1) Saint-Raphaël – La Seyne sur Mer : Caleb Ewan souverain
La traversée du Var n’avait rien d’une étape du UAE Tour. Tracée entre corniche et massifs, elle offrait aux coureurs une exigeante mise en jambes. Avec 2000 mètres de dénivelé cumulé, elle ne s’offrait nullement aux sprinteurs sur un plateau. Pour l’embrasser, il fallait la mériter. Le col de la Taillude et le col de la Fourche franchis en début de journée, il fallait encore résister au passage de la côte du Mai (4,8km à 3,9%), à proximité de l’arrivée. Sentant les effluves du bouquet du jour, les puncheurs s’y sont d’ailleurs donnés à cœur joie. Après une première banderille de Cyril Gauthier, le luxembourgeois Kevin Geniets (Groupama-FDJ) s’est lancé à l’assaut, profitant d’une pente favorable pour s’arroger 20 secondes d’avance sur le peloton.
Cependant, ce pécule ne fut qu’illusion, tant les équipiers des sprinteurs détenaient les clés de la bourse. Tout au long de la montée, le Team Arkea Samsic et la Lotto Soudal se sont effectivement attelés à assurer le tempo idéal pour Nacer Bouhanni et Caleb Ewan, leurs leaders respectifs. Faisant de leur union leur force, les formations belges et bretonnes sont ensuite revenues tambour-battant sur le luxembourgeois après la bascule. Ce malheureux n’eut même pas le temps d’apercevoir le littoral méditerranéen qu’il était déjà avalé par la meute. A la Seyne-sur-Mer, c’est donc une boule de muscles, de nerfs et de griffes qui s’est présenté dans la ligne droite finale. Et aux imminents abords de la ligne d’arrivée, son membre le plus féroce s’en est détaché. Facile vainqueur, porté par d’accomplis serviteurs, Caleb Ewan s’est imposé en souverain du domaine. Nacer Bouhanni, 3e, avait beau taper du poing sur le guidon, le couronnement était parfaitement légitime, tant son déroulement fut limpide. Lotto Soudal 1 – 0 Arkea.
Caleb Ewan s’est aisément ainsi au sprint à La Seyne sur Mer | © Lotto-Soudal
2) Puget-Théniers – La Turbie : Tim Wellens royal
En cyclisme, le maillot jaune est sacré. Quelle que soit la course, l’épreuve, le contexte, il se respecte avec absolue piété. Par conséquent, le sacrifier en dit long sur la hardiesse de la Lotto Soudal. Non impressionnée par sainteté de la relique, l’écurie belge en a fait son fer de lance, envoyant Caleb Ewan dynamiter de peloton, propulser Tim Wellens. Ainsi, les concurrents de ce 54e Tour des Alpes-Maritimes et du Var (anciennement Tour du Haut Var) n’avaient pas encore abordé le col d’Eze, ultime difficulté de la journée, que le peloton était déjà scindé. Thibaut Pinot et Michael Storer, grimpeurs notables de la Groupama FDJ, étaient notamment piégés. Parfaitement épaulé par ses équipiers, Nairo Quintana, lui, résistait patiemment.
Caleb Ewan maillot jaune sur le dos, s’est mis à la planche pour Tim Wellens au pied du col d’Eze | © Lotto-Soudal
Le colombien attendait simplement le changement de braquet pour montrer son aise. Le petit plateau à peine enclenché, et voilà qu’il fut déjà envolé. Après Julian Alaphilippe au Tour de la Provence, c’est une autre Français, Guillaume Martin (Cofidis), qu’il mit au supplice sur les terribles rampes du col des Quatre Chemins (3,3km à 7,6%), prélude au col d’Eze. Une poignée d’escarmouches faisant inéluctablement mouche, « Nairoman » s’en y alla seul. Le normand définitivement éliminé, on crut un temps à la fin de la guerre, à l’armistice des puncheurs.
