Et 3 nouveaux bouquets sur le Giro pour Arnaud Démare, qui font 10 victoires d’étapes en Grands Tours ! Avec un tel palmarès, il va être de plus en plus difficile pour ses détracteurs de trouver des arguments à son encontre. Encore une fois meilleur sprinteur du Giro, encore une fois vainqueur du classement par points (après 2020), Arnaud Démare a fait brusquement taire les critiques lorsque celles-ci devenaient trop insistantes à son oreille.
Muet depuis l’entame de la saison, le coureur de la Groupama-FDJ a ainsi choisi la « plus dure épreuve du monde » comme décor de ses nouveaux exploits. Mis bout à bout, ces succès de renom s’enfilent désormais comme un collier de perles. Dès lors, le fabuleux bilan qu’il s’est d’ores et déjà construit mérite la comparaison de son poids dans l’histoire. Que valent les 10 victoires en Grands Tours d’Arnaud Démare dans la riche mythologie de la Petite Reine ?
Distancé dans l’Histoire, Arnaud Démare tient la roue des plus victorieux du présent
Démare loin des 63 victoires de Merckx
A prime abord, les 10 bouquets du Français souffrent d’une comparaison historique et internationale. Tous coureurs confondus, ce butin est six fois inférieur à celui du roi Eddy Merckx, et ses 63 victoires en Grands Tours. Dans le registre des purs sprinteurs, il pâtit également du rapprochement avec l’exubérant Mario Cippollini, que ses 57 succès dans l’exercice ont conduit à s’autoproclamer empereur. En fait, dans ce prestigieux classement, rassemblant toutes les légendes de notre sport, Arnaud Démare n’apparaît qu’au niveau de la 100e place. Si l’on poursuivait la métaphore monarchique, le picard ne pourrait prétendre au mieux qu’au titre de seigneur local, surclassé par la confrontation des grands destins princiers.
Toutefois, cette comparaison trouve ses limites dans les différences radicales de contextes qu’elle englobe. Si amasser tant de bouquets a toujours relevé de l’exploit, l’ampleur des succès de Merckx tutoie désormais l’impossible. Même des cracks comme Wout Van Aert (Jumbo-Visma) ou Tadej Pogacar (UAE Team Emirates), pourtant prompts à s’imposer sur tous les terrains, ne peuvent envisager de pareils destins. La modernisation galopante du cyclisme ayant eu lieu au cours des dernières décennies a favorisé le partage des richesses entre privilégiés. Si une poignée continue d’accaparer la majorité des récompenses, cette hégémonie ne peut plus être l’affaire d’un homme.
Démare tutoie les actifs les plus prolifiques
Dès lors, une comparaison avec les coureurs encore actifs s’avère plus pertinente. En effet, la concomitance de leurs carrières rapproche nettement les conditions d’obtention de leurs succès. Dans ce classement excluant donc les hommes retraités ou décédés, Mark Cavendish caracole en tête. Jouissant de 53 victoires, tous Grands Tours confondus, « l’homme de l’île de Man » s’est même offert le luxe d’égaler le score du « Cannibale » sur le Tour, en portant l’an dernier son total à 34 bouquets. A cet égard, les 10 victoires d’Arnaud Démare paraissent encore bien maigres face à ce bilan de mastodonte du sprint.
Pourtant, c’est surtout « le Cav’ » qui fait figure d’exception. En effet, ils ne sont qu’une poignée à devancer le picard, et seul le britannique dépasse le seuil des 20 succès. Ainsi, dans ce cercle restreint, ne figurent que des coureurs de renom, du genre à marquer l’Histoire de leur empreinte. Voyez un peu : Peter Sagan a remporté sept fois le classement par points du Tour de France, Valverde, Nibali, Froome et Roglic possèdent 15 Grands Tours à eux quatre. Par conséquent, il devient clair qu’Arnaud Démare tutoie les très grands de son époque. Il faut d’ailleurs noter qu’il vient d’en mater quelques-uns durant le récent Giro. Au sprint, il a fini par surpasser Cavendish et Ewan. En nombre, il s’est rapproché de Nibali et Valverde. Si le Français n’est pas un roi de l’Histoire, il est donc un seigneur de son monde.
