Philippe Mauduit, désormais à la tête de la direction de course de la Groupama-FDJ, s’est entretenu en exclusivité avec Vélo 101.
Arrivé en 2019 chez Groupama-FDJ comme directeur sportif, Philippe Mauduit est, depuis le 1ᵉʳ janvier, à la tête de la direction de course de l’équipe en remplacement d’Yvon Madiot. Passé par Tinkoff, Bahrain ou encore UAE Team Emirates, le natif de Tours a travaillé au sein des meilleures équipes mondiales ces dernières années. En décembre dernier, lors du stage de la Groupama-FDJ à Calpe, Philippe Mauduit a accepté de répondre à nos questions.
Comment jugez-vous votre saison 2023 ?
Si on s’en tient simplement au bilan comptable, on a envie de dire que c’est une bonne saison. 7ᵉ équipe mondiale, pas très loin de la quatrième place. Le classement World Tour reflète vraiment la réussite d’une saison au niveau international. On a fait une saison pleine. J’ai presque envie de dire que notre point faible en 2023, ça a été le Tour de France où on a été en deçà de ce qu’on espérait et en deçà de 2022. Mais le reste, presque 20 victoires, 30 places de 2 dont plus d’une dizaine dans le World Tour et souvent battus par des coureurs qu’on sait exceptionnels comme Pogacar ou Vingegaard. Donc, hormis le Tour de France, on peut dire que c’est une bonne saison. L’intégration des jeunes s’est bien faite avec de la réussite pour Laurence Pithie, Romain Grégoire, Lenny Martinez et les autres qui ont apporté beaucoup de fraîcheur et d’énergie à l’ensemble de l’équipe. Ce n’est pas une saison exceptionnelle, mais c’est quand même une bonne saison.
On parle désormais beaucoup des points UCI. Est-ce qu’une deuxième place sur une course World Tour peut valoir une victoire sur une course moins prestigieuse et donc qui rapporterait moins de points ?
Non, pas dut tout. En tout cas, pas pour nous. On a la chance, pour le moment, de ne pas avoir à compter les points UCI, donc on prend le départ de chaque course pour gagner. C’est confortable de pouvoir encore avoir cette stratégie-là, car il y a beaucoup d’équipes qui, pour pouvoir rester dans le World Tour, sont obligées d’aligner les jours de course et de chasser les points. Nous, on a cette chance-là, on ne compte pas. Après, c’est à la fin de l’année où il y a ce classement, qu’on suit évidemment toute l’année, qui a une valeur dans le sens où ça dénote sportivement le fait d’avoir fait une bonne saison ou pas. C’est assez représentatif. On peut lui dire dire tout ce qu’on veut, on peut le corréler au budget des équipes,… Chacun fait ses propres bilans. Il y a plein de choses que l’on peut encore améliorer et sur lesquelles on travaille. Notre objectif, ce n’est pas d’être seulement 7ᵉ au classement World Tour, c’est aussi et encore de gagner des courses.
Vous êtes arrivés en 2019 chez Groupama-FDJ, qu’est-ce qui caractérise le mieux cette équipe ?
C’est le sens et la valeur du travail, qu’il n’y a pas forcément dans les équipes étrangères. Je suis passé par des équipes équipes où il n’y avait pas forcément de budget, d’autres où il y avait d’énormes budgets, et, finalement, ce sont souvent les petits poucets qui travaillent le plus. Et nous, on est dans ce cas-là. C’est une équipe qui a 120 salariés maintenant, pour seulement 27 coureurs. Ça veut dire qu’il y a vraiment du travail de recherche, de l’investissement humain, personnel au service de la performance. Au-delà de cette valeur travail, il y a un véritable équilibre entre la recherche de la haute performance et l’humanisme. Parce que même si c’est du sport de haut niveau, il ne faut pas oublier qu’on a des humains, que certains considèrent comme des bêtes de course, mais ce sont avant tout des hommes, et cette partie-là, elle est vraiment importante dans l’équipe et c’est pour ça que j’y suis encore. Il y a ce vrai compromis qui correspond à mes valeurs : travail, performance, humanisme.
Pour revenir sur le dernier Tour de France de David Gaudu. Il termine 9ᵉ, alors qu’il était 4ᵉ en 2022, tout en ayant amélioré ses données de performance. Est-ce qu’il y a de la frustration ?