Que nenni. Profitant des portions plus roulantes du col d’Eze, Tim Wellens convertit ses 65kg en puissance, grignotant mètre après mètre sur le sud-américain, soudainement frêle. Comme au pied, l’inversement des rapports bouleversa la hiérarchie. Et cet ultime plateau, du village d’Eze jusqu’à la Turbie, terminus de l’étape, accorda l’étape au TGV du jour. En phénoménal monstre de force, la locomotive Wellens rattrapa le bon wagon et le raccorda à son train arrière. L’ordre des choses ainsi rétabli, il se perpétua jusqu’à la ligne. Lotto Soudal 2 – 0 Arkéa.
Tim Wellens, bluffant vainqueur à La Turbie | © Dylan Meiffret / Tour des Alpes Maritimes et du Var
3) Villefranche sur Mer – Blausasc : Nairo Quintana impérial
En théorie, l’ultime étape de ce triptyque provençal promettait une paisible fin de règne pour le roi Wellens. Couronné au terme de l’étape reine, il ne semblait pas avoir à craindre un tracé plaçant les principales difficultés loin de l’arrivée. Les 33 kilomètres séparant le sommet du col de Saint-Roch (6,5km à 6,4%), dernière difficulté majeure de la journée, et la commune de Blausasc, village d’arrivée, semblaient placer le Belge à l’abris du venin de son rival colombien.
En pratique, Nairo Quintana est réellement insaisissable dès que la route s’élève. Meilleur grimpeur du Tour de France dès sa première participation, le colombien avait semblé perdre de sa superbe au cours des dernières années, l’âge (32 ans) pesant vraisemblablement sur ses fougueuses guiboles. Un conflit interne chez Movistar l’avait miné, et lorsqu’un déménagement en Bretagne semblait l’avoir régénéré (vainqueur de Paris-Nice 2020), la pandémie l’a déprimé.
Mais revoilà « Nairoman », l’insatiable grimpeur, l’inaccessible escaladeur, le fabuleux alpiniste. En 2022, l’ange de la montagne est revenu de sa torpeur. La semaine dernière, il écrasait le Tour de la Provence, broyait Julian Alaphilippe. Aujourd’hui, il a écœuré Tim Wellens. Jouissant d’une équipe à son plein service, il s’est appuyé sur le sens du collectif du Team Arkea pour renverser la balance. En effet, après que les rouges et noirs eurent grossièrement écrémé le peloton, il saisit l’opportunité d’un homme en relais, en la personne de Nicolas Edet, pour s’envoler dans le fameux col de Saint Roch. Par faiblesse, peur ou prudence, Tim Wellens n’a pas bougé. Valentin Madouas, ayant tenté l’irréparable erreur de suivre l’accélération du colombien, a explosé.
Nairo Quintana s’est isolé à plus de 30km de l’arrivée, durant l’ascension du Col de Saint Roch | © Capture d’écran Eurosport
La bataille était pourtant loin d’être gagnée quand le natif de Combita s’est présenté au pied du col de Nice, à 10 bornes de l’arrivée, avec une petite trentaine de secondes d’avance sur le maillot jaune, d’autant plus que ni la longueur (2,6km) ni la pente (4,6%) de la difficulté n’étaient franchement à son avantage. Il en a pourtant tiré son succès. Visage serein, corps impassible, jambes assurées, Nairo Quintana s’est véritablement envolé, définitivement effacé de l’horizon du Belge. Privé du concours de Thibaut Pinot, Alexis Vuillermoz ou Michael Storer, pourtant dans sa roue, le coureur de la Lotto-Soudal s’est écroulé, voyant même s’échapper Guillaume Martin.
A Blausasc, les jeux étaient faits. L’imperatore Quintana, exulté par son exploit, rugissait. Le gladiateur Wellens, épuisé de cet affront, s’effondrait. S’il a de quoi se frustrer de la tournure des évènements, le malheureux n’a pas grand-chose à se reprocher. Brave et courageux, il aura assumé ses responsabilités dans une poursuite désespérée de trente bornes. Durant ce week-end, Tim Wellens a brillé et gagné, à l’image d’une Lotto-Soudal forte et solidaire. Mais ce dimanche, Arkéa a vaincu par KO.
Nairo Quintana et son maillot jaune, illuminés par le soleil provençal | © Team Arkea-Samsic / Getty Sport
Par Jean-Guillaume Langrognet