers Tomares. Epoustouflant d’explosivité dans la dernière côte, il s’extirpait du peloton et ne se préoccupait pas des quelques résistants qui s’accrochaient à sa roue, happé pour l’envie de refaire son retard. En s’employant ainsi, il a grignoté huit secondes à Remco Evenepoel. En accrochant une roue, il a donc laissé au belge le loisir de remporter sereinement cette 77e édition de la Vuelta. Une fois de plus, Primoz Roglic s’est effondré. Retour sur ces instants où l’ancien sauteur à ski est tombé trop bas.
Le saut (à ski) de l’école de cyclisme, l’origine du mal de Primoz Roglic
Primoz Roglic n’est pas né sur un vélo. Loin de là. Fils d’un ouvrier et d’une assistante dentaire, le natif de Trbovlje reste longtemps étranger à cet univers, dans un pays où la pratique de la bicyclette reste embryonnaire. Si les montagnes voisines l’inspirent, il préfère les dévaler à ski, s’élancer au sommet de tremplins pour les survoler quelques instants. Le vélo, il n’en fait que l’été, dans son coin, en guise d’entraînement physique. Pourquoi donc intensifierait-il son investissement dans la discipline ? Le saut à ski lui procure son envol. Titré aux mondiaux Juniors du concours par équipes, Primoz Roglic plane… avant qu’une violente chute (déjà) ne remette en question ses choix de carrière.
S’il continue encore durant quatre années, gagne parfois et brille souvent, le slovène sent sa passion brisée par l’impact. Les prouesses entre-aperçues à vélo le dirigent vers une équipe amateure locale, avant d’intégrer le monde professionnel chez Adria Mobil, l’année suivante, en 2013. Voilà Primoz Roglic propulsé dans la meute avec une fulgurance inouïe. Or, la précocité de cette reconversion néglige la base du cyclisme : l’équilibre.
L’apprentissage des codes du peloton est rude pour le néo-pro. Mal à l’aise dans ce mikado de bicyclettes, Primoz Roglic tombe, souvent. « Je n’avais aucune technique. La difficulté majeure fut d’apprendre à rouler en peloton. Au moins dans les chronos je pouvais choisir mes trajectoires », avoue-t-il a posteriori. Ses progrès en la matière sont notoires, mais sa maladresse persiste, et réapparaît de temps à autres. Primoz Roglic a beau remporter des courses, signer en World Tour et s’y adjuger des chronos, il ne peut se débarrasser de cette faiblesse. Ce sera et restera son talon d’Achille. Et maintes fois, il le subira.
Des cruelles défaillances…
Fort de deux bouquets sur le Tour, d’une poignée de sacres sur des courses d’une semaine et d’une brassée de victoires en contre-la-montre, Primoz Roglic s’attaque aux classements généraux des Grands Tours à l’aube de la saison 2019, le doublé Giro-Vuelta dans le viseur. Sa première expérience dans ce statut lui révèlera les difficultés intrinsèques à l’exercice. Maillot rose durant cinq jours, il cède peu à peu face à Richard Carapaz, avant de s’écouler dans la dernière étape de montagne. Accablé par la tension incessante des trois semaines de course, il lâche une précieuse minute sur le leader de l’épreuve, abandonnant toute chance de refaire son retard lors du chrono final.
Si cette déception est vite effacée par son succès sur la Vuelta, ses déboires du Tour de France 2020 ont durablement marqué les esprits. Porté par le rouleau-compresseur Jumbo-Visma et propulsé au sommet du classement général à l’issue de la première semaine, Primoz Roglic règne en maître sur la course. A la sortie des deux grands massifs, il jouit d’une minute sur Tadej Pogacar, son dernier adversaire. L’ultime épreuve de la Grande Boucle, un contre-la-montre tracé entre Lure et la Planche des Belles Filles, semble à l’avantage de ses qualités de rouleur-grimpeur. La suite appartient à l’histoire. Destitué de son maillot jaune par son compatriote dès les premiers kilomètres de la montée, Primoz Roglic ne parviendra jamais à renverser la tendance, victime d’un coup de théâtre d’anthologie.
Casque de travers, regard hagard et moue renfrognée, son attitude illustre son désarroi. Le slovène est assommé, le public halluciné. L’impensable est arrivé. Primoz Roglic a perdu le Tour. Cette fois, son deuxième sacre sur la Vuelta n’occultera pas le traumatisme.
… aux tragiques chutes de Primoz Roglic
En outre, le sort de Primoz Roglic n’est pas près de s’arranger. Huit mois après le cataclysme du Tour 2020, le slovène côtoie encore la catastrophe durant Paris-Nice. Encore une fois, il est leader de l’épreuve. Encore une fois, il a fait preuve d’une époustouflante force, s’arrogeant trois étapes en quatre jours. Encore une fois, il va s’écrouler au cours de la dernière étape, pourtant anodine sur le papier. Victime de multiples chutes, il se retrouve irrémédiablement distancé par le peloton des favoris, déserté par ses équipiers, abandonné à son sort. Il résiste, plafonne à quelques encablures du groupe des leaders, puis explose et plonge dans les profondeurs du classement général.
Les malheurs de Primoz Roglic se répètent sans cesse, et surviennent tout particulièrement lorsque sonne l’heure de la Grande Boucle. En 2021 comme en 2022, le slovène goûte précocement au bitume, hypothéquant toute chance de bien figurer au classement général avant même que la montagne n’ait pu le tester. L’an passé, le final tortueux de Pontivy l’avait effectivement propulsé à terre, à l’instar d’une bonne partie du peloton. Traînant sa misère jusqu’au Jura, il s’était retiré à l’issue d’une journée passée dans le grupetto. Cette année, c’est la nervosité des pavés qui l’a fait tomber. Reparti avec une épaule luxée, le slovène s’entête à aider Jonas Vingegaard mais dégrade sa santé de jour en jour. A Mende, il se confronte à l’évidence et quitte à nouveau le Tour par la petite porte. Encore.
La rengaine de Tomares, Primoz Roglic la connaît donc sur le bout des doigts. Bon puncheur, solide grimpeur et excellent rouleur, il reste un piètre équilibriste. Lorsque personne ne peut le battre, il peut encore se faire tomber. Tel est son talon d’Achille.