Non, ça fait partie du sport. À partir du moment où on recherche une performance ou un classement, il y a les aléas de la préparation, les aléas de la course. Tu peux être plus performant et descendre dans le classement. Et a contrario, des éléments de course peuvent faire que tu es un petit peu en dessous physiquement une année et tu fais de meilleurs résultats. Le sport cycliste évolue tellement vite que tu vas toujours essayer de t’améliorer. Il ne faut pas remettre tout en question non plus. Je crois qu’on n’a pas exagéré dans l’augmentation des charges de travail, on avait décidé tous, en commun accord, de prendre le risque d’augmenter un petit peu la charge de travail dans la préparation. Mais c’était, j’ai presque envie de dire, infinitésimal. Ce n’est pas passé, mais pas seulement à cause de cette augmentation de charge, c’est multifactoriel. Il y a plein de choses qui interviennent dans la performance.
David a connu une saison 2023 en deux temps. Il a très bien débuté en terminant notamment 2ᵉ de Paris-Nice avant de connaître la malchance et très peu courir en deuxième partie de saison. Comment se passe l’accompagnement du coureur dans cette situation ?
L’accompagnement d’un coureur, c’est toujours difficile. Que ça se passe bien ou que ça se passe mal. Quand ça se passe bien, on cherche encore à améliorer le système et à se creuser la tête et quand ça ne se passe mal, on cherche à mettre des choses en place pour que ça se passe mieux. David, ce n’est pas quelqu’un de compliqué, David, c’est quelqu’un de respectueux, jovial même quand ça va moins bien. La difficulté, c’est de pouvoir évaluer combien de temps il faut pour pouvoir revenir à un niveau de condition qui lui permette de pouvoir s’exprimer en course. C’est multifactoriel, comme ça a été le cas pour lui, entre maladies, chutes à l’entraînement, Covid,… Ce qui me fait mal, c’est que les coureurs sont souvent critiqués pour ce qu’ils ne font pas, mais les gens n’ont pas connaissance de pourquoi ils ne peuvent pas faire les choses. Je crois qu’il faut respecter aussi la vie privée des coureurs et pas toujours chercher à analyser ou à divulguer. Il y a le sportif d’un côté, mais il y a, aussi et surtout, l’être humain. Et, quels que soient ses résultats sportifs, il doit être respecté en tant qu’Homme.
Avec les dernières étapes du Tour de France 2024 autour de Nice, le prochain Paris-Nice sera-t-il un point de passage important ?
On est trop loin du Tour pour engager l’équipe type du Tour de France. Évidemment qu’autour de David, sur Paris-Nice, il y aura des coureurs qui seront engagés sur le Tour de France parce qu’il court quand même assez régulièrement avec un noyau de coureurs qu’il retrouvera en juillet, mais on fait tourner ces coureurs aussi autour de lui parce qu’il y a d’autres objectifs. On a en même temps Tirreno Adriatico, on aura au Dauphiné aussi une partie des coureurs du Tour de France, mais l’autre partie de l’équipe sera sur le Tour de Suisse. On ne se focalise pas là-dessus. C’est juste une étape dans l’approche du Tour. Mais Paris-Nice, ce n’est pas une étape capitale dans la préparation au Tour.
Je sais que l’année dernière, on n’était vraiment pas bien sur le Dauphiné, mais contrairement à certaines équipes qui y vont pour briller, se mettre en valeur et se rassurer avant le Tour de France, nous, on l’utilise vraiment comme la fin d’un cycle de préparation en vue du Tour de France. Le Dauphiné pour nous, c’est rarement un objectif. C’est vraiment une épreuve imposée pour continuer à faire grandir la condition physique de nos coureurs et c’est comme ça qu’on l’utilise. Quelques fois, on arrive à y faire des résultats comme en 2022 où David gagne son étape. Et puis d’autres fois, on passe complètement à côté parce qu’on a pris le risque de changer quelques petits éléments et donc on n’est pas super performants à cette période-là. Ce qui compte, c’est de travailler en vue du Tour et pas déjà d’être prêts et de s’écrouler pendant le Tour.
Avec les JO qui arrivent par exemple, est-ce difficile de concilier les ambitions des coureurs et celles de l’équipe ?
Ce n’est pas particulièrement compliqué de concilier cet objectif, qui va être soutenu par les équipes nationales. Ce n’est pas particulièrement compliqué, car au moment des JO, il n’y a pas d’autres épreuves dans le monde. Le calendrier est vide ce jour-là. Et puis, ça reste les JO, en plus en France, ça sera la seule fois de leur carrière, c’est un évènement qui marque une vie. Quand on a des coureurs sélectionnés pour cette épreuve, on se doit de les accompagner au mieux et de faire en sorte qu’ils puissent performer ce jour-là, même si ce n’est pas nous qui les encadrerons.