Largué par ses ancêtres, devant ses contemporains
Dans l’Histoire de France, Arnaud Démare cède toujours le pas à la légende de Bernard Hinault
Comme pour Eddy Merckx, les 41 victoires de Bernard Hinault surplombent le picard. Né en 1991, il ne peut qu’admirer cette prouesse que l’on ne pourra sans doute plus jamais reproduire. D’ailleurs, à sa naissance, le « blaireau » avait déjà tiré sa révérence. Et déjà, ce dernier n’avait pas connu de son vivant André Leducq et ses 25 bouquets, tous acquis sur le Tour entre 1927 et 1938. Dès lors, si leurs exploits, rejoints par les 23 succès d’André Darrigade ou les 22 victoires de Jacques Anquetil, sont à encadrer dans la mythologie du cyclisme tricolore, ils ne peuvent être mis sur le même plan que les 10 triomphes d’Arnaud Démare.
Ainsi, dans ce classement, seul Laurent Jalabert, 25 fois victorieux d’étapes en Grands Tours, pourrait donc nourrir une comparaison pertinente avec Arnaud Démare. Sprinteur de formation, puncheur réputé et même grimpeur à ses heures perdues, le natif de Mazamet possédait alors un ample registre, lui permettant de multiplier les occasions. Toutefois, 18 de ces bouquets ont été acquis sur les Tours d’Espagne 1993, 1994, 1995, 1996 et 1997. Or, cette épreuve pour laquelle le Français s’était épris d’affection ne jouissait pas alors de son aura actuelle, au point que sa tenue fut conjointe à celle du Giro jusqu’en 1995. La notion de « Grand Tour » ne jouissait donc pas de la même pertinence qu’aujourd’hui.
Au sein du peloton Français, personne ne fait mieux que les 10 victoires d’Arnaud Démare
Dès lors, comme à l’international, la meilleure comparaison entre compatriotes reste celle n’embrassant que les contemporains. Et là, Arnaud Démare arrive en tête de liste. Issu d’une génération particulièrement prometteuse, promu au rang de leader simultanément à Romain Bardet ou Thibaut Pinot, le natif de beauvais est celui qui s’en est le mieux sorti. Lorsque ses compères enchaînent les désillusions, lui ne cesse d’engranger de nouveaux succès de prestige. Sur ce Giro, il permit même d’oublier le désastre français, entre maudites défaillances de Guillaume Martin et cruel abandon de Romain Bardet. Quant à Nacer Bouhanni, dont il fut le rival jusqu’en 2014 à la FDJ, le lorrain n’a jamais bénéficié de conditions lui permettant d’exprimer pleinement son potentiel.
En effet, les succès d’Arnaud Démare doivent également être attribués à sa formation et ses équipiers. A ce titre, il faut relever que la carrière du Français n’a franchi le cap des Grands Tours que lorsque la FDJ s’est dotée d’un train de sprint digne de ce nom, recrutant depuis 2017 des pointures internationales dans chaque domaine. Comme le picard le souligne si bien, ces 10 bouquets sont aussi ceux d’Ignatas Konovalos (9/10), de Ramon Sinkeldam (8/10), de Miles Scotson (8/10) ou encore de Giacopo Guarnieri (10/10).
Arnaud Démare, coureur français le plus prolifique sur le Giro
S’il y a une course où le picard résiste à l’Histoire, c’est le Tour d’Italie. Bien qu’il ne soit qu’un pur sprinteur et ait affaire à des trains concurrents, le leader de la Groupama-FDJ a profité de cette 105e édition de la course transalpine pour dépasser Bernard Hinault et Jacques Anquetil dans les annales. Inscrivant son nom au sommet de l’histoire croisée des Français et du Giro, il s’est ainsi taillé une place de choix dans la mémoire collective, qu’il tentera assurément d’enrichir dans les années à venir.
En effet, l’histoire est belle entre l’homme et la course. Si le Tour a bien souvent été cruel avec le beauvaisien, entre frustrations et abandons, le Giro a systématiquement endossé un rôle salvateur dans la carrière d’Arnaud Démare. Si sa découverte de l’Italie fut tumultueuse (abandons en 2012 et 2016), ses trois dernières venues furent fructueuses. D’un bon sprinteur, le Giro a fait d’Arnaud Démare un grand coureur. Son attitude le souligne et l’amplifie. A propos de ses conférences de presse, distinguées pour leur longueur et leur teneur, un journaliste italien écrit : « Il est le sprinteur le plus fort du Giro mais aussi son plus grand conférencier. Face à la presse, il s’installe confortablement, croise les jambes et se met à parler calmement en multipliant les gestes et des clins d’oeil, telle une star de la nouvelle vague. ». C’est donc ça la patte Démare dans l’Histoire : celle d’une